Rennes TDN 2025. Guillaume et Harold ou la tapisserie de Bayeux version Games of Thrones

tapisserie bayeux gaelle bourges

Dans sa nouvelle création Harold & Guillaume, la chorégraphe Gaëlle Bourges reprend l’épopée médiévale de la tapisserie de Bayeux. Dans le cadre des Tombées de la Nuit, Rennes accueille la première représentation dans l’espace public, à la Halle du Blosne, mercredi 2 juillet 2025. La création, qui flirte avec l’action de Game of Thrones, voit deux interprètes traverser les 77 mètres de l’œuvre textile dans une chorégraphie épique interrogeant l’histoire de l’art et les représentations.

« Les œuvres anciennes sont le terreau de notre imaginaire collectif », introduit la danseuse et chorégraphe Gaëlle Bourges. La nudité féminine dans la peinture avec le triptyque Vider Vénus (2009-2012), les grottes de Lascaux avec Lascaux (2015) et Revoir Lascaux (2016), Olympia d’Édouard Manet avec (La bande à) LAURA (2021), etc. Il ne fait nul doute que la production chorégraphique de Gaëlle Bourges révèle une sensibilité forte pour l’histoire de l’art. Depuis des années, elle traverse des œuvres emblématiques de l’art occidental et donne à regarder autrement ces bouts d’histoire sur toile ou façade. Dans l’analyse du moindre fil ou coup de pinceau qui construit une œuvre, la chorégraphe souhaite déconstruire les clichés des images qui habitent notre imaginaire en interrogeant l’époque de leur création, leurs représentations et leur réception. « On est reliés à ces images-là, qu’on les connaisse ou pas. Pour moi, celui qui ne connaît pas son histoire ne sait pas qui il est. »

gaelle bourges
Gaelle Bourges, danseuse et chorégraphe

« les images anciennes offre à un chorégraphe des possibilités sans fin. on peut remodeler les images à l’infini. »

Après les tapisseries de la Dame à la Licorne (À mon seul désir, 2014) et L’Apocalypse d’Angers (Ce que tu vois, 2018), Gaëlle Bourges nous fait revivre la tapisserie de Bayeux, œuvre du XIe siècle, dans Guillaume & Harold. « Ce n’est pas seulement une œuvre esthétique, elle est à la croisée de la politique et de la sociologie. » La création est la quatrième pièce de la « Collection tout-terrain », initiée par Alban Richard pour le centre chorégraphique national de Caen en Normandie.

Que raconte la tapisserie de Bayeux ?

Sur 77 mètres de long et 50 centimètres de haut, ce chef d’oeuvre du 11e siècle raconte la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, en 1066. Elle relate des faits qui vont de la fin du règne d’Edouard le Confesseur en 1064 jusqu’à la bataille d’Hastings en 1066.

En 1064, le roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur, charge son beau-frère, Harold, de se rendre en Normandie afin de proposer à son petit cousin, le duc de Normandie, Guillaume, le trône d’Angleterre. Après avoir traversé la Manche et maintes péripéties, Harold transmet le message du roi Édouard à Guillaume. Avant de repartir auprès du vieux roi, Harold prête serment de fidélité à Guillaume sur les reliques de la cathédrale de Bayeux. Cependant, à la mort d’Édouard, Harold accepte d’être couronné roi d’Angleterre à la place de Guillaume. Nous sommes le 6 janvier 1066.

tapisserie bayeux gaelle bourges

À cette nouvelle, le duc de Normandie traverse la Manche avec sa flotte pour reconquérir son trône dans la nuit du 28 septembreAu matin du 14 octobre 1066, la bataille d’Hastings s’engage entre l’armée de Guillaume et les hommes d’Harold. Elle sera décisive, Harold mourra à la fin de la journée d’une flèche dans l’oeil. Guillaume est couronné roi d’Angleterre à l’Abbaye de Westminster en décembre 1066.

58 scènes défilent le long de la tapisserie, 25 scènes se déroulent en France et 33 en Angleterre, 10 scènes sont consacrées à la Bataille d’Hastings. 626 personnages, 202 chevaux et mulets, 41 navires, 37 édifices (dont le Mont-Saint-Michel) habitent l’oeuvre textile. Tout ce beau monde, Gaëlle Bourges donne vie à tout ce beau-monde dans un aller-retour entre passé et présent.

Gaëlle Bourges chorégraphie l’histoire de Guillaume & Harold

Dans chaque création, Gaëlle Bourges remonte à la source des images. Corps et langues s’interpénètrent afin de révéler de nouveaux chemins. « Nos corps sont modelés par le siècle dans lequel on vit. Alors, comment, avec nos corps contemporains, on se saisit des postures d’un siècle passé ? » Guillaume & Harold ne déroge pas à la règle. Il ne s’agit pas seulement figurer les personnages : l’analyse de la tapisserie induit l’analyse du mouvement et de la pose.

Les interprètes Camille Gerbeau et Pedro Hermelin Vélez s’emparent de ces corps du passé et, avec une poésie propre à leur corporalité contemporaine, ils incarnent les figures principales de la tapisserie. « Camille a 40 ans et une formation de danseur classique et acrobate. Il a un rapport très terrien. Pedro a 25 ans et est performeur. Il a une posture plus aérienne », nous informe-t-elle. « Ils font aussi les autres personnages, Ils traversent les choses, mais ne les boursouflent pas. »

Gaëlle Bourges interroge la manière avec laquelle il est possible de travailler avec ces corps anciens, mais aussi ces musiques d’époque. De la même manière que les danseurs interprètent ces états de corps du XIe, le compositeur Stéphane Monteiro aka XtroniK s’est en effet inspiré des mélodies d’antan. « On a l’habitude de travailler avec les musiques des époques historiques qu’on traite », précise-t-elle. « C’est encore une fois la question de savoir comment un compositeur d’aujourd’hui utilise cette musique. Qu’en fait-t-il avec ses machines ? »

Dans un procédé identique à celui utilisé pour sa création Front pour Front, avec Hildegarde de Bingen, la musique de fond de Harold & Guillaume a été conçue à partir de mélodies du XIe siècle. Le compositeur a étiré les sonorités jusqu’à ce qu’elles deviennent une musique électronique très douce. « Stéphane a été cherché des sons de bataille avec lances, épées et flèches, qu’il a ensuite modifié. Ça donne une dimension percussive, à tel point qu’on ne remonte pas la source des sons », renseigne-t-elle. « Par dessus, la musique du XIe vient percer ces nappes occurrence contemporaine. »

Microvisite La Tapisserie de Bayeux à La Micro-Folie

Au delà de la partition chorégraphique, Gaëlle Bourges porte aussi une attention particulière au texte : la langue se déploie parallèlement à la chorégraphie, en voix off ou performée par une personne au plateau, et révèle la complexité de ce que l’on est en train de voir. « Tout n’est pas noir ou blanc. On pourrait croire que la tapisserie est à l’honneur de Guillaume, mais c’est plus complexe. Revenir à la complexité de l’Histoire permet de comprendre la complexité d’aujourd’hui. »

Dans une société actuelle féministe et anti-patriacale, la chorégraphe évoque notamment la présence des femmes : sur 666 personnages, seulement trois femmes figurent sur la tapisserie. « On perce la linarité du récit pour leur donner de la place. » La chorégraphe interroge nos constructions culturelles et le monde actuel avec une proposition aventureuse qui plonge le public dans un univers tant narratif que chorégraphique.

Infos pratiques :

Guillaume & Harold de Gaëlle Bourges, mercredi 2 juillet 2025 de 15h et 17h
Halle Agnès Tirop (Halle du Blosne), place Jean Normand
Durée : 30 minutes