Avec Le Renard de Roman, qui fait bien sûr écho au Roman de Renart, deuxième tome du cycle Folklore publié chez Dargaud, Loïc Clément poursuit son exploration d’un univers jeunesse aussi enchanteur que lucide. Après La Mécanique des rêves, cette nouvelle aventure s’attache au jeune Ascelin Miranda de Arga, pris entre deux mondes, deux lignées, deux façons d’envisager l’existence. Illustré par Lionel Richerand, ce conte visuel foisonnant est aussi un roman de formation, une satire sociale et un éloge de la transmission réparée. Un relecture du Roman de Renart teinté de picaresque.
Dans le monde de Folklore, chaque adolescent reçoit un jour une clé magique qui signe l’entrée dans la vie adulte. Ce passage initiatique le conduit à Babel, cité-monde de tous les possibles, pour y accomplir un rite personnel d’apprentissage. Ascelin, fils d’une foraine et petit-fils d’un aristocrate déchu, se voit ainsi tiraillé entre les ruelles chaotiques de la foire et la rigueur froide du manoir familial. Ce schéma narratif s’inscrit dans la tradition du Bildungsroman : départ, épreuves, révélations, émancipation. Mais Loïc Clément y injecte une dose de métaphore politique et de lucidité psychologique. Le folklore n’est pas un conte de fées, c’est un champ de bataille intime.
Le grand-père d’Ascelin, Ysengrin, domine le récit de sa présence autoritaire et blessée. Vieil homme muré dans le souvenir de son prestige passé, il incarne la figure du patriarche coupé du vivant, rongé par la rancune. Ayant banni sa fille pour avoir épousé un homme de condition inférieure, il voit dans son petit-fils un intrus… ou une seconde chance. Personnage shakespearien, Ysengrin est à la fois ridicule et tragique. Il parle de morale mais cultive l’amertume ; il refuse l’amour mais s’effondre dès que l’amour lui échappe. Il est l’antihéros d’une aristocratie de papier, incapable d’aimer sans dominer.




Face à lui, Ascelin évolue avec agilité. Tour à tour rusé, ému, insolent et déterminé, il incarne le renard du bestiaire médiéval : plus prompt à contourner l’obstacle qu’à l’affronter de front, mais toujours fidèle à ceux qu’il aime. Loin d’un héros naïf, il manie les silences, les lettres cachées, les retournements dramatiques comme autant d’armes morales. Sa plus grande victoire ? L’ouverture d’un coffre supposé inviolable, révélant la vérité des lettres échangées entre sa mère et sa grand-mère, tenues secrètes par le serviteur Roonel. Par cet acte, Ascelin rétablit un lien brisé et libère l’histoire familiale de ses non-dits.
Le dessin de Lionel Richerand déploie une esthétique qui mêle les influences de la gravure médiévale, du cinéma expressionniste et de l’animation surréaliste. Le trait expressif, les couleurs saturées de Grelin et Richerand, les changements de typographie selon les voix et les tons, tout concourt à faire de Folklore une œuvre visuelle immersive. Babel devient un théâtre de papier où se joue l’éternel conflit entre origine, choix et avenir.
Le grand thème de Folklore : Le Renard de Roman est la possibilité de se forger soi-même, même en héritant de ruines affectives. Loin de fuir ses origines, Ascelin les affronte, les transforme, les honore sans s’y soumettre. Il n’est ni un aristocrate, ni un simple forain. Il est un bâtisseur de ponts. Le récit aborde ainsi : la filiation conflictuelle et les cicatrices transgénérationnelles ; la liberté de choisir contre la fatalité héréditaire ; l’usage de la mémoire familiale comme levier d’émancipation.
Avec ce deuxième tome, la série Folklore confirme sa puissance : à hauteur d’enfant, elle dit l’essentiel du monde adulte. Le langage est vif, poétique sans être sucré. L’intrigue est riche sans être obscure. Le message est fort : il n’est jamais trop tard pour réparer une histoire familiale, pour aimer mieux, pour choisir sa voie. Et comme le dit Ascelin dans les dernières pages, en écho à la promesse inaugurale :
« Je suis le fils de mon père, le fils de ma mère, l’héritier de mes aïeux… mais avant tout : je suis moi. »

La librairie M’enfin ?! donne rendez-vous à partir de 16h30 pour un dessin-live réalisé par les illustrateurs et illustratrices suivi d’une dédicace.
Folklore – Le Renard de Roman, Scénario : Loïc Clément, Dessin : Lionel Richerand, Couleurs : Grelin & Lionel Richerand, Univers partagé avec : Anne Montel. Editions Dargaud, 152 pages. 18€50. Parution : 16 mai 2025
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