Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon : A quand la mise en question d’une théologie de la sexualité défaillante ?

collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon

Le mercredi 2 avril 2025, un collectif d’anciens élèves du collège catholique Saint-Pierre, situé au Relecq-Kerhuon (Finistère), a déposé un volumineux dossier de cinquante témoignages écrits auprès du parquet de Brest. Ces documents, rédigés par d’anciens pensionnaires, relatent des faits de violences physiques, humiliations publiques, brimades, tortures psychologiques et dans certains cas violences sexuelles, survenus entre 1962 et 1996, notamment infligés par le père L. aujourd’hui décédé.

Le surnom donné à l’établissement – le « Bétharram breton » – fait référence à l’affaire retentissante de l’institution Notre-Dame de Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques, où des centaines de cas d’abus ont été dénoncés depuis 2023. Cette appellation souligne la dimension systémique des violences reprochées et leur caractère institutionnel dans l’Eglise catholique romaine et interroge sa théologie peccamineuse de la sexualité qui apparait défaillante, doctrinalement erronée et en pratique nocive.

Des années de silence et de souffrance

Les témoignages rassemblés dressent le portrait d’un internat aux méthodes disciplinaires brutales, où le silence des victimes et l’omerta des adultes ont permis la persistance d’un climat de peur et de domination. Coups de poing, taloches en série, cheveux tirés, humiliations devant la classe, enfermements et privations de nourriture sont évoqués à de multiples reprises.

Les anciens élèves décrivent un quotidien rythmé par la terreur éducative, le dressage au silence et l’écrasement de la personnalité. Certains enseignants, cités nommément dans les documents, sont accusés d’avoir instauré un véritable régime d’intimidation. Plusieurs victimes rapportent des conséquences psychologiques durables : anxiété chronique, troubles du sommeil, dépression, voire tentatives de suicide à l’âge adulte.

Une justice confrontée au temps

Le parquet de Brest a confirmé avoir reçu le dossier et l’étudie actuellement pour déterminer l’opportunité de diligenter une enquête. Toutefois, la prescription des faits reste un obstacle juridique de taille. La plupart des violences remontent à plus de 30 ans, ce qui limite les possibilités de poursuites pénales, sauf dans les cas de crimes imprescriptibles tels que les viols sur mineur, s’ils peuvent être établis.

« Ce que nous demandons, ce n’est pas seulement justice au sens judiciaire, c’est la reconnaissance de ce que nous avons vécu », explique l’un des membres du collectif dans une déclaration à la presse. « Ces violences ne sont pas des anecdotes du passé, elles ont structuré nos vies. »

Un cas emblématique dans un contexte national

Cette affaire s’inscrit dans une série de révélations récentes touchant l’Église catholique et ses institutions scolaires. Depuis la publication du rapport Sauvé en 2021, qui recensait plus de 300 000 victimes d’abus dans l’Église de France depuis les années 1950, les langues se délient et de nombreux anciens élèves osent désormais témoigner.

Le collège Saint-Pierre n’avait jusqu’ici jamais été cité publiquement dans des affaires de maltraitance. Il appartient à un réseau d’établissements privés sous contrat, historiquement liés à la formation religieuse. Son administration actuelle s’est déclarée « bouleversée » par les révélations et a indiqué vouloir « coopérer pleinement » avec les autorités.

Et maintenant ?

Au-delà de la procédure judiciaire à venir, les anciens élèves réclament également une commission d’enquête indépendante, sur le modèle de celle mise en place pour l’affaire de Bétharram. Leur objectif : comprendre comment un système d’autorité a pu produire, tolérer et reproduire des violences pendant plusieurs décennies, au cœur même d’un projet éducatif prétendument fondé sur des valeurs chrétiennes.

La parole des victimes du collège Saint-Pierre vient aujourd’hui bousculer le récit lisse d’un établissement longtemps perçu comme un pilier de l’enseignement privé dans la région brestoise. Elle rappelle, avec force, que derrière les murs d’une école peuvent se jouer des tragédies durables, quand l’autorité devient violence et que la foi se transforme en silence complice.

Contact : Si vous avez été élève de cet établissement et souhaitez témoigner, vous pouvez écrire au collectif à l’adresse suivante : temoins.saintpierre@protonmail.com

L’Église catholique romaine au pied du mur de sa propre théologie

Il est aujourd’hui impossible de prétendre ignorer l’ampleur des abus sexuels, physiques et psychologiques perpétrés dans l’enceinte de nombreuses institutions catholiques romaines. Dans l’église romaine, car le reste du monde chrétien, l’église orthodoxe et les églises protestantes, ne connait pas ou peu de tels scandales.

De la congrégation des Bétharramites aux Frères de Saint-Gabriel, des écoles aux séminaires, des diocèses aux mouvements de jeunesse, le scandale n’est plus local, isolé ou marginal. Il est systémique. Et cette évidence pose une question centrale : pourquoi l’Église catholique romaine, malgré l’accumulation des preuves et des traumatismes, persiste-t-elle à ne pas interroger sa propre théologie de la sexualité ?

Ce silence théologique est assourdissant. Car les abus n’ont pas surgi dans un vide moral ou dogmatique. Ils se sont produits dans un système intellectuel et spirituel qui associe la sexualité au danger, au péché, à la faute originelle, et qui impose (au lieu de laisser le choix) à ses ministres une chasteté obligatoire souvent vécue comme un refoulement plutôt qu’un choix éclairé. La sexualité, au lieu d’être pensée comme une dimension vivante, vulnérable et partagée de l’humanité, est figée dans des interdits, codifiée par des normes obsolètes et placée sous l’emprise d’un contrôle masculin sacralisé. Cette construction dogmatique, façonnée par des siècles de cléricalisme, de misogynie et d’idéalisme moral, a produit un terrain favorable à l’hypocrisie, au silence, à la honte, et parfois à la violence. Pourquoi ?

Une sexualité omniprésente jusqu’à l’obsession

Le catholicisme romain s’appuie sur une théologie influencée par Saint Augustin qui associe sexualité et chute. L’Eglise orthodoxe comme la plupart des Églises protestantes, notamment libérales, ont une théologie plus incarnée, plus positive vis-à-vis du désir, du corps, du couple. Comme avait répondu il y a 60 ans le patriarche Athénagoras au pape Paul VI qui l’interrogeait à ce propos : « l’Eglise s’arrête devant la porte de la chambre des époux. » Mais, de nombreux théologiens romains continuent à penser, comme dans les siècles passés, que perdre le contrôle de ce qui se déroule dans la chambre conjugale équivaut à perdre le contrôle des corps en sus des âmes.

La doctrine catholique romaine, particulièrement à travers les textes du Magistère, présente la sexualité comme une réalité à la fois sacrée et transcendante. Cette transcendance implique une prise de distance avec les réalités concrètes du corps : la sexualité devient alors un acte orienté principalement vers une fin extérieure (procréation, don de soi vers Dieu à travers le couple). La conception catholique romaine de la sexualité repose ainsi sur une vision d’une sexualité transcendée et sacrée, alors qu’elle pourrait être incarnée et sainte.

Affirmer que « la sexualité doit être incarnée et sainte », comme le professent les théologiens orthodoxes, plutôt que « transcendée et sacrée », c’est inviter l’Église catholique romaine à un renouvellement profond de sa compréhension théologique et pastorale. C’est aussi replacer le corps au cœur de la spiritualité chrétienne, non comme une entrave à la sainteté, mais comme un véritable lieu d’épanouissement. Ce changement de perspective permettrait non seulement d’entrer dans un dialogue renouvelé avec les croyants d’aujourd’hui mais également d’offrir une vision plus cohérente, plus intégrative et plus authentiquement chrétienne de la sexualité humaine.

Comme le résument différents penseurs orthodoxes, « S’il fallait formuler une règle essentielle en matière de sexualité, elle serait de ne jamais instrumentaliser l’autre, mais de l’aimer pour qui il/elle est. »

Le célibat des prêtres : une règle tardive, économique et non spirituelle

Contrairement à une idée largement répandue, le célibat obligatoire des prêtres catholiques n’a rien d’originel ni de dogmatique. Il ne s’est imposé qu’à partir du XIe siècle, à l’issue de plusieurs conciles réformateurs, dont celui de Latran (1123), dans un contexte de consolidation du pouvoir pontifical. Avant cela, les papes eux-mêmes pouvaient être mariés — l’apôtre Pierre était marié, la tradition atteste que le Christ avait guéri son épouse (pour autant, a-t-il été le premier évêque de Rome ? Aucune source ancienne ne l’atteste, ni meme qu’il y aurait séjourné, d’ailleurs son nom n’est jamais cité dans l’Epître de Paul aux Romains ; cf. notamment article) — et il était commun de trouver des prêtres, des évêques et même des abbés qui menaient une vie familiale. En France, jusqu’au XVe siècle, certains supérieurs de monastères issus de la noblesse continuaient à vivre en couple et à avoir des enfants dans une logique dynastique assumée. Cela s’inscrivait dans une conception du clergé encore enracinée dans les réalités sociales de l’époque. En somme, en Occident, d’une manière générale, il en allait comme il en va toujours dans l’Orient orthodoxe, des hommes mariés étaient ordonnées à la prêtrise pour les besoins de telle ou telle paroisse ; quant aux hommes célibataires qui voulaient épouser Dieu (et l’ordination), eh bien ils allaient au monastère.

Le tournant du célibat n’a donc jamais été fondé sur une réflexion spirituelle ou théologique cohérente sur la chasteté ou la sainteté. Il obéissait avant tout à une logique patrimoniale : empêcher la transmission héréditaire et la division des biens ecclésiastiques. En interdisant aux papes, aux évêques puis aux prêtres de se marier et d’avoir des enfants légitimes, Rome cherchait à protéger l’intégrité des propriétés de l’Église. Le célibat garantissait que les terres, les revenus, les titres et les biens n’échappent pas au contrôle de la hiérarchie ecclésiale, mais reviennent systématiquement à l’institution. Autrement dit, le célibat sacerdotal fut une règle de gouvernement avant d’être une discipline morale.

Ce rappel historique n’est pas anodin. Il met en lumière le caractère contingent et stratégique d’une règle aujourd’hui présentée comme sacrée. Et il interroge : si cette obligation ne repose sur aucune exigence évangélique, pourquoi continue-t-elle d’être défendue avec tant d’intransigeance, malgré les drames qu’elle a provoqués ?

Témoignages de violences au collège saint-pierre du Relecq Kerhuon, près de Brest