À l’approche des élections européennes du 9 juin 2025, un mot-dièse s’est imposé sur les réseaux sociaux : #vivementle9juin. Détournement ironique pour certains, cri d’enthousiasme sincère pour d’autres, ce slogan numérique cristallise l’attente fiévreuse de toute une jeunesse autour d’un homme : Jordan Bardella, 28 ans, tête de liste du Rassemblement national (RN), et grand favori des sondages. D’un meeting à l’autre, d’un plateau télé à une story TikTok, le président du RN est acclamé, entouré, selfié à chaque apparition publique. Une star politique née sur les ruines d’un parti longtemps relégué aux marges de la République.
En trente ans, le RN a métamorphosé son image, son discours et sa stratégie d’implantation. Héritier du Front national de Jean-Marie Le Pen, autrefois bastion d’un électorat rural, âgé et populaire, il est aujourd’hui en voie de devenir le premier parti des jeunes. D’après les dernières enquêtes d’opinion, le RN récolte plus de 30 % des intentions de vote chez les moins de 25 ans, loin devant toutes les autres formations. Un basculement générationnel inédit qui ne doit rien au hasard.
Une conquête méthodique : cap sur la France périphérique
Depuis une décennie, la jeunesse des campagnes et des petites villes est au cœur de la stratégie d’expansion du RN. Ils seraient plus de 10 millions de moins de 20 ans à vivre dans des zones rurales ou périurbaines, souvent éloignés des centres de décision, rarement représentés dans les récits médiatiques dominants. C’est dans cette France discrète, parfois oubliée, que le parti a trouvé l’écho le plus fort à son discours.
Ce n’est pas un hasard si le Rassemblement national de la jeunesse (RNJ) a vu le jour dans une boîte de nuit parisienne en 2018, au moment même où les Gilets jaunes préparaient leurs premiers barrages : le RN a voulu s’ancrer dans les codes culturels de la jeunesse tout en s’imposant dans les nouveaux territoires du numérique. Snapchat, Instagram, TikTok : en quelques années, les jeunes militants du RNJ ont appris à décrypter les algorithmes, à produire des contenus courts et viraux, à parler comme leurs pairs. Ils ont aussi investi les lycées, les IUT, les CFA, les exploitations agricoles, les entrepôts logistiques. Là où se construit aujourd’hui une partie de la jeunesse française.
Bardella, incarnation d’un populisme 2.0
Jordan Bardella, élu à la présidence du parti en 2022, est le produit le plus abouti de cette stratégie. Jeune, urbain, issu de la banlieue (il a grandi à Saint-Denis), maîtrisant parfaitement les codes médiatiques, il est parvenu à désidéologiser l’étiquette RN aux yeux d’une nouvelle génération. Sa rhétorique joue sur une ligne de crête entre dénonciation des élites, défense d’un mode de vie français “normal” et identification à la jeunesse « qui galère ». Bardella ne parle pas de « race » ni de « grand remplacement », mais de « pouvoir d’achat », « méritocratie », « insécurité », « avenir bloqué ». Un discours qui plaît d’autant plus qu’il est relayé sans filtre par les réseaux sociaux, court-circuitant les canaux traditionnels d’information.
Paroles de jeunes stéphanois : pourquoi ils s’engagent
Ce reportage part à la rencontre de jeunes engagés dans la Loire, autour de Saint-Étienne, un territoire industriel en reconversion, où les votes RN ont grimpé de façon spectaculaire depuis dix ans.
- Tom, 21 ans, agriculteur dans le Pilat, raconte son décrochage scolaire, sa reprise de ferme, et le manque de reconnaissance d’un monde rural qu’il estime méprisé par les “urbains de gauche”.
- Juliette, 28 ans, mère célibataire, voit dans le RNJ une structure “plus accessible que les autres partis”, et un moyen de se faire entendre “sans avoir fait Sciences Po”.
- Cassandra, 17 ans, lycéenne en bac pro, découvre la politique par TikTok. “Jordan, il est jeune, il parle comme nous. Il comprend.”
- Adrien, 24 ans, intérimaire dans un entrepôt, dit avoir longtemps voté blanc avant de “se réveiller” après les émeutes de 2023. “Le RN, c’est les seuls à dire les choses franchement.”
Tous ont rejoint la section RNJ 42, parfois sans grande culture politique préalable, mais avec l’envie d’agir, de peser, de “faire bouger les lignes”. Leur engagement dit beaucoup de ce qu’attendent les jeunes d’un parti politique en 2025 : un discours direct, des figures d’identification, des réponses concrètes à des difficultés quotidiennes.
Une dynamique qui interroge
Comment un parti naguère cantonné à l’extrême droite parvient-il à séduire ceux qui n’ont pas connu le Front national des années 90 ? Faut-il y voir un rejet global de la politique traditionnelle, une d’une classe politique discrédité et peu convaincante, une crise des repères idéologiques, ou un vrai glissement culturel de la jeunesse vers des idées national-populistes ? Quelle place laissent les autres partis à cette jeunesse hors des métropoles ?
En filigrane, cette enquête soulève une question centrale : qu’est-ce qu’être jeune, en 2025, hors des grandes villes ? Et qui parle pour eux ?