Romancier de l’amour et du désir, chroniqueur sensible de la vie gay américaine, lecteur éclairé de Genet et Proust, il laisse derrière lui une œuvre essentielle. À la fois miroir des marges et analyse universelle de la condition humaine, ses livres ont accompagné des générations dans la conquête de soi et l’affirmation de la vérité intérieure.
L’Amérique littéraire perd l’une de ses voix les plus franches, les plus élégantes, les plus nécessaires. Edmund White s’est éteint à l’âge de 85 ans, emportant avec lui un pan de l’histoire de la littérature gay, mais aussi un art rare de parler du corps et de l’âme sans jamais céder ni à la facilité ni à l’obscénité.
Selon les informations confirmées par son agent Bill Clegg à plusieurs médias américains (The New York Times, Washington Post), l’écrivain est décédé le 3 juin 2025 dans son appartement new-yorkais. Son mari, Michael Carroll, a précisé qu’il avait été victime d’une crise soudaine liée à une violente gastro-entérite alors qu’il attendait l’arrivée des secours. Son décès survient à un âge où il continuait encore d’écrire et de publier, laissant derrière lui une œuvre monumentale.
Je n’étais pas gêné par ma propre immoralité, puisque je savais que j’étais sensible à autrui et je pris ma compassion facile pour de la bonté.
L’homme fut d’abord un pionnier. Il est de ces écrivains qui ont eu le courage d’écrire ce qu’il était longtemps interdit d’écrire. Dès les années 1970, alors que le monde hétérocentré masquait encore la réalité homosexuelle sous un voile de déni ou de stigmatisation, White donna au désir masculin ses mots et ses paysages. Avec A Boy’s Own Story (1982), The Beautiful Room Is Empty (1988), The Farewell Symphony (1997), il offrit une trilogie d’une lucidité foudroyante sur l’éveil du désir, la violence sociale et le lent apprivoisement de soi.
Je rêvais continuellement, durant mon adolescence au pensionnat, d’un adulte (mon prof de gym, l’un des peintres de l’école d’art où nous allions prendre des cours) qui s’occuperait de moi, devinerait mes pensées, anticiperait mes besoins (car je ne les aurais jamais exprimés et lui, s’il m’aimait, serait capable de lire en moi).
Mais réduire Edmund White à la littérature gay serait lui faire injure. Ce qu’il a poursuivi, toute sa vie, c’est une quête de vérité intérieure. Avec The Farewell Symphony, roman crépusculaire sur l’amitié, la maladie et la finitude, il atteint une forme de dépouillement bouleversant. White écrivait comme on marche en funambule : avec une extrême sincérité, mais sans jamais perdre la maîtrise du style.
Rimbaud m’a donné envie de vivre en France et de découvrir sa littérature.
Installé longtemps en France — d’où il devint l’un des meilleurs passeurs de Proust et de Genet pour le public américain — Edmund White avait ce regard décalé, à la fois tendre et ironique, sur ses contemporains. Son art du portrait — on songe à ses mémoires, My Lives (2006), ou à ses essais littéraires — est d’une justesse cruelle, jamais méchante, souvent lumineuse.
Au fil des décennies, il aura été bien plus qu’un écrivain : un éclaireur pour toute une génération, une main tendue pour celles et ceux qui cherchèrent, dans l’Amérique du silence et du sida, des mots pour dire leur existence.
Edmund White s’en est allé. Mais son œuvre reste, immense, généreuse, nue, précise comme un scalpel et tendre comme une main amie. Comme il l’écrivait : « La vérité est toujours plus belle qu’on ne l’imagine. »
L’œuvre d’une vie : les livres majeurs d’Edmund White
- Forgetting Elena (1973)
- Nocturnes for the King of Naples (1978)
- A Boy’s Own Story (1982)
- The Beautiful Room Is Empty (1988)
- The Farewell Symphony (1997)
- The Married Man (2000)
- My Lives (2006, memoir)
- City Boy: My Life in New York During the 1960s and ’70s (2009, memoir)
- Jack Holmes and His Friend (2012)
- Our Young Man (2016)
- A Saint from Texas (2020)
Essais et biographies :
- States of Desire: Travels in Gay America (1980)
- Genet: A Biography (1993)
- Marcel Proust (1999)