Jugé et condamné en 1894 pour haute trahison, l’affaire du capitaine Alfred Dreyfus demeure à ce jour le symbole de l’erreur judiciaire. Que révèle-t-elle de la France de la fin du XIXe siècle ? Quel rôle la presse a-t-elle joué dans cette histoire ? Riche d’une collection de 7000 pièces, le Musée de Bretagne publie pour la première fois, aux éditions Locus Solus, un catalogue des collections dédié au fonds lié à l’affaire. Dreyfus… ! : Une affaire d’État, un conflit social et politique.

19 décembre 1894, Paris. Alfred Dreyfus (1859-1935), polytechnicien et artilleur de confession juive, passe en Conseil de Guerre pour haute trahison. Arrêté le 15 octobre, il est accusé d’avoir livré à l’Allemagne des documents relatifs à la Défense Nationale… Chargée du procès, la Cour de cassation prononce le verdict trois jours plus tard : « au vue d’un « dossier secret » que ni lui, ni son avocat [Edgar Demange] n’ont pu consulter », le capitaine est condamné, à l’unanimité, à la déportation perpétuelle, à la destitution de son grade et à la dégradation.

Dégradé publiquement dans la cour de l’École militaire de Paris le 5 janvier 1895, il est déporté à l’île au Diable, au large de la Guyane, en février. Peu de Français.es doutent alors de sa culpabilité…

7 août 1899, Rennes. Le procès en révision du capitaine Alfred Dreyfus s’ouvre dans la salle des fêtes du lycée de Rennes, l’actuel lycée Émile Zola.

Depuis les révélations du lieutenant-colonel Picquart sur l’identité du véritable traître, Ferdinand Walsin Esterhazy, en 1896, et surtout, son acquittement en 1898, l’affaire a pris une toute autre dimension. Les antidreyfusards, en majorité, font alors face aux Dreyfusards, défenseurs de l’officier. Les intellectuels s’apparentent de l’affaire, Émile Zola en tête, et dénoncent l’erreur judiciaire. Le mouvement Dreyfusard se développe, les débats et révélations se multiplient dans la presse.

Le capitaine est gracié par le Président de la République, Émile Loubet, le 19 septembre 1899, mais il faudra attendre le 12 juillet 1906 avant qu’il ne soit définitivement innocenté par la Cour de cassation, soit plus 10 ans après le premier jugement. Au delà du rôle considérable qu’a joué la presse dans cette histoire – et ce dés les révélations parues dans le journal nationaliste « La Libre Parole », à propos de l’accusation du capitaine en 1894, que révèle l’Affaire Dreyfus de la France de la fin du XIXe siècle ?

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Cour de l’école militaire, réhabilitation d’Alfred Dreyfus. Paris, 1906 © Musée de Bretagne

« L’Affaire », révélatrice de l’antisémitisme en France

Dans un milieu fortement marqué par l’antisémitisme, « notamment depuis la publication, en 1886, de La France juive d’Édouard Drumont », l’accusation d’espionnage dégénéra rapidement en conflit politique et social, défrayant la chronique et déchaînant l’opinion publique. L’affaire Dreyfus porte désormais le nom de « L’Affaire » et se meut en une des crises majeures de la IIIe République, matérialisation de la haine antisémite en France.

D’envergure internationale, elle s’inscrit dans un contexte sociétal trouble. Vingt plus tôt, la France perd l’Alsace et la Lorraine (traité de Francfort) à la fin de la guerre de 1870, qui opposait la Prusse à la France. Profondément marqué et affaibli, le pays connaît une montée du nationalisme et de l’antisémitisme. Le « Musée des horreurs » de Victor Lenepveu (18.. – 19..), les dessins d’Alfred Le Petit (1841-1909) et autres images populaires s’impriment sur les pages du catalogue et replongent les lecteur.rice.s, abasourdis, dans la discrimination et l’hostilité ambiantes de l’époque. Les antidreyfusards, portés notamment par les plumes des journalistes Charles Maurras et Édouard Drumont, se refusèrent de reconnaître la faute du corps militaire.

Tout comme l’Etat-major, soucieux de sauver l’honneur de l’armée française. Après les révélations du lieutenant-colonel Picquart, il préféra étouffer l’affaire et muta ce dernier avant de créer un document accablant Dreyfus, le « faux Henry » du nom de l’auteur, le commandant Henry. Ce dernier se suicida après son arrestation. Avant d’être gracié le 9 septembre 1899, le jury reconnut Dreyfus coupable, de nouveau, et le condamne à 10 ans d’emprisonnement… En faisant de l’officier français le coupable qu’il n’était pas, la décision de l’État-major remit en cause la partialité des tribunaux militaires ainsi que la justice même. Des questionnements qui ont bouleversé profondément la société française et ont fait de cette affaire un symbole.

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Dreyfus est innocent, affiche, imprimerie E. Charaire. Paris, entre 1898 et 1898 © Musée de bretagne

Comme le souligne à juste titre Céline Chanas, directrice du Musée de Bretagne, « le patrimoine continue d’alimenter notre réflexion autour des grands enjeux contemporains : l’antisémitisme le rôle des médias dans la fabrique de l’opinion, l’implication des intellectuels dans les crises ou encore la place de la justice ». Dans le communiqué du Service de la Protection de la Communauté juive, nous apprenons en effet que le nombre total d’actes antisémites recensés en 2020 est de 339 et le nombre d’agressions, quasi identique à celui de l’an dernier (44 en 2020 contre 45 en 2019), malgré les trois mois de confinements.

Concentré de l’Affaire et guide complet de , Dreyfus… ! se lit comme une plongée historique et passionnante au travers une centaine de documents les plus caractéristiques. À la fermeture du catalogue, les interrogations sur les injustices de l’époque rejoignent celles d’aujourd’hui tandis que l’envie de s’aventurer dans l’ambiance carcérale de l’exposition L’Affaire Dreyfus afin de (re)découvrir cette enquête aux multiples rebondissements se fait plus forte que jamais.

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Dreyfus… ! Affaire d’État et erreur judiciaire dans les collections du Musée de Bretagne, éditions Locus Solus. 96 pages. Parution : 14 mai 2021 Prix : 11€90.

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