Le secret des roses : aux origines chimiques d’un parfum universel

champ rose

Pourquoi une rose sent-elle… la rose ? Derrière cette évidence florale se cache un mystère olfactif que des scientifiques français viennent tout juste de commencer à élucider. Si les parfumeurs en capturent depuis des siècles les volutes enivrantes, les biologistes et les chimistes viennent, eux, de décoder certaines des clés moléculaires qui font qu’une rose nous semble si rose. Une enquête sensorielle, entre jardin botanique et laboratoire, qui révèle l’alchimie fascinante du monde végétal — et son importance pour l’art de la mode.

Le parfum, un langage invisible

La rose est la reine des fleurs et l’icône de la parfumerie : muse de Guerlain, essence fondatrice de la maison Dior, ingrédient mythique du N°5 de Chanel. Mais au-delà du symbole, que dit une rose quand elle exhale son parfum ? Et surtout, à qui s’adresse-t-elle ? Pour les plantes, les senteurs ne sont pas un luxe : elles sont un outil de communication, un langage invisible à base de composés organiques volatils. Ces molécules, capables de voyager dans l’air, servent à séduire un pollinisateur, repousser un ravageur, alerter les voisines ou coordonner leur propre croissance.

C’est ce réseau secret qu’une équipe interdisciplinaire française s’est attachée à décrypter. Botanistes, chimistes, neuroscientifiques et parfumeurs ont uni leurs nez et leurs instruments pour analyser les bouquets émis par dix variétés de roses, et tenter de comprendre ce qui rend une fragrance vraiment typique.

rose

Une harmonie de molécules

« Un parfum de rose n’est pas une molécule, mais une partition », explique Sylvie Baudino, professeure émérite à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne. Les fleurs de l’étude ont été soumises à un dispositif sophistiqué de capture d’odeur (technologie headspace dynamique), puis leurs effluves décomposés et identifiés. Résultat : des centaines de composés, dont certains bien connus comme le 2-phényléthanol (aux accents suaves et floraux), mais aussi deux familles inattendues pour les spécialistes du végétal : les ionones et les oxylipines.

« Ce sont des notes que les parfumeurs connaissent, mais qu’on n’associait pas directement à l’odeur de rose », précise Nathalie Mandairon, neuroscientifique au CNRS. Les premières apportent une senteur de violette boisée ; les secondes, une fraîcheur herbacée. Ensemble, elles s’associent à un facteur décisif : plus elles sont présentes dans un parfum, plus ce dernier est perçu comme typique… et plaisant. L’élégance de la rose ne tient donc pas à un ingrédient miracle, mais à un subtil dosage — un équilibre que seuls des nez (et des ordinateurs) experts peuvent aujourd’hui quantifier.

Une alchimie au service du vivant… et du style

Ce travail scientifique intéresse bien sûr les créateurs de parfum, toujours en quête de la fleur idéale — celle dont on pourra reproduire l’odeur sans recours aux essences naturelles, parfois rares, coûteuses ou écologiquement problématiques. Mais il révèle aussi une vérité plus large sur l’art olfactif : le parfum, dans la nature, n’a rien de gratuit. Il sert à attirer, avertir, séduire ou repousser. Chez la lavande ou la menthe, des poils spécialisés (les trichomes) explosent pour libérer des molécules défensives. Chez le pétunia, d’autres substances s’échappent du bouton floral pour stimuler la formation de graines. Même entre ses propres organes, la plante se parle… par effluves.

Cette fumigation naturelle, récemment documentée dans Science, montre à quel point les odeurs ne sont pas accessoires, mais vitales. Pour les plantes comme pour nous.

Le style invisible de la nature

Ce qui émeut dans cette recherche, c’est aussi sa résonance avec la mode. Car si l’habit fait le moine, l’odeur fait souvent la première impression. Les grands couturiers l’ont compris depuis longtemps : Coco Chanel voulait « un parfum de femme à odeur de femme ». Et aujourd’hui, les fragrances sont une forme d’expression stylistique à part entière. Elles habillent la peau, traduisent un univers, prolongent un geste de mode au-delà du visible.

En comprenant ce qui rend une rose typique, les scientifiques ouvrent la voie à de nouvelles créations — mais aussi à une meilleure écologie de la beauté. Créer un parfum, demain, ne sera plus un acte d’imitation, mais de compréhension : capter l’essence, sans piller la source.

Car peut-être qu’au fond, c’est cela, le plus grand luxe : savoir pourquoi une rose sent la rose.

Bibliographie

Baudino, S., Mandairon, N., & Boachon, B. (2024). Dissecting rose scent: The molecular basis of floral olfactory perception in humansiScience, 27(5), 111635. https://doi.org/10.1016/j.isci.2024.111635

Boachon, B., et al. (2023). A volatile compound mediates organ-to-organ signaling in plants during floral developmentScience, 381(6656), 57–63. https://doi.org/10.1126/science.adl4685

Centre national de la recherche scientifique (CNRS). (2024, mars). Pourquoi une rose sent-elle la rose ? CNRS Le Journal. https://lejournal.cnrs.fr/articles/pourquoi-une-rose-sent-elle-la-rose

Dudareva, N., Klempien, A., Muhlemann, J. K., & Kaplan, I. (2013). Biosynthesis, function and metabolic engineering of plant volatile organic compoundsNew Phytologist, 198(1), 16–32. https://doi.org/10.1111/nph.12145

Société Française des Parfumeurs. (2021). Dictionnaire des matières premières naturelles et de synthèse en parfumerie. Paris : Class’Parfums.

Tucker, A. O., & Tucker, S. S. (2022). The cultural history of roses in perfume. In Fragrance and Wellbeing (pp. 59–74). Springer. https://doi.org/10.1007/978-3-030-78330-5_5