Le 16 mai 2025, l’Union européenne a franchi un cap symbolique et juridique majeur : plus d’un million de citoyens et citoyennes des Vingt-Sept ont soutenu une Initiative citoyenne européenne (ICE) réclamant l’interdiction des soi-disant « thérapies de conversion ». Ces pratiques visent à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’êtres humains. Ce seuil n’est pas une simple formalité : il engage désormais la Commission européenne à se saisir du sujet, à y répondre formellement, voire à légiférer. Il s’agit d’une étape cruciale dans la reconnaissance et la protection des droits fondamentaux des personnes, quelle que soit leur orientation, à l’échelle continentale.
Un combat éthique et fondamental contre des pratiques dégradantes
Derrière l’expression euphémisée de « thérapies de conversion » se cache une réalité brutale. Des traitements psychologiques, spirituels ou médicaux souvent coercitifs, humiliants et inefficaces, prétendent « corriger » une orientation sexuelle ou une identité de genre perçue comme déviante. Ces « interventions » sont pratiquées dans certains contextes religieux, médicaux ou communautaires, parfois sous la pression familiale ou sociale. Elles vont de la simple exhortation spirituelle au recours à des exorcismes, à la privation de nourriture, à l’enfermement, à l’électrochoc ou à des thérapies pseudo-psychanalytiques.
Plus de 130 associations, dont ILGA-Europe, Amnesty International, et des collectifs LGBTQ+ de terrain, dénoncent depuis des années leur violence psychique et leur inefficacité. L’Organisation des Nations unies et le Parlement européen ont d’ores et déjà qualifié ces pratiques de violations graves des droits humains. En 2020, un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme appelait à leur interdiction mondiale.
Une reconnaissance politique du rôle des citoyens européens
L’Initiative citoyenne européenne est l’un des rares outils participatifs transnationaux mis à disposition des citoyens de l’UE. En dépassant le seuil d’un million de signatures réparties dans au moins sept pays, l’appel prend une dimension politique majeure. L’élan de soutien à cette ICE est révélateur d’une prise de conscience croissante de l’Europe sur les enjeux LGBTQ+, bien au-delà des capitales progressistes.
Par cette mobilisation inédite, les signataires rappellent que les droits fondamentaux ne peuvent être laissés aux aléas des majorités nationales. L’existence de ces thérapies dans certains pays, y compris en Europe de l’Est ou dans des cercles conservateurs en Europe de l’Ouest, témoigne d’un décalage inquiétant entre les valeurs européennes proclamées et les réalités vécues.
Une Europe protectrice ou une Europe complice ?
Le silence, ou pire, l’inaction politique en réponse à ces violences psychologiques équivaut à une complicité passive. Accepter que des enfants, adolescents ou adultes soient soumis à ces procédés au nom d’une prétendue liberté thérapeutique ou religieuse, c’est tolérer l’oppression et la mutilation identitaire. Les comparaisons avec les soins médicaux ne tiennent pas ; on ne soigne pas une orientation sexuelle, pas plus qu’on ne « répare » une identité de genre.
L’interdiction de ces pratiques ne remet pas en cause la liberté religieuse ni la liberté d’opinion. Ca n’a strictement rien à voir. Elle vient borner juridiquement les abus exercés au nom de croyances ou d’idéologies, dès lors qu’ils portent atteinte à la dignité, à l’intégrité psychique et à la liberté individuelle.
Un test pour la Commission européenne
La balle est désormais dans le camp de la Commission. En répondant à cette initiative, elle a la possibilité de s’ériger en garante des valeurs fondamentales inscrites dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À l’heure où certains États membres régressent sur les droits des personnes LGBTQ+ — la Hongrie ou la Pologne en tête —, une interdiction au niveau européen enverrait un signal fort : l’Europe ne transige pas avec la dignité humaine.
Les signataires ne demandent pas une mesure symbolique, mais une directive contraignante, qui harmonise les législations nationales en interdisant toute forme de « thérapie de conversion » dans l’espace européen, avec sanctions à la clé, accompagnée de mesures de soutien et de réparation pour les victimes.
L’interdiction des « thérapies de conversion » n’est pas un caprice militant. C’est une nécessité éthique, juridique et civilisationnelle. Elle incarne ce que l’Europe peut être lorsqu’elle écoute ses citoyens : une force de protection contre l’humiliation, la stigmatisation et les violences d’un autre âge.
Refuser cette demande citoyenne, c’est entériner une Europe qui ferme les yeux sur la souffrance de ses enfants. Y répondre, c’est affirmer que chaque personne, quelle que soit son orientation sexuelle ou son identité de genre, a le droit inaliénable d’être ce qu’elle est, sans être brisée pour rentrer dans la norme.
Pour aller plus loin :
- Texte de l’ICE européenne “Interdiction des pratiques de conversion dans l’Union européenne”
- ILGA-Europe. (2022). Harmful practices and conversion therapy in Europe.
- Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme. (2020). Report on practices of so-called “conversion therapy”.