Il y a 175 ans, le 21 janvier 1860, la condamnation de la veuve Siquin, domiciliée à Saint-Cado, commune de Bannalec dans le Finistère, rend l’innocence à Yves Louarn et Auguste Baffet en 1854, condamnés à tort pour vol à mains armées et morts au bagne. Retrouvez ce procès dans un des livres d’Annick le Douget.
Au printemps 1854, une affaire de vol à mains armées commis de nuit dans une maison habitée fait grand bruit. Il faudra attendre six ans, en janvier 1860 pour que les vrais coupables soient jugés. Il s’agit du seul cas d’erreur judiciaire imputable à la cour d’assises du Finistère. Le président de la cour, le conseiller Audrouin, demande un huis clos et les magistrats qui composent la cour d’assises déploient beaucoup d’efforts à ne pas faire de publicité à l’affaire. Ils veulent éviter de créer un scandale inutile, car tout le monde est au courant que deux hommes de Bannalec ont été jugés et condamnés à tort le 1er mai 1854. L’audience est finalement publique sur l’insistance du procureur Derome, mais le conseiller Audrouin rend un arrêt qui interdit à la presse de publier le compte rendu des débats…
Au cours du premier procès, le 1er mai 1854, Yves Louarn 36 ans et Auguste Baffet 51 ans, journaliers tous les deux, sont reconnus par les victimes : Jean Guigourès 74 ans, son épouse et leur domestique. Les soupçons se portent sur eux aussi en raison de leur mauvaise réputation. Ils se seraient introduits au cours de la nuit du 17 au 18 janvier 1854 dans le domicile du couple, armés d’un fusil et d’un pistolet pour leur dérober 2.100 francs. Le couple se réveille, interpellé par du bruit. Les deux hommes auraient porté plusieurs coups à la vieille dame et blessé l’homme à la lèvre en lui donnant des coups de pied au niveau des reins. Ils sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité pour Yves Louarn et à 23 ans pour Auguste Baffet. Ils meurent au bagne tous les deux, le premier en 1855 et le deuxième en 1856.
Les vrais coupables, la veuve Sinquin et trois complices, sont identifiés plus tard et jugés le 21 janvier 1860 au tribunal de Quimper (29). Au cours de son réquisitoire, l’avocat de la veuve Sinquin plaide même la mémoire des deux innocents, tant l’erreur judiciaire hante la salle d’audience quimpéroise. La veuve Sinquin est condamnée aux travaux forcés et, dès le lendemain 22 janvier, l’arrêt est publié dans la Gazette des tribunaux et défraye la chronique. Les condamnés de ce 21 janvier forment un pourvoi examiné le 24 février 1860 par la Cour de cassation.
En 1860, la loi ne permet pas encore la révision d’un procès (elle ne sera votée qu’en 1867). Il faudra attendre le 11 juin 1869 pour que la Cour de cassation proclame l’innocence de Yves Louarn et d’Auguste Baffet. Redoublant de prudence, les jurés finistériens ne prononceront que deux condamnations à mort au cours de la quinzaine d’années après cette erreur judiciaire…
Retrouvez ce procès dans Violence au village, la société rurale finistérienne face à la justice (1815-1914) de Annick Le Douget parmi d’autres affaires : 13 janvier 1863, Laurent Pinvidic de Plougar comparaît aux assises pour vol au préjudice de son beau-frère ; le 19 juin 1902, le cultivateur François Herlan assassine son beau-père à Saint Thégonnec ; Marie-Anne Derrien fait exécuter sa mère par sa servante en 1853 à Lennon, etc.
Biographie :
Annick Le Douget ausculte la société rurale grâce au prisme de la justice. Elle a exercé la profession de greffière au cours de sa carrière professionnelle au conseil des Prud’hommes à Quimper. Elle écrit depuis vingt ans sur l’histoire de la justice et de la criminalité dans le Finistère. Elle a étudié des centaines d’affaires qui avaient eu un grand écho dans la population à cette époque.
Le 24 novembre 2012, à l’âge de 58 ans et à seulement trois ans de la retraite, Annick Le Douget soutient sa thèse de doctorat en langue et culture bretonne : Famille, communauté villageoise et violence. La société rurale finistérienne face à la justice (1815-1914), un défi personnel et intellectuel qu’elle se lance à elle-même. Cette thèse lui a demandé quatre années de travail, des recherches aux archives départementales pour consulter les arrêts de cour d’assises et aux archives nationales à Paris, deux volumes et 566 pages qu’elle prépare sous la direction de Daniel Giraudon, du Centre de Recherche Bretonne et Celtique de Brest.
Elle publie ensuite Crime et Justice en Bretagne : l’histoire de la justice en Bretagne dans lequelle elle traite de l’affaire Dreyfus, l’affaire Seznec, en passant par l’empoisonneuse Hélène Jégado, les mères infanticides et la prise d’otages de Courtois en plein palais de Nantes.
L’auteur est très documentée et fait appel aux archives pour raconter ces destinées illustres ou méconnues, dans un système en perpétuelle évolution de 1800 à nos jours. Elle n’oublie pas les bagnes et les prisons, le tout servi par une illustration en grande partie inédite et savoureuse.
Le dernier ouvrage de Annick Le Douget est Tourmente sur la cour d’assises du Finistère, sorti le 8 juillet 2024. Elle aborde la pression exercée par l’opinion publique sur la justice, soit quatre affaires criminelles qui ont attisé le souffle des grandes passions dans le Finistère au xxe siècle : Jean Herriquet, Franklin Biollay, Guillaume Kervarec et Guillaume Seznec, une affaire qui agite les passions depuis plus de cent ans et que l’auteure décortique !