Juliette Binoche à Cannes 2025 : une parole courageuse, un ton discutable…

À l’ouverture du Festival de Cannes 2025, la très grande actrice Juliette Binoche, cette année présidente du jury, a tenu un discours engagé qui a fait réagir bien au-delà du monde du cinéma. Rendant hommage à la photojournaliste palestinienne Fatima Hassouna (voir notre article), tuée lors d’un bombardement israélien en avril dernier, l’actrice a prononcé une allocution qui mêle appels à la justice, à l’humilité et à la paix. Une prise de parole saluée pour sa portée humaniste, mais qui a aussi divisé par sa forme…

Dans un climat international où les voix critiques sur Gaza sont peu relayées sur les grandes scènes culturelles, Juliette Binoche a osé. Son discours, évoquant la guerre, les exils, les discriminations, mais aussi « l’orgueil » de nos sociétés et la nécessité de « redonner de l’humidité, de l’humilité », a replacé le cinéma dans sa fonction originelle : celle d’un art sensible au monde, témoin de ses fractures, et qui interpelle les consciences.

« L’art reste. Il est le témoignage puissant de nos vies, de nos rêves, de nos luttes, de notre humanité. Il révèle ce que nous ne voulons pas voir, et nous invite à guérir nos ignorances, à lâcher nos peurs, à changer de cap. »

Cette intervention n’est pas un geste isolé. Quelques jours plus tard, Binoche a rejoint une pétition signée par plus de 400 personnalités du cinéma dénonçant le « silence » sur le « génocide » en cours à Gaza. L’actrice s’inscrit ainsi dans une lignée d’artistes qui, de Jean-Luc Godard à Agnès Varda, n’ont jamais séparé l’art de l’éthique.

Mais si le fond est largement salué, la forme du discours a suscité des commentaires plus nuancés, voire moqueurs. Son ton très écrit, sa diction lente, mal empesée, ses images poétiques parfois obscures (« l’humidité », « guérir nos ignorances ») ont donné à certains l’impression d’un exercice scolaire, un peu trop habité, presque déconnecté de la gravité du moment.

Faut-il pourtant rejeter ce discours pour sa mise en scène ? Non. Car ce décalage est révélateur : Binoche ne parle pas en militante, mais en artiste. Elle n’a pas la rhétorique d’un avocat des droits humains, mais celle d’une comédienne nourrie de poésie, de théâtre, d’intériorité. Elle s’adresse au monde non avec des chiffres, mais avec des images, des vibrations, une gravité émotionnelle. Cela peut heurter ou émouvoir. Mais c’est aussi, peut-être, ce dont nous manquons dans un monde saturé de communication cynique. Une parole qui, même imparfaite, ne renonce pas à dire l’injustice, à l’heure où le silence devient complicité.

Dans un Festival souvent critiqué pour sa déconnexion des réalités, Juliette Binoche a introduit un trouble. En nommant Gaza, en rappelant que des artistes meurent pour avoir photographié leur peuple, elle a réintroduit le politique dans le champ du symbolique. C’est là sans doute ce qu’il faut retenir de cette intervention : la volonté de rappeler que le cinéma, et les artistes qui le font vivre, ne peuvent être indifférents au monde qui les entoure.

Malgré une forme inattendue, voire inadaptée, Juliette Binoche a agi en conscience et avec courage.

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Eudoxie Trofimenko
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