Dans son second roman Dépendance day, Caroline Vié empoigne la plume pour tracer des lignes contre l’oubli, contre la dégénérescence émotionnelle et familiale. Un roman en forme de constat et de lutte douce-amère contre un fléau familial et collectif.
Elles s’appellent Lachésis, Clotho et Mortha, comme les Trois Parques. Ce sont trois générations de femmes qui filent leurs vies entre joies familiales et blessures secrètes. De mère en fille, surtout, elles se piquent à la même quenouille : l’oubli, la fantaisie, la folie. C’est le même rouet, la même malédiction qui viennent assombrir leurs destinées. Cette malédiction porte un nom : Alzheimer, et sa menace génétique.
C’est un thème difficile que Caroline Vié aborde dans son second roman. Et elle l’accomplit avec beaucoup de courage et d’humour noir.
De quoi s’agit il ? Dependance day s’attaque de front aux maladies familiales héréditaires. Tout au long de ce livre choral, on suit ces trois héroïnes à intervalles réguliers. On apprend vite que Clotho a du enfermer Lachésis ; Morta, la narratrice, qui écrit des polars dans l’indifférence générale, sait qu’un jour, elle devra également enfermer Clotho, sa mère, avec laquelle elle entretient une relation intime. Un jour, pourtant, le verdict tombe : il faut placer Lachésis dans une maison spécialisée. Sa mémoire défaille un peu, puis, de plus en plus elle s’appauvrit, jusqu’à devenir totalement obsolète. De mère en fille, c’est le même amour, la même impuissance. Pourtant, la démence sénile est apparue. Il faut se faire une raison même si rien n’est plus injuste que de voir cette maladie humiliante que rien ne corrompt, progresser et s’étendre. Même s’il est abject de voir ainsi s’effacer la vie de ceux qu’on aime. Morta portera t-elle à son tour le fardeau honteux de la famille ? Il est hélas difficile de faire mentir la génétique.
On s’éprend facilement des personnages, attachants : le frère Didi, la meilleure amie Véronique avec lesquels Morta entretient des relations fusionnelles : s’éloigne ainsi chez Morta vampirisée par le doute, momentanément, du moins, la détresse qui rode, l’angoisse de tout oublier. De se réveiller subitement un matin, dépossédée de ses souvenirs. .
Caroline Vié a écrit un livre qui dérange et bouscule les idées reçues sur toutes ces catharsis familiales, souvent tues, parce qu’honteuses. Pas vraiment facile d’expliquer longuement, comme le fait ce roman, le drame que supporte ces familles touchées de plein fouet par la maladie qui frappe à répétition, et la peur qu’elle distille. Avec en prime l’anéantissement qui consume les souvenirs qui nous font et nous façonnent, la face cachée du monstre Alzheimer est révélée ici, rappelant combien la société délaisse en partie ces mondes ensevelis et piétinés par la perte lente de ceux qui nous sont chers.
Le style de Caroline Vié est efficace : phrases courtes, et revêches, pour dire l’angoisse exacerbée et les saillies de Morta, qui appelle un chat, un chat. Un livre intéressant, lucide au ton souvent caustique, pour dire intelligemment la trame de ces drames terrifiants.
Caroline Vié Dependance Day, JC Lattès, février 2015, 150 pages, 17€
Caroline Vié est l’auteur de Brioche (JC Lattès, 2012). Journaliste de cinéma, elle a longtemps participé à l’émission de Canal +, « Le Cercle », et travaille actuellement au quotidien 20 minutes. Dépendance Day est son deuxième roman.