Vidéo BD jeunesse. Folklore La Mécanique des rêves : tracer sa voie dans un monde de rouages

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Avec Folklore – La Mécanique des rêves, à paraître ce vendredi 16 mai, Loïc Clément et Maud Begon signent un récit de formation empreint de douceur et de justesse qui interroge notre rapport au destin, à la filiation, à la liberté. Un récit de jeunesse, oui, mais pas une histoire naïve. Une mécanique fine, humaine, subtilement politique.

La série Folklore 

Folklore est une série imaginée par le duo d’auteurs Loïc Clément et Anne Montel, bien connus déjà des jeunes lecteurs pour la série Le Temps des Mitaines. Elle est constituée de cinq albums, auto-conclusif, qui présente à chaque fois un héros ou une héroïne anthropomorphe et mettant en lumière à chaque tome un dessinateur ou une dessinatrice de renom : Lionel Richerand, Maud Begon, Clément Lefèvre, Anne Montel et Nancy Peña. Avec FolkLore, les deux auteurs ont inventé un monde riche et protéiforme, un univers graphique merveilleux.

L’appel de la clé

Dans l’univers de Folklore, chaque adolescent reçoit un jour une « clé de l’appel ». Signe symbolique, magique, initiatique, elle ouvre les portes du Folklore, ce voyage existentiel au cours duquel chacun doit apprendre qui il est, ce qu’il veut faire, et quelle place il désire occuper dans le monde. Loin d’un simple rite de passage, c’est une plongée en soi — un miroir tendu à chaque lecteur.

C’est ce qui arrive à Gayatri, issue de la riche caste des Nambra, dans la ville de Jaipura. On lui prédit une carrière toute tracée : reprendre les rênes de l’empire familial, sourire avec discipline, reproduire l’ordre social comme une horloge bien huilée. Mais Gayatri n’est pas faite de ce métal-là. Ce qui l’attire, ce ne sont pas les dorures ni les grands discours. C’est le mécanisme, la vis cachée, l’objet délaissé. Gayatri veut devenir réparatrice. Et toc ! Ou plutôt, tic tac toc !

Babel ou l’apprentissage du monde

Son Folklore la conduit à Babel, ville plurielle, vivante, hybride, aux allures de cité-ruche steampunk où se côtoient traditions anciennes et innovations farfelues. Elle y rencontre Piccolo, un vieux maître réparateur bourru, misogyne et intransigeant, mais aussi sa petite-fille, animée d’une conscience féministe tout comme Asha, flamboyante conductrice de tuk-tuk. Ensemble, ils vont former une petite société de la débrouille, du soin et de l’attention. bref, du care. À travers ces rencontres, Folklore explore une galerie de personnages qui, chacun à sa manière, bouscule les assignations. Tous viennent chercher quelque chose : une reconnaissance, une échappatoire, une liberté. Et tous finiront par offrir, à Gayatri comme au lecteur, un fragment de vérité.

Une mécanique littéraire et graphique bien huilée

Le scénario de Loïc Clément brille par sa clarté rythmique et sa sensibilité narrative. Chaque chapitre est une étape, chaque personnage un seuil, chaque outil un symbole. L’écriture oscille entre humour tendre et émotions contenues sans jamais verser dans le pathos. C’est un récit d’émancipation qui croit à l’intelligence des jeunes lecteurs et touche aussi bien les adultes en quête d’un peu de lumière.

Quant au dessin de Maud Begon, il est juste. Son trait souple, chaleureux et généreux confère à chaque case une aura d’intimité. L’univers de Babel, entre Inde futuriste, cité méditerranéenne et ruche utopique, se déploie avec une richesse de beaux décors. La colorisation de Grelin, douce et contrastée, accentue les ambiances.

La réparation comme contre-modèle du monde

Au cœur de Folklore, un motif revient sans cesse : celui de la réparation. Gayatri aime la patience, le soin, la restauration. Elle ne veut pas briser pour remplacer, elle veut comprendre pour réparer. Chaque objet rafistolé devient ici une métaphore du lien, de la mémoire et du choix de « faire durer ».

Piccolo, en vieux grincheux, est à la fois gardien du savoir et figure de la résistance au progrès idiot. Et pourtant, il finit par transmettre — à sa manière — ce que l’institution aurait refusé à Gayatri : une vraie place dans le monde, conquise non par héritage mais par mérite, travail et passion. Il lui offrira même de diriger à ses côtés.

Une fable sociale et féministe

Derrière l’enchantement visuel et le souffle du conte, Folklore est aussi une fable sociale. Il y est question de castes, d’assignations de genre, de privilèges et de déclassements. Gayatri se heurte à des barrières visibles (le mépris de classe) et invisibles (les attentes paternelles, voire la misogynie institutionnelle. Mais c’est avec douceur, humour et détermination qu’elle les contourne, les transforme. Sa relation avec Asha incarne à merveille l’esprit de sororité : une solidarité féminine non théorisée mais vécue, faite de gestes simples, d’écoute et de reconnaissance mutuelle.

Le rêve d’une vie choisie

À la fin de son Folklore, Gayatri n’a pas changé de monde. Mais elle s’est affirmée dans le sien. Elle ne fuit pas son héritage : elle le transforme, le répare à son tour. Le message est clair, lumineux sans être naïf : l’émancipation ne vient pas du rejet de ses racines, mais de leur réinvention. Voilà où réside la valeur de cette bande dessinée : montrer que la magie la plus puissante est celle qu’on fabrique soi-même, à force de courage, d’amour et de précision. Un engrenage, un rêve, une amitié, une montre réparée… autant de petites victoires qui font, au final, une vie juste.

Folklore – La Mécanique des rêves est une fort sympathique ode à la conscience de soi et de ses désirs, à l’art modeste de prendre soin des choses, des autres et de soi-même. Un album jeunesse, mais pour tous, car réparer les rêves, après tout, c’est toujours l’affaire de chacun.

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Folklore – Le Renard de Roman, Scénario : Loïc Clément, Dessin : Maud Begon, Couleurs : Grelin, Univers original : Anne Montel et Loïc Clément. Editions Dargaud, 56 pages. 16€50. Parution : 16 mai 2025

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Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.