Avec Wanted, Philippe Claudel livre un roman bref, incandescent, burlesque et politiquement acide. Dans cette dystopie far-westienne, les visages désormais planétaires de la toute-puissance masculine – Elon Musk, Donald Trump, Vladimir Poutine – sont propulsés au rang de figures grotesques traquées à travers un monde aux lois obsolètes, où la démesure capitaliste, la violence viriliste et le délire autoritaire se heurtent à leur propre caricature.
Le récit prend la forme d’un western crépusculaire sous amphétamines. Claudel y convoque les codes du genre – duels, chasse à l’homme, désertification morale – et les transfigure dans une langue volontairement populaire, percutante, parfois même trash, afin de mieux souligner l’obscénité réelle des personnages qu’il met en scène. Le grotesque, chez lui, n’est pas une échappatoire, mais une stratégie de dévoilement. C’est par la farce que l’écrivain révèle les logiques de brutalité et de déréalisation qui façonnent notre temps.

Mais loin de la pure provocation, Wanted est un roman d’alerte, une fable punk à haute intensité critique. Ce n’est pas seulement l’Amérique ou la Russie qui y sont visées, mais une idée du pouvoir désinhibé, algorithmique et médiatique, devenu incontrôlable. En mettant à prix la tête de Poutine, Elon Musk inaugure une logique qui n’a plus rien de fictionnel, celle de l’hubris technologico-libertarienne capable de financer le chaos au nom d’un prétendu « ordre nouveau ». Claudel regarde ce monde droit dans les yeux – et en rit, pour ne pas hurler.
La grande réussite du roman réside dans cette tension constante entre le jeu et le jugement. Le ton railleur, les scènes absurdes, les formules lapidaires sont autant d’armes de satire. Pourtant, sous le rire, affleure une gravité sincère, celle d’un écrivain qui, depuis Le Rapport de Brodeck ou Les Âmes grises, n’a jamais cessé de scruter les abîmes moraux de l’humanité. Ici, il les confronte à leur version 2.0 – dopée à la Silicon Valley, à l’influence, et à la télé-réalité politique.
En 140 pages aussi denses que fulgurantes, Wanted prouve que la littérature peut encore tirer plus vite que son ombre. Elle peut jouer, cogner, déstabiliser – et surtout, désacraliser les totems contemporains de l’impunité.
Philippe Claudel signe là non seulement une œuvre de combat, mais un miroir éclaté où notre monde, à force de vouloir se prendre au sérieux, finit par ne plus ressembler à rien. Et c’est peut-être pour cela qu’il faut en rire.