Eurovision 2025. Des réformes en réponse à la manipulation par l’agence israélienne de publicité

israel eurovision

Depuis sa deuxième place au concours de l’Eurovision 2025, la participation d’Israël continue de susciter de vives réactions à travers l’Europe. Entre les appels au boycott, les critiques d’un deux poids deux mesures et les rappels au caractère apolitique de l’événement, la polémique révèle une tension croissante entre expression artistique et contexte géopolitique. Retour sur un débat aussi complexe que sensible. Et les premières pistes de réformes.

Des soupçons de… manipulation politique

À ce jour, il n’existe pas de preuves concrètes d’un trucage du vote en faveur d’Israël lors de l’Eurovision 2025, contrairement aux affirmations du député Aymeric Caron.

Cependant, plusieurs éléments suscitent des interrogations sur l’intégrité du système de vote et la possibilité d’une influence politique organisée. La combinaison d’une campagne de promotion agressive, de vulnérabilités dans le système de télévote et d’une mobilisation politique dirigée soulève des questions sur l’équité du processus de vote à l’Eurovision 2025.

Ainsi, il apparaît que l’agence gouvernementale israélienne de publicité a mené une vaste campagne de promotion numérique pour soutenir la candidature de Yuval Raphael. Des publicités ciblées ont été diffusées dans 35 pays, incitant les internautes à voter massivement pour Israël avec des slogans comme « Votez jusqu’à 20 fois » – une pratique certes autorisée par le règlement, mais critiquée pour ses effets sur l’équité du concours. Des internautes ont également rapporté avoir pu voter plusieurs dizaines de fois avec différentes cartes de crédit, sans vérification d’identité forte. Cette faille technique a permis une mobilisation coordonnée qui interroge la robustesse du système de télévote.

Ignasi Guardans, ancien directeur de l’UER, a évoqué une « activation politique dirigée » portée par des ambassades et des réseaux pro-israéliens, bien qu’il n’y ait pas eu de fraude automatisée. Pour lui, ces éléments appellent à une réforme structurelle du concours.

En réaction, plusieurs chaînes publiques – dont RTVE (Espagne), VRT (Belgique), RÚV (Islande), RTÉ (Irlande), NRK (Norvège) et Yle (Finlande) – ont officiellement demandé à l’UER des explications et un audit indépendant du vote. La chaîne espagnole a notamment exigé une « révision complète » du système de télévote. Le directeur du concours, Martin Green, a publié une lettre ouverte dans laquelle il affirme que le télévote a été « vérifié et validé », tout en se disant ouvert à une réforme.

Parmi les premières pistes de réforme évoquées par l’organisation figurent : une limitation du nombre de votes par personne, un encadrement plus strict des campagnes numériques, et une révision des règles de promotion internationale. L’UER souhaite engager un dialogue approfondi avec les diffuseurs nationaux en amont de l’édition 2026, qui se tiendra en Suisse.

En filigrane de cette affaire, c’est toute la crédibilité du concours Eurovision qui est en jeu. À l’heure où les tensions géopolitiques influencent de plus en plus les perceptions publiques, les soupçons de manipulation — même indirecte — viennent affaiblir le principe d’apolitisme revendiqué par le concours depuis ses origines.

Chronologie des faits

  • 11 mai 2025 : Israël termine 2e du Concours Eurovision, boosté par un télévote massif.
  • 13 mai 2025 : Premiers soupçons relayés sur les réseaux sociaux concernant des votes multiples facilités par l’absence de vérification d’identité.
  • 15 mai 2025 : Des révélations médiatiques confirment qu’une agence gouvernementale israélienne a payé des campagnes de publicité ciblées dans 35 pays.
  • 16–20 mai 2025 : Plusieurs chaînes publiques européennes (Espagne, Belgique, Islande, Irlande, Norvège, Finlande) publient des communiqués officiels et exigent un audit du télévote.
  • 22 mai 2025 : Martin Green, directeur de l’Eurovision, publie une lettre ouverte défendant l’intégrité du processus tout en annonçant une réflexion sur d’éventuelles réformes.
  • 23 mai 2025 : Le débat prend une ampleur politique : le Premier ministre espagnol appelle à l’exclusion d’Israël du concours à venir.

La séquence révèle une fracture croissante entre les principes affichés du concours et les usages géopolitiques qui tentent de s’y greffer.

Les pistes de réforme envisagées par l’UER

  • Limitation du nombre de votes par personne : actuellement fixé à 20 dans certains pays, ce plafond pourrait être réduit pour éviter les campagnes massives coordonnées.
  • Encadrement des campagnes de promotion : les diffuseurs réclament des règles plus strictes pour empêcher les opérations de communication financées par les États.
  • Audit indépendant du télévote : plusieurs chaînes ont demandé à ce qu’un audit technique soit mené sur les méthodes de comptage et les vulnérabilités potentielles.
  • Renforcement de la transparence : l’UER s’est engagée à plus de clarté dans la publication des résultats du vote, pays par pays.
  • Dialogue avec les diffuseurs : des consultations sont prévues dans les mois à venir en vue de modifier le règlement d’ici l’édition 2026 en Suisse.

Martin Green, directeur de l’Eurovision, a déclaré que « le télévote a été minutieusement vérifié », mais se dit « ouvert à une amélioration du processus » en réponse aux critiques formulées.

Des critiques de plus en plus ouvertes

Dans plusieurs pays européens, des voix s’élèvent pour dénoncer la participation israélienne à l’Eurovision. Le Premier ministre espagnol a récemment déclaré qu’Israël « devrait être exclu » de l’édition 2025 en raison de la guerre à Gaza, parlant d’un « devoir moral » face à ce qu’il considère comme des « crimes de guerre ». En parallèle, plus de 4 000 artistes nordiques ont signé une déclaration appelant à l’exclusion d’Israël du concours.

Des manifestations ont également eu lieu à Bâle et dans d’autres villes d’accueil de l’Eurovision, où des rassemblements pro-palestiniens ont perturbé certaines répétitions. Des pancartes dénonçant le « silence complice » de l’organisation et des slogans appelant à un cessez-le-feu immédiat ont marqué ces événements.

Les arguments des défenseurs d’une participation israélienne

Pour d’autres, au contraire, l’Eurovision ne doit pas être un instrument de pression diplomatique. L’Union européenne de radiotélévision (UER), organisatrice du concours, rappelle régulièrement que l’Eurovision est un événement non politique, ouvert à tous les membres de l’UER, qu’ils soient ou non situés en Europe géographique. Israël, membre depuis 1973, y a déjà remporté quatre victoires.

Certains défenseurs de la participation israélienne estiment par ailleurs qu’exclure un pays pour des raisons géopolitiques ouvrirait une boîte de Pandore : d’autres États engagés dans des conflits ou sujets à des critiques internationales pourraient également être visés. À leurs yeux, ce serait s’écarter de la mission première du concours : célébrer la diversité musicale au-delà des frontières.

Un dilemme insoluble pour les organisateurs ?

Pris entre les appels à la cohérence éthique et la défense de l’universalité artistique, l’UER se retrouve dans une position difficile. Elle a choisi de maintenir la participation d’Israël tout en renforçant les mesures de sécurité et en appelant au respect de tous les participants.

Ce choix est critiqué comme étant une forme de neutralité de façade par ceux qui estiment que l’art ne peut être totalement déconnecté du monde réel. D’autres y voient au contraire une manière de préserver un espace d’expression pacifique, où des artistes israéliens peuvent justement représenter d’autres voix que celles du gouvernement.

Un débat appelé à durer

Alors que la prochaine édition est prévue en Suisse, les polémiques ne semblent pas prêtes de s’éteindre. Le débat dépasse le simple cadre de l’Eurovision : il interroge plus largement les responsabilités morales des institutions culturelles dans un monde de plus en plus polarisé. Entre les appels à l’exclusion et la défense d’un espace musical ouvert, c’est une certaine idée de l’Europe – de ses valeurs, de ses contradictions et de ses frontières symboliques – qui est mise à l’épreuve.

Article connexe :

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !