Des livres sous le sapin ! En ce mois de décembre 2017, l’actualité littéraire prend des allures festives. À quelques jours de Noël, le livre se veut cadeau s’adaptant à toutes les passions de nos proches.
Pour les passionnés d’art et de photographie, L’art de l’érotisme (Phaïdon, novembre 2017) propose une superbe exploration de l’art érotique à travers les siècles, de Michel-Ange et Rembrandt à Picasso et Warhol. Dans cet ouvrage magnifiquement conçu et présenté, Rowan Pelling, journaliste et critique d’art, met en lumière de manière chronologique près de 200 œuvres érotiques, emblématiques ou moins connues.
Autre facette de l’art, celui qui s’expose dans les rues du monde entier, Street Art (Editions Hugo Desinge, octobre 2017). Dans ce magnifique album, véritable bible pour tout amateur d’Art Moderne en général et de Street Art en particulier, Alessandra Mattanza fait parler les 20 plus grandes signatures de l’art de rue et expose leurs plus grandes œuvres.
Le livre de cuisine fait toujours recette. Cette année, je vous convie au chauvinisme et à l’originalité. Tout d’abord, un livre 100% breton, Breizh (La Martinière, octobre 2017). Avec des fiches produits mettant en lumière les cultures et traditions locales, plus de cent recettes de l’incontournable Kig ha farz et Kouign-amann aux plats plus singuliers comme le Soufflé au chouchenn ou la Coucou de Rennes rôtie au cidre et coings, Thierry Breton recense ce qui se produit et se cuisine de meilleur entre Guérande et la presqu’île de Crozon. Illustré par le talentueux photographe Louis Laurent Grandadam, ce livre valorise avec brio une gastronomie à fort caractère.
Si vous souhaitez quelque chose d’un peu plus surréaliste, quoi de mieux que la réédition du livre de Charles de Cordier, Les dîners de Gala (Phaïdon, septembre 2016). Grâce aux recettes traditionnelles de grands restaurants parisiens, vous retrouverez la cuisine exotique et la fantaisie des dîners mondains de Salvador et Gala Dali. Pas seulement avec le chapitre consacré aux mets aphrodisiaques, ce livre assure une partie de plaisir pour tous les sens.
Quelques coffrets pour les passionnés de lecture :
Le livre de Poche propose cette année pour les amateurs d’Agatha Christie, un superbe coffret Hercule Poirot contenant cinq volumes aux couvertures colorées.
Surfons sur le succès du livre puis de la série télé auréolée de récompenses, The handmaid’s tale, en offrant le coffret La servante écarlate de Margaret Atwood (Robert Laffont, novembre 2017)
Et pour laisser la parole aux femmes, découvrons aussi celles d’ailleurs avec ce roman de Hamdy el-Gazzar à la très belle couverture, Aux femmes ( Belleville, octobre 2017). Après avoir enseigné la philosophie, Saïd souhaite travailler dans l’atelier de menuiserie familiale. De retour dans le quartier du vieux Caire où il a grandi, entouré de femmes, il devient leur confident.
Parce que Noël est surtout la fête des enfants et qu’il convient, dès leur plus jeune âge, de leur montrer la valeur des belles choses, voici deux livres qui savent mettre en valeur un message important sous les plus beaux dessins.
La princesse de l’aube ( La Martinière, mai 2017) de Sophie Benastre, illustré par Sophie Lebot est un conte à visée écologique qui permettra aux plus jeunes de saisir l’importance à apprécier et respecter la nature.
Avec un même esthétisme, Benjamin Lacombe illustre L’ombre du Golem (Flammarion, septembre 2017, une édition de luxe en coffret est parue en novembre 2017), un texte à la portée universelle écrit par Éliette Abécassis.
Danseuse brésilienne, Paula Pi a présenté sa première pièce intitulée Ecce (H)omo au Musée de la Danse dans le cadre du Festival Tnb de Rennes. Elle a ébloui le public avec cette reconstruction de Afectos humanos (1962) de Dore Hoyer, danseuse expressionniste allemande du milieu du XXe siècle. Paula Pi porte des ancrages forts et une gestuelle minutieuse d’une grande délicatesse qui caractérisent le rythme et les respirations singulières de ce courant. A l’ordre du jour sont retenus 5 affects : La Vanité/L’Orgueil (Eitelkeit/Ehre), L’Avidité (Begierde), La Haine (Hass), L’Angoisse (Angst) et L’Amour (Liebe). Paula Pi perpétue la force et la vigueur de cette forme de danse avec une remarquable générosité.
Paula Pi a étudié la musique puis le théâtre et le butoh. Mais l’attirance vers la danse qu’elle pensait inaccessible – ne possédant aucune formation classique – a été plus forte que toutes ses réserves. En voyant danser Paula Pi, il est évident que cet art était incontournable pour l’artiste, elle se fond dans le mouvement, elle est le mouvement. Après avoir été musicienne dans un orchestre et fait de la mise en scène d’opéra, elle commence une carrière de danseuse à 28 ans seulement. Quand elle arrive en France afin de suivre le master Exerce au CCN de Montpellier en 2013, Paula Pi retient immédiatement l’attention de la danseuse et chorégraphe Latifa Laâbissi (basée dans le pays rennais), spécialiste de Valeska Gert et Mary Wigman, et passionnée par les danseuses expressionnistes allemandes du début du XXe siècle. Latifa Laâbissi invite Paula Pi en résidence en Bretagne afin de créer sa première pièce : une reconstruction de Afectos Humanos de Dore Hoyer. Ce qui au départ était un travail de recherche d’étudiante s’avère avoir des résonances personnelles profondes. Paula Pi se voit poussée à porter cette œuvre vers un public plus large. L’historienne de la danse Isabelle Launay, qui travaille en étroite collaboration avec Latifa Laâbissi, fournit à Paula Pi les images vidéos d’une émission de télévision dans laquelle Dore Hoyer se produit et danse l’intégralité de sa pièce. C’est à partir de ces images et d’échanges avec de Susanne Linke et d’un travail en studio avec Martin Nachbar que Paula Pi explore cette danse.
Unidivers : Quelle est la première caractéristique de la danse de Dore Hoyer ?
Paula Pi : C’est une danse très chargée en termes d’énergie, et dans ma formation théâtrale et au butoh je suis passée par ces états très chargés que j’ai retrouvés dans la danse de Dore Hoyer. Le poids du fantôme est très présent.
Unidivers : Une danse modifie le danseur. Comment cela s’est-il passé avec cette danse ?
Paula Pi : Quand j’ai fait le pas d’aller vers la danse, j’ai très vite eu besoin de faire mes propres pièces, même sans avoir trop de référence, de façon très intuitive. Donc je n’ai pas eu beaucoup d’expérience d’interprète. Mais du coup, il est arrivé un moment où il m’a semblé que ma danse était trop limitée à moi-même. Cette pièce de Dore Hoyer est aussi un moyen pour moi d’inscrire directement dans le corps un répertoire, des matériaux, pour transformer ma façon d’être en mouvement. Le travail avec cette pièce modifie profondément ma façon de danser et même mon corps lui-même, ses formes. Quand je vois des photographies de Dore Hoyer, je vois qu’à force de travailler sa pièce, mon corps se rapproche du sien. C’est une danse qui n’est pas du tout organique
Unidivers : Comment s’est passé le processus de la transmission de la danse ?
Paula Pi : Dore Hoyer s’est suicidée en 1967 et n’a jamais transmis ses danses. C’est Waltraud Luley qui avait la charge de conserver toutes ses archives, elle était sa manager, sa productrice, son amie, son amante pendant un moment. Susanne Linke, qui a dansé avec Dore, reprend ses pièces en se basant énormément sur sa propre mémoire puisqu’elle a beaucoup vu Dore sur scène. Pourtant sa version est très différente, et elle ne danse pas La Haine (Hass), car elle considère qu’elle n’est pas assez masculine pour pouvoir faire cette pièce-là. Martin Nachbar, qui m’a transmis les danses, est allemand, mais comme beaucoup il a été formé à la danse américaine et reprendre les pièces de Dore était pour lui une façon de se familiariser avec cette danse allemande. Il a beaucoup travaillé avec Waltraud Luley, qui pensait qu’il ne pouvait pas danser L’Amour (Liebe) au risque d’être trop efféminé. Donc il en parle dans une sorte de conférence dansée. De mon côté, c’est la pièce qui m’a le plus attirée au début du travail. Susanne Linke et Martin Nachbar sont les deux seuls danseurs autorisés à transmettre les pièces de Dore. Lorsqu’une personne souhaite recréer une pièce de Dore, il est nécessaire, après avoir travaillé avec Susanne ou Martin, d’envoyer une vidéo aux Archives de Cologne afin qu’elle soit validée. Néanmoins il reste beaucoup d’espace, l’espace des intentions, à l’interprète pour créer sa propre version.
Unidivers : Comment se sont articulés le masculin et le féminin dans le travail ?
Paula Pi : Le rapport à la masculinité est très présent dans le processus de création de la pièce originale. Susanne Linke me disait qu’il fallait être masculine pour faire cette danse, car Dore Hoyer était hyper masculine. Je crois que Dore cherchait à faire des danses universelles. Je pense qu’elle voulait sortir de l’image de la femme qui danse. Elle avait des costumes très amples, une jupe avec beaucoup de tissu et on ne voyait pas très bien son corps, elle cachait ses cheveux, et pour la première danse, Vanité, elle portait des faux ongles très longs que j’ai décidé de reprendre pour toute ma pièce. Je pense que son point de vue à elle était de faire des danses « agenrées ». Intuitivement quand j’ai commencé à travailler, j’ai eu envie de mettre une barbe. Je ne pouvais pas copier la version de Dore puisque je ne la connaissais pas. Je suis partie de l’idée de copier Martin Narchbar avec qui je travaillais. Ma restitution serait forcément ma version d’après celle de Martin, qui à son tour avait fait les danses à partir du point de vue de Waltraud Luley. Et en studio, j’ai filmé une séance de travail au cours de laquelle je dansais à l’identique de Martin. Nous étions habillés de la même façon et j’ai éprouvé le besoin de mettre un barbe comme la sienne. Ça a été un moment troublant, une façon d’expliciter ce côté masculin nécessaire pour cette danse sans pour autant laisser de côté le féminin. Ça a été aussi pour moi une façon de donner de l’universalité à quelque chose de minoritaire. C’est une porte que Dore Hoyer a ouverte.
Unidivers : Avec un travail basé sur une archive se pose la question du titre à donner à l’œuvre nouvellement créée. Comment avez-vous choisi ce titre ?
Paula Pi : Je ne pouvais pas reprendre le titre de la pièce originale de Dore Hoyer puisqu’en la reconstruisant j’ai créé une pièce nouvelle. Dans Ecce (H)omo il n’y a pas que les danses de Dore Hoyer. Je modifie les costumes. Je rajoute du texte. Il y a en plus des problèmes de droit d’auteur qui auraient rendu impossible l’utilisation du titre. J’ai trouvé ce titre Ecce (H)omo dans les notes de Dore Hoyer. Lorsqu’elle créait la pièce, elle a noté ces mots avec une liste de plusieurs affects qu’elle a ensuite réduite aux cinq qui sont restés dans la version finale. J’ai trouvé cela intéressant d’avoir un titre lié au processus de création de la pièce d’origine, comme c’est une pièce en processus. Au départ, je pensais que la forme de la pièce reflèterait plus ostensiblement cet aspect « en cours ». C’est un peu comme si je voulais me placer avant la forme finale qu’a donnée Dore Hoyer. Le palindrome Ecce (H)omo reflète la symétrie des genres. C’est aussi dans ce sens-là que j’ai commencé à utiliser le verlan.
Dans Ecce (H)omo j’ai voulu aussi jouer avec la sensation que l’on éprouve lorsque l’on comprend quelque chose, mais que l’on se rend compte qu’on ne le comprend pas tout à fait. Je joue avec mon texte dont des bribes sont dites en verlan, d’autres en allemand, d’autres en français, mais en inversant l’ordre des mots comme le demande la grammaire allemande. Afin que l’on se dise « j’ai compris, mais en fait, je n’ai pas tout compris ». Cela retranscrit bien mon rapport avec cette archive.
Conception
PAULA PI
Regard extérieur, accompagnement et scénographie PAULINE BRUN
Dramaturgie et costume
PAULINE LE BOULBA
Création lumières
FLORIAN LEDUC
D’après une chorégraphie originale de
DORE HOYER
Musique
DIMITRI WIATOWITSCH
Transmission des danses
MARTIN NACHBAR
Avec
PAULA PI
Production : No Drama. Coproduction : ICI–CCN de Montpellier/Languedoc- Roussillon Midi-Pyrénées avec Life Long Burning; Centre national de la danse; PACT Zollverein; Honolulu avec le CCN de Nantes; Théâtre de Poche de Hédé- Bazouges avec Extension Sauvage. Avec le soutien du Fonds Transfabrik–Fonds franco-allemand pour le spectacle vivant. Le projet a bénéficié de l’aide du Centre Français de Berlin dans le cadre d’une résidence de création, ainsi que du soutien du Deutsches Tanzarchiv Köln.
Petite chronique pour petites parutions BD en ce mois de décembre 2017. Quelques pépites néanmoins à offrir ou à s’offrir…
Décembre compte les jours les plus courts de l’année. Peut-être cette lumière réduite explique la difficulté pour les auteurs de créer dans la pénombre et la très faible parution de BD en ce dernier mois de l’année. Plus sûrement, les éditeurs estiment certainement que deux semaines est un délai trop court pour promouvoir de nouveaux ouvrages et préfèrent consacrer leurs efforts sur les mois précédents. Aussi très peu de BD marquantes en cette fin d’année si ce ne sont des valeurs déjà établies, aux lecteurs assidus ou quelques reprises et éditions originales de « classiques ».
À ce titre les belles éditions Noir et Blanc, grand format, sont idéales pour être emballées dans du joli papier cadeau.
On trouve dans ce rayon, les tomes 10 à 12 de « Corto Maltese » (1), plus onéreux le tome 7 du « Chat du Rabbin » (2) paru en édition traditionnelle en novembre. Les « intégrales » ont également leur partisan permettant de combler des vides dans des bibliothèques ou d’offrir des œuvres déjà reconnues.
L’édition du tome 7 de l’intégrale de « Blueberry » (3) chez Dargaud est remarquable par la volonté retrouver une mise en page, un format et surtout les couleurs d’origine. Une manière parfaite de palier aux éditions nombreuses et inégales de la série culte.
Puisque l’on est avec le cow-boy au physique inspiré de Belmondo, notons aussi l’intégrale du « Marshall Blueberry » (4), triptyque résultant de la rencontre entre Giraud et Vance.
Plus réduite puisque elle ne concerne que deux volumes, l’intégrale de « La mort de Staline » conviendra aux lecteurs passionnés d’histoire (5).
On ne peut évoquer les « Beaux livres » sans cet « Art Book : Thorgal » (6) annoncé de Rosinski. Deux cent trente pages de dessins, de croquis du célèbre dessinateur, peintre, pour l’anniversaire des quarante ans de Thorgal. Un simple énoncé éditorial qui va faire saliver les admirateurs du célèbre héros devenu un classique de la BD et un « collector » qui ne sera pas fait pour caler les pieds de l’armoire normande.
Si vous avez un peu (beaucoup ?) d’argent inutilisé, faites-vous un plaisir avec l’édition spéciale du tome 21 de « Largo Winch » (7) sorti en édition normale en octobre. Très grand format, très cher pour cet ouvrage signé et limité à 399 exemplaires.
Dans les coffrets à noter la sortie des 3 séries consacrées aux « Mystères » de la troisième, quatrième et cinquième République (8), séries avec Philippe Richelle aux commandes des scénarios, cet auteur belge privilégiant les récits journalistiques dans les coulisses des pouvoirs.
Dans les albums originaux et inédits un seul titre a retenu l’attention : le neuvième opus de l’inclassable « Lincoln » (9), ce western philosophique loufoque et profond. Les huit tomes précédents, écrits et réalisés par cette petite entreprise familiale, étaient de véritables petits bijoux. Aucune raison que ce tome ne réponde pas à notre attente.
De 12 euros à 200 euros, le choix de BD est aussi large que sa palette éditoriale. Nouveautés ou rééditions luxueuses, à chacun de trouver son plaisir de lecture. Et la lecture en ces périodes de fêtes peut se « consommer » sans modération.
(1) « Corto Maltese » de Hugo Pratt. « Tango », « Les Helvétiques », « Mû la Cité perdue ». « Édition noir et blanc 2017 ». 22€ et 25€. Éditions Casterman. Parution le 6 décembre.
(2) Le Chat du Rabbin Tome 7. Joann Sfar. « Édition grand format noir et blanc ». Éditions Dargaud. 120€. Parution le 1er décembre.
(3) « Blueberry » Intégrale. Tome7. Charlier/Giraud. Parution le 8 décembre. Dargaud. 30€.
(4) « Marshal Blueberry ». Intégrale. Giraud/Rouge/Vance. Éditions Dargaud. Parution le 1er décembre. 30€.
(5) « La Mort de Staline » Intégrale. NURY/ROBIN. Éditions Dargaud. Parution le 1er décembre. 24,95€.
(6) « Thorgal Art Book » . Rosinski. Éditions le Lombard. 39€. Parution le 1er décembre.
(7) Largo Winch : l’Étoile du Matin ». Tome 21. Eric Giacometti. Éditions Dupuis. Format 49*42 cm. 199€. Tirage de tête. Parution le 1er décembre.
(8) Les Mystères de la Troisième, Quatrième et Cinquième République ». Éditions Glénat. Au scénario Philippe Richelle. Parution le 13 décembre 2017. Chaque coffret pour chaque République de 144 pages : 69€.
(9) « Lincoln » Tome 9 : « Ni Dieu, ni Maître ». Olivier, Jérôme et Anne-Claire Jouvray. Éditions Paquet. Parution le 9 décembre. 12€.
Nadine Brulat est l’invitée du Carré VIP (VieillePie), l’émission de radio dédiée aux femmes de plus de 50 ans (mais pas exclusivement !). Codiffusée par RCF Radio Alpha et Unidivers.fr, retrouvez Marie-Christine Biet et ses invitées deux fois par mois à la radio et sur le web.
Maintenant à la retraite, Nadine Brulat était professeur d’éducation physique et sportive jusqu’en décembre 2015 : « Au collège des Ormeaux, j’ai proposé de nombreux ateliers danse, dans différents cadres – sportif, accompagnement éducatif, danse… Les élèves avaient vraiment le choix. Au début, j’ai mis en place des projets transdisciplinaires (eps/danse, musique, français, histoire etc.) puis en 2006, un échange autour de la danse avec la Suède. Mais ce qui me tenait à cœur était la création de courtes chorégraphies avec les élèves, dans le but d’organiser un spectacle en fin d’année dans une belle salle, dans les conditions de professionnels. Après tout, les élèves avaient travaillé toute l’année, ils le méritaient bien ! Nous étions presque « associés » avec le théâtre de l’Aire Libre à Saint-Jacques-de-la-Lande où, pendant quinze ans, nous étions particulièrement bien accueillis ».
Parallèlement, Nadine Brulat a enseigné pendant 9 ans la danse aux élèves de 1ère option art/danse au lycée Bréquigny. Ce travail lui a permis de rencontrer beaucoup d’artistes : Julia Cima, Raphaël Cottin, Jean Guizérix, Dominique Jégou, Catherine Legrand, Thierry Micouin, Kathleen Reynolds, Andrea Sitter, Loïc Touzé…
Passionnée par la création, Nadine Brulat aime le croisement des arts et apprécie la collaboration avec des artistes, notamment avec Massimo Dean, comédien-metteur en scène (Cie Kali&Co).
Depuis 2005, date de fondation de l’association Hors Mots, plusieurs pièces ont vu le jour :
Debout parmi les étoiles (2007), sur l’univers de Léo Ferré
Un automne traversé (2009), sur le rendement, la spirale productiviste de la société
Des Printemps en partage (2011), sur l’adolescence
– Time after Time / Jours après Jours (2014), sur la notion de répétition, de cycle et du temps qui passe
– Créatures (2016), sur les femmes
– Nuit blanche (2017), sur la symbolique du blanc et l’imaginaire qui s’y rattache.
Les quatre premières pièces ont été jouées au festival Off d’Avignon.
En 2012, Nadine Brulat a été sollicitée par deux danseuses, Anne-Karine Lescop et Catherine Legrand qui souhaitaient reprendre Jours étranges, pièce du chorégraphe Dominique Bagouet, avec des ados. Elles lui ont confié une adaptation du Saut de l’ange avec dix-huit jeunes Rennais. En avril 2014, elle a œuvré à l’expo de photos et film sur la danse à l’Orangerie du Thabor. Enfin, en 2017, Nadine Brulat organise la Nelken-Line, projet initié par la Fondation Pina Bausch et Arte, avec 120 Rennais. Aboutissements du projet, les deux films réalisés par Sylvain Labrosse « Des Rennais dansent la Nelken »-Line (Rêveries hivernales et Balade urbaine) sont visibles sur le site de la Fondation Pina Bausch et vimeo.com.
Sa déclaration va à Anne Faligot
À l’origine de la création de l’association Hors Mots en 2005, elle a fait partie du bureau plusieurs années en tant que vice-présidente puis présidente, et aujourd’hui encore elle continue de suivre son évolution.
« J’ai connu Anne en tant que parent d’élèves au collège Les Ormeaux. Sa fille pratiquait la danse avec moi le mercredi dans le cadre de l’association sportive, et avait participé également à un projet transdisciplinaire d’une classe à PAC (projet artistique et culturel). Quelques années après sa fille Margaux, c’est son fils Tom qui a commencé la danse au collège et la continue au sein de l’association. Il a fait partie du groupe chorégraphique Des Printemps en partage qui a participé au festival Off d’Avignon en 2011.
Avec d’autres parents d’élèves danseurs elle a participé au lancement de cette asso dont l’objet est de permettre aux anciens élèves du collège de pouvoir continuer les ateliers de création en danse contemporaine après la 3ème. Anne a su dynamiser l’association, lui donner de la cohérence, solliciter les parents des danseurs, amener les jeunes à s’impliquer et chercher des subventions ».
Son coup de cœur va à Justine Ballay
« Elle a commencé la danse avec moi dès la 6ème. Depuis, elle ne m’a plus quittée ! Elle avait déjà suivi des cours de danse avant et a continué à en prendre ailleurs tout en continuant avec moi. Littéraire – avec ce que cela suppose de curiosité et d’ouverture d’esprit- elle est actuellement étudiante en 1ère année de licence Humanités à Rennes 2. Elle est attentive à mes explications, fait des liens entre sa pratique en danse, les informations données en cours et l’actualité. J’apprécie sa fidélité, sa simplicité, sa générosité, sa capacité à travailler avec les autres, bref son « humanité ». On peut dire qu’elle s’est vraiment « engagée » dans la danse ».
Les musiques choisies par Nadine Brulat :
– Léo Ferré : Tu ne dis jamais rien (CD Léo chante La Solitude 2003)
– Romica Puceanu & the Gore Brothers : Adu Calu’Sa Ma Duc (Sounds from a Bygone age Vol.2)
– Samuel Barber :Adagio pour cordes. Tchaïkovsky Chamber Orchestra – Dir. Lazar Gosman
El mundo entero de Julian Quintanilla : plus qu’un court métrage, un moment d’exception ! Comment s’étonner de la déferlante de récompenses que ce moyen métrage de 28 minutes est en train de récolter dans le monde entier, car c’est un véritable petit bijou de justesse et d’émotion que Julian Quintanilla offre ! Qualifié pour les Oscars 2018 et candidat au Prix Goya de l’Académie Espagnole, El Mundo Entero a déjà gagné 28 prix internationaux dont le 1er Prix du jury à Cleveland ainsi que celui du public. Sorti en salle le 28 novembre au MK2 Beaubourg.
Qualifié pour les Oscars de 2018 et candidat au Prix Goya de l’Académie Espagnole, El Mundo Entero a déjà gagné 28 prix internationaux, dont le 1er Prix du jury à Cleveland ainsi que celui du public.
Le réalisateur espagnol, Julian Quintanilla, filme une Espagne des années 1980, une Espagne colorée, qui rappelle l’esthétique des films d’Almodovar et le surréalisme de Buñuel. La truculente Loles Leon, qui y tient le rôle principal, n’est pas étrangère à ces comparaisons.
C’est dans une Espagne qui n’est plus franquiste depuis longtemps – enfin en principe (nous sommes en 1982) – que se déroule l’intrigue de ce petit morceau de génie qu’est El mundo entero. Julian, ou plutôt « Juli », rend visite chaque année à sa mère, qui repose en paix – enfin c’est très exagéré – dans le columbarium de la ville de Badajoz. En effet, tel un diable hors de sa boîte, elle surgit du néant pour converser avec son fils, et revenir sur des épisodes de leur vie commune. Rapidement le thème de l’homosexualité de Julian est évoqué. Elle lui raconte, comment, ayant pris très tôt conscience de sa « différence », elle a consulté un psy pour savoir comment réussir à bien l’élever, sans courir le risque de le blesser. La scène de cette rencontre est surréaliste et savoureuse. Loles León qui tient le rôle est simplement fabuleuse, elle donne corps à une mama espagnole, criante de vérité. Excessive, possessive, parfois colérique, elle n’en reste pas moins débordante d’un amour maternel qui transcende largement la mort.
La mère a pris l’habitude de demander au fils à chaque rencontre de réaliser quelque chose. Cette fois, il s’agit de modifier certains souvenirs de Peter, un jeune homo de son village, en butte aux lazzis et aux quolibets des adolescents de son quartier. En effet de son vivant, elle n’avait pas eu le courage de le défendre lorsqu’il subissait les insultes des machos en herbe. Il était accusé de ne pas aimer les « chochitos », petits bonbons acidulés, dont la traduction est « foufounes ». Bien sûr, il y aurait de quoi sourire si la réalité n’était pas si profondément triste. S’il existe en France une acceptation (parfois de façade) de l’orientation homosexuelle, l’Espagne des années 80 était très dure à son égard. Malgré le côté un peu dément de la situation, Juli, en fils obéissant, rend visite audit Peter qui a bien vieilli. L’occasion de découvrir tout ce que sa mère ne lui a pas dit…
Le court-métrage El mundo entero est un concentré d’émotions où la tristesse est sans cesse chassée par l’enthousiasme et par la furieuse jubilation devant la vie. On en ressort meilleur. Cette démonstration d’amour mutuel nous laisse à la fois heureux et abasourdis. Cela paraît incroyable, mais ce film fait du bien. Il fait partie du bonheur, il en est une manifestation palpable. Ce qui ne manque pas de beauté, c’est que cette mère, lorsqu’elle va voir le psy, ne pense pas à guérir son fils d’une maladie honteuse, pas du tout. Elle ne souhaite qu’une chose, être une bonne mère et ne pas imiter ses voisines qui pensent qu’un passage à l’armée ou un enfermement au séminaire devraient gommer les tendances fâcheuses de leurs garçons. Celle qui, peut-être, doit guérir, c’est elle !
Vous l’aurez sans doute compris à ces lignes enthousiastes, mais nous vous recommandons chaudement de voir El mundo entero. Ce film ouvre les yeux : il a un retentissement particulier pour chacun, mais ne laisse personne indifférent. Il est surtout un rappel, s’il en était besoin, à cette chose incomparable et magnifique qu’est l’amour d’une mère.
La dernière parole, c’est justement à une mère espagnole que nous la laisserons. Connue dans ces mêmes années 80, elle nous avait dit un jour « de un hijo, nunca te jubilas », c’est à dire, d’un fils, tu ne prends jamais ta retraite. El mundo entero nous le fait bien comprendre !
El mundo entero court-métrage espagnolréalisé parJulian Quintanilla avec Loles León, Julián Quintanilla, Cándido Gómez…Espagne, 2016, Fiction – Comédie, 29’53
El Mundo Entero sera projeté du 29 novembre au 5 décembre au MK2 Beaubourg à 19h.
Le Tout va bien est une anthologie exotique annuelle de titres de presse établie depuis 4 ans par Adrien Gingold et publié par le Tripode. Le monde en 2017 dans 136 titres de presse, eh bien, c’est à la fois surprenant, absurde, cocasse, déroutant, désopilant et plein d’espoir quant aux ressources fantaisistes du genre humain ! La preuve.
Un bébé goéland en garde à vue au commissariat d’Ajaccio (Corse Matin)
Par amour du calembour, il relie à vélo Parla-Montcuq (l’Obs)
Drancy : un curé judoka neutralise l’homme venu cambrioler son église (RTL)
Victime de son succès, le crématorium de Caen va s’agrandir (Tendance Ouest)
Pour son anniversaire, le dictateur tchétchène s’offre un combat d’enfants (Rue 89)
En pleine opération, le pet d’une patiente provoque un incendie (BFM TV)
Allemagne. L’agent des renseignements islamiste était aussi acteur porno (BFM TV)
Pour Noël, elles reçoivent une peluche avec la voix de leur grand-père mort (Rue 89)
Vaucluse. Le policier avait fermé les yeux en échange de sushis (La Provence)
Maison de retraite : privés de frites depuis plus d’un an, les seniors en appellent au maire (Europe 1)
Bagarre au club libertin à cause d’un bermuda (La Liberté)
Atelier « je fabrique mon cercueil » en maison de retraite (Funéraire Info)
Son opération du nez tourne mal, il ressort avec une érection permanente ((BFM TV)
Qui détient le record du monde de bisous (le Télégramme)
Un Breton, baron présumé de la drogue, arrête aux États-Unis alors qu’il se rendait à un concours de la plus belle barbe (France Info)
Un Californien visite Disneyland 2000 jours d’affilée (l’Obs)
Saut à l’élastique : il dit « no jump », elle comprend « now jump », saute et se tue (Le Parisien)
Retrouvez la suite dans Le Tout va bien 2017 aux Éditions du Tripode, 144 pages (on en a pour ses 8€ !)
Adrien Gingold
Que dire d’Adrien Gingold, le compilateur du Tout va bien ? Selon ses propres mots, sa vie n’a pas de sens. Ou alors elle en a mille. Il a passé 10 ans à Radio Nova, au cours desquels il sera standardiste, assistant d’émission, animateur, chargé de com et rédac chef du site internet. Il a également collaboré avec Ragga Magazine, Musiq, Snatch, Vibrations ou le tout nouveau Virage. Il est rappeur à ses heures sous le pseudo de Gingoldescu. Pour ses 30 ans, il s’est offert un an pour sillonner l’Amérique latine, période pendant laquelle il continue à alimenter son interminable collection de titres de presse sur son blog (ajustetitre.tumblr.com, avec plus de 250 000 abonnés). À son retour, il change de domaine pour travailler dans la production audiovisuelle. Adrien Gingold, c’est une envie protéiforme et un certain art de vivre.
La France n’a pas réussi à faire pencher le vote des États membres de l’Union européenne sur le glyphosate. Après trois ans de débats houleux, marqué par un constant lobbying du géant Monsanto, producteur du très critiqué Roundup, l’UE a décidé une nouvelle autorisation de l’herbicide pour une durée de cinq ans. Autrement dit a minima jusqu’en 2022.
Plutôt défavorable jusque-là, l’Allemagne a pourtant voté favorablement à l’instar de 17 autres pays, 9 se sont opposés et 1 abstenu. Après ce vote bien malheureux au regard de la santé des consommateurs européens et de la crise de confiance dans les agences européennes sanitaires, la France reste déterminée à sortir du glyphosate « au plus tard dans 3 ans » a indiqué le président Emmanuel Macron dans un tweet publié après la décision européenne.
« J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans », a souligné le chef de l’État. La France, lâché par l’Allemagne, « entend continuer, avec d’autres États membres, à peser au niveau européen pour que la Commission mène des études supplémentaires sur la dangerosité du produit et sur les alternatives pour les agriculteurs ».
« Il faut voir d’où on vient. Si nous n’étions pas intervenus, l’UE aurait revoté une autorisation pour dix ans », a souligné sur RTL le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. « Mais cinq ans, c’est trop long et les mesures d’accompagnement pour l’instant sont insuffisantes. Alors, on va regarder ce que la France peut faire de son côté », a-t-il ajouté, se disant « un peu triste » que l’Europe n’ait pas entendu « l’expression citoyenne » en faveur du principe de précaution. « Je suis convaincu que les alternatives (au glyphosate) existent, et trois ans me paraît un calendrier raisonnable pour concilier les points de vue », a-t-il dit.
Syndicat agricole majoritaire, la FNSEA a pris acte du vote, mais a déploré que Paris ait « fait bande à part ». Le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, s’est, lui, déclaré « heureux » qu’un accord européen ait été conclu, tout en appelant à trouver des solutions de remplacement au fameux principe actif du Roundup de Monsanto.
Après le vote européen, les ONG en avaient appelé au gouvernement français. « Il est toujours possible pour un pays (d’interdire) une matière active autorisée en Europe, il faut simplement le justifier auprès de l’UE, explique François Veillerette, porte-parole de Générations futures. La France doit être à la hauteur de sa promesse. »
Le glyphosate fait l’objet d’une âpre bataille depuis son classement parmi les cancérogènes probables, en 2015, par le Centre international de recherche sur le cancer (agence de l’OMS). L’Efsa, agence européenne de la sécurité alimentaire, est arrivée à la conclusion inverse. Résumé :
Le glyphosate est une molécule chimique herbicide de la multinationale américaine Monsanto commercialisée depuis 1974 sous la marque Roundup. Le glyphosate est le désherbant le plus vendu dans le monde (plus de 700 000 tonnes par an). « En France, le glyphosate fait partie, avec le soufre, des deux substances phytosanitaires les plus vendues », précise l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) : environ 8000 tonnes sont utilisées pour un usage agricole (6500 tonnes) et jardin (1 500 tonnes). Or, le 10 mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) classe le glyphosate comme « cancérogène probable pour l’homme ». Mais le 12 novembre 2015, l’Agence de sécurité alimentaire européenne (Efsa), rend un avis contraire : « il n’y a pas de lien de causalité entre l’exposition au glyphosate et le développement de cancer chez les humains ». Entre deux, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) estime que le glyphosate est « une substance causant des lésions oculaires graves, toxiques sur le long terme pour les organismes aquatiques, mais n’est pas cancérogène, mutagène et toxique pour la reproduction ». Cela étant, l’Anses juge « préoccupant » l’association du glyphosate et de l’un de ses adjuvants la tallowamine. Le 20 juin 2016, l’Anses retire les autorisations de mise en marché de 126 produits associant glyphosate et tallowamine. L’enquête de Marie-Monique Robin renfonce le clou : le glyphosate serait à l’origine de pathologies sévères chez les végétaux, les animaux et les humains. Au final, l’OMS est la seule institution à tenir le glyphosate pour « cancérogène probable ». Normal ! Comme viennent de le révéler Stéphane Foucart et Stéphane Horel du Monde, les études européennes (en vert sur l’infographie) ont été menées sous influence de Monsanto ; certains passages des documents du géant se retrouvant purement et simplement copiés-collés dans les rapports européens.
La mue automnale bien entamée, les jardins de Versailles connaîtront bientôt celle de l’hiver. Les paysages quitteront alors leur robe orangée pour le manteau neigeux. Fin d’un cycle, celui des saisons, mais début d’un voyage. Un Voyage d’hiver où les jardins de Versailles voient fleurir l’art contemporain.
Patrimoine et création contemporaine : un mariage pas toujours aisé, tant les résistances peuvent être grandes. On se souvient de l’exposition des œuvres de Jeff Koons en 2008, plus récemment, Anish Kapoor en 2015 et Olafur Eliasson, l’année passée. Pour cette 10e édition, Alfred Pacquement, commissaire pour l’art contemporain à Versailles, en collaboration avec Jean de Loisy, directeur du palais de Tokyo et son équipe de commissaires – Rebecca Lamarche-Vadel et Yoann Gourmel – ont imaginé un voyage invitant les visiteurs à déambuler d’un bosquet à un autre. 17 artistes ont investi ces salons de verdure. Répondant ainsi à la volonté de Catherine Pégard, présidente du château de Versailles, de maintenir le patrimoine vivant en inscrivant notamment l’art contemporain dans l’histoire des jardins.
Une autre manière de découvrir et de faire vivre les jardins qu’a bien compris Céline Minard, auteur de la fiction qui ouvre le catalogue de l’exposition. Les jardins deviennent un terrain de jeu où, par l’usage copieux de la personnification, la pierre se fait chair. Les sculptures s’animent et délaissent leur socle. Un récit anachronique où Céline Minard orchestre la rencontre entre « un grand roi », ses courtisans et les dieux, déesses et autres personnages mythologiques, avec le coassement des grenouilles pour symphonie.
La construction du catalogue est ingénieuse et rivalise d’originalité. Elle se présente comme un guide à l’usage de la visiteuse, semblant par là prolonger la fiction de Céline Minard, où s’entrecroisent les commentaires, plus ou moins explicites et développés, des commissaires. Une première énigme posée aux visiteurs par le sphinx de Marguerite Humeau présenté dans le bosquet de l’Arc de Triomphe. Le camaïeu de rouges de la végétation fait partie intégrante de l’oeuvre. Il annonce le destin que la bête hybride réserve à ceux qui, contrairement à Oedipe, ne parviendraient pas à résoudre l’énigme. Tentons de formuler une réponse : s’agit-il peut-être d’un message écologique, le sphinx étant là pour protéger la terre de l’humanité comme l’indique le titre de l’oeuvre.
Créature hybride à nouveau avec L’Oeil du sculpteur canadien David Altmejd. Quartz, poils, stylos, briquet, l’oeuvre n’est pas sans rappeler la représentation du dieu funéraire Anubis, mi-homme, mi-chien. L’autre sculpture de l’artiste intitulée Le Souffle renvoie aux mythes de la création. Créature et créateur, la sculpture œuvre à sa propre métamorphose. Les bras et les mains s’appliquent à donner forme au corps.
C’est au milieu des rochers du bosquet des Bains d’Apollon, composition du peintre Hubert Robert, qu’a pris place la poésie visuelle de John Giorno. Dans un style laconique et polysémique, les phrases du poète et artiste américain semblent entrer en résonance avec les groupes sculptés : WE GAVE A PARTY FOR THE GODS AND THE GODS ALL CAME.
Le bosquet de l’Étoile accueille la tête à demi-coupée de Mark Manders. Ce visage, entre sérenité et fragilité, a sans doute trouvé dans la clairière un espace de quiétude où s’assoupir. Proserpine s’est quant à elle parée de son habit d’hiver formé de rubans colorés, dans l’attente de sa métamorphose une fois le printemps revenu. Proserpine en Chrysalide témoigne de l’intérêt de Sheila Hicks pour les pratiques de tissage issues de diverses cultures et le lieu dans lequel l’artiste intervient.
Aérienne cette fois, l’installation Cloud Cities de Tomás Saraceno proposant un modèle utopiste d’habitat, entre Ciel et Terre, inspiré des toiles d’araignées. Poursuivons avec le Bassin du Miroir, devenu le royaume d’un serpent marin constitué de containers rouges fondus, matériau de récupération transformé par Anita Molinero.
La dernière section du catalogue est un parcours historique dans les jardins de Versailles présenté par Alexandre Maral, conservateur général, chef du département des Sculptures et directeur du Centre de recherche du château de Versailles.
Exposition Voyage d’hiver, Château de Versailles, 21 octobre 2017 au 7 janvier 2018. Céline Minard, David Altmejd, Jean-Marie Appriou, Olivier Beer, Hicham Berrada, John Giorno, Sheila Hicks, Marguerite Humeau, Cameron Jamie, Mark Manders, Anita Molinero, Rick Owens, Dominique Petitgand, Ugo Rondinone, Tomás Saraceno, Louise Sartor, Stéphane Thidet.
Catalogue d’exposition Voyage d’Hiver Céline Minard, Broché, 24,90 euros, 144 pages, 75 illustrations, 160 x 240 mm
C’est le 17 février 1673 que Jean-Baptiste Poquelin, autrement dit Molière, avec l’élégance qui convient à un grand acteur, tirait son ultime révérence. Il poussait la délicatesse jusqu’à rendre l’âme alors qu’il était en pleine représentation, la quatrième pour être exact, de son Malade imaginaire. C’était une des nombreuses occasions, et il s’en est peu privé, d’étriller le corps médical de son siècle ; lequel, par ses ridicules et ses outrances, le méritait très largement. Dès le 6 août 1666, Molière donne à Paris au Théâtre du Palais Royal la comédie intitulée le Médecin malgré lui qui demeure l’une de ses plus célèbres farces.
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
Le médecin malgré lui reste-t-il d’actualité ? Pas sous tous ses aspects, bien sûr, car le droit d’un mari à donner à sa femme quelques coups de bâtons est – fort heureusement – vigoureusement remis en question. Pour autant, l’épouse battue saura, avec une adresse toute féminine, lui rendre, intérêts compris, la monnaie de sa pièce…
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
Cette production de l’Opéra de Rennes démontre qu’en utilisant des talents locaux et les équipes de permanents de l’opéra, il est possible de réaliser un spectacle de qualité facilement transposable dans des salles plus petites avec un budget réfléchi.
Premier élément, le décor du médecin malgré lui. C’est avec un peu de réserve que nous avons vu le rideau s’ouvrir sur un austère cube, noir comme le tableau d’un instituteur d’antan. La première impression, pas forcément favorable, va évoluer au cours du spectacle; l’idée d’utiliser cette surface pour y dessiner à la craie toutes sortes de décors changeants et épurés donne à la mise en scène de Vincent Tavernier une note naïve et souriante, tout à fait en accord avec l’ambiance de la pièce. Les costumes d’Erick Plaza-Cochet sont dans le ton et contribuent avec sagesse à l’homogénéité de l’ensemble, même remarque pour les éclairages toujours subtils et équilibrés de Carlos Perez.
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
Restent bien entendu les parties théâtrales et vocales. Menée tambour battant par un Marc Scoffoni débordant d’énergie, la troupe des chanteurs satisfaits. Mais revenons à notre bouillonnant Corse trentenaire ! Non content de bien chanter, il nous invite à constater qu’il est tout à fait à sa place comme comédien. Joyeux et facétieux, il retrouve un public qui le connaît et l’apprécie. Jamais à la peine quand il s’agit d’amuser les autres, il plante un Sganarelle aussi convaincant que divertissant. Belle présence également pour Ahlima Mhamdi dans le rôle de Martine qui incarne avec talent l’épouse maltraitée, laquelle avec cynisme tire de son mari une vengeance plutôt cruelle.
Le Médecin malgré lui Molière Gounod Opéra de Rennes
Ce ne fut pas non plus le moindre des plaisirs que de retrouver Jean-Vincent Blot dans un rôle qui met en valeur ses qualités vocales et théâtrales qui ont étincelé dans sa truculente interprétation du barbon Géronte. Sylvia Kevorkian dans le rôle de Jacqueline confirmera sa remarquable présence scénique. Le rôle de la servante insolente qui n’hésite jamais à dire à son maître ses quatre vérités lui va comme un gant !
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
Le couple de serviteurs, Valère et Lucas, respectivement joués par Nicolas Rigas et Olivier Hernandez, est également un sujet de réjouissance. La partition qui met habilement en opposition un baryton-basse et un ténor donne à leurs échanges le piquant qu’exige la dimension comique de leurs interventions. Reste à traiter notre couple d’amoureux. Léandre, le ténor argentin Carlos Natale,donne de manière presque involontaire une touche exotique à son personnage en faisant des déclarations d’amour avec les intonations d’un Carlos Gardel – savoureux ! Son aimée, Lucinde, nous fait fondre comme un collégien amoureux devant la délicate et charmante Héloïse Guinard. Elle sait mettre en avant le caractère énergique de son personnage à l’instar de sa touchante fragilité. Sa voix, qui ne jouit pas encore de toute la puissance nécessaire, promet de jolies émotions. Issue de la classe de l’excellente Stéphanie d’Oustrac, il conviendra de la suivre avec attention.
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
Parlons musique. La perspective d’une pièce de Molière, sous la forme d’une comédie-ballet, nous donnait à penser que le genre musical serait celui du XVIIe siècle ; aussi, est-ce à des sonorités et des mélodies proches de Jean-Baptiste Lully ou Jean-Philippe Rameau que nous nous attendions. Que nenni !
Le Médecin malgré lui Molière/Gounod Opéra de Rennes
L’auteur de la partition, Charles Gounod, s’il ne renie pas son style, invite à entendre des airs proches des deux auteurs précités, particulièrement au cours d’un redoutable sextuor vocal. En fait, l’ensemble sonne comme un pastiche, un « à la manière de », et nous déstabilise un peu. Le chef d’orchestre, Gildas Pungier, saura, par une explication argumentée, dissiper ce qui aurait pu ressembler à un malaise. En fait le XIXe siècle n’avait pas une idée aussi précise de ce qu’était la musique de maîtres comme Lully ou Rameau (ces deux génies de la musique baroque étaient peu ou prou tombés dans l’oubli). Notre siècle est en cela notoirement différent. La mode des « baroqueux » a relancé tout un travail de redécouverte ; ce regard faussé sur le XVIIe siècle était sans doute à l’origine de notre malaise.
Cette soirée est d’autant plus belle qu’elle pourra être partagée dans les semaines à venir avec les publics de Dinan, Laval, Vitré, Fouesnant, Vannes, Redon. À vos agendas !
Le Médecin malgré lui en tournée version pour trois musiciens, transcription Gildas Pungier
DISTRIBUTION Mise en scène Vincent Tavernier Scénographie Claire Niquet Costumes Érick Plaza-Cochet Lumières Carlos Pérez
Orchestre Symphonique de Bretagne (Directeur Musical Grant Llewellyn)
Direction musicale Gildas Pungier
Sganarelle Marc Scoffoni Léandre Carlos Natale Martine Ahlima Mhamdi Jacqueline Sylvia Kévorkian Lucinde Héloïse Guinard
Coproduction Opéra de Rennes, Opéra Grand Avignon Nouvelle production Décors construits dans les ateliers de l’Opéra de Rennes. En partenariat avec le Pont Supérieur – Pôle d’enseignement supérieur spectacle vivant Pays de Loire Bretagne
L’exposition Les landes de Bretagne se déroule à l’Écomusée de Rennes du 25 novembre 2017 au 26 août 2018. Après ses grandes expositions sur le bocage et sur la forêt, l’Écomusée du pays de Rennes propose une nouvelle fois de partir à la découverte d’un paysage emblématique de la Bretagne : la lande. Là où beaucoup ne voient qu’uniformité et infertilité, l’exposition révèle d’extraordinaires richesses naturelles, humaines, agricoles, historiques…
L’exposition Landes de Bretagne, un patrimoine vivant invite le visiteur à rencontrer des paysages, une histoire humaine, un patrimoine naturel et culturel profondément ancré en Bretagne. Elle entend réveiller la sensibilité des citoyens à la sauvegarde de ces milieux, de ces paysages, de ce patrimoine culturel vivant et de la biodiversité qui en dépend. À travers un espace muséographique de 330 m2, l’exposition propose un parcours autour de quatre grands thèmes : la nature, l’agriculture, la culture et l’histoire de la disparition progressive des landes. L’exposition vise à apporter une connaissance intime des landes présentes dans les cinq départements de la Bretagne historique : Ille-et-Vilaine, Morbihan, Finistère, Côtes-d’Armor et Loire-Atlantique.
Elle présente les particularités naturalistes ainsi que les données ethnologiques et historiques d’un système agricole emblématique de notre région. Elle s’attache à décrypter les liens qui unissent les landes à la société paysanne, pourquoi et comment le paysage breton a été sculpté par une agriculture qui a créé, entretenu puis détruit de grandes surfaces de landes. La diversité de ces espaces incultes, souvent pâturés, explique le maintien d’une petite agriculture bretonne jusqu’aux années 1960.
L’exposition s’appuie sur une approche pluridisciplinaire permettant de croiser les regards tout au long du parcours entre sciences naturelles, histoire, ethnologie, représentations artistiques et citations littéraires.
À travers peintures, photographies et spécimens naturalisés, la biodiversité particulière des landes se découvre dans l’exposition : ici un loup, là un courlis, sur fond de bruyères, d’ajoncs et de genêts… Citations et œuvres d’artistes traduisent poétiquement l’aspect social et culturel des landes, théâtre de rassemblements pour les pardons, les foires et les jeux collectifs. Enfin, elle pose la question de l’avenir des landes après leur défrichement, intervenu au cours du 20e siècle, avec le « virage agricole » breton et la mécanisation.
Les landes de Bretagne s’invitent à l’Écomusée. Sauvages et grandioses, les terres de landes fascinent et intriguent à la fois. Paysages de végétation basse adaptée aux sols pauvres, apparus naturellement sur le littoral ou artificiellement à la suite des grands défrichements, les landes sont un des piliers de l’image de la Bretagne. Cette exposition est conçue comme un outil de découverte de la biodiversité des landes, de compréhension des paysages de la région et de connaissance du patrimoine culturel dans le but d’encourager leur sauvegarde. Le parcours de l’exposition propose une immersion totale dans l’univers des landes permettant au visiteur de déambuler à travers quatre grands thèmes : • La lande, un espace naturel • La lande, un espace agricole • La lande, un espace culturel • Les grands défrichements.
La lande, un espace naturel
« J’aime et j’admire ce paysage désolé des monts d’Arrée, ces ondulations basses qui courent en si belles et si tristes lignes sous le ciel de Bretagne, ces pointes méchantes des rochers, ce marais sinistre qui parle de l’éternité et
de la fatalité des choses, du lent travail de pourrissement et de recommencement de l’humble végétal. » Gustave Geffroy (1855-1926), La Bretagne, 1905
Les landes sont un milieu pauvre… appauvri par les hommes. Elles se sont formées sur des sols et des sous-sols où manquent des éléments nutritifs essentiels. Paradoxe de la pauvreté : ce milieu est riche en espèces animales et végétales très originales, car adapté à la pauvreté et même aux usages qu’en font les hommes. L’agriculture traditionnelle a contribué à maintenir la pauvreté des landes par la fauche et le surpâturage, parfois même, en enlevant une partie du sol pour le brûler.
Une végétation et une faune originale
Les ajoncs et les bruyères composent avec quelques graminées les paysages de landes, sur le littoral comme à l’intérieur des terres. Les ajoncs s’associent à des bactéries regroupées en amas sur leurs racines (c’est une caractéristique des légumineuses). Ces bactéries capturent de l’azote contenu dans l’air et le transforment en nitrates assimilables par l’ajonc. On peut aussi remarquer que les ajoncs n’ont pas de feuilles, mais des épines, ce qui caractérise un taux de croissance relativement faible et une bonne défense contre beaucoup d’herbivores. Les bruyères, quant à elles, s’associent à des champignons dont l’appareil végétatif pénètre leurs racines. Elles disposent ainsi d’un capteur efficace du rare phosphore disponible. Ce sont des plantes de faible taille au feuillage pérenne peu développé qui exigent peu de nutriments. Leurs petites feuilles coriaces et à haute teneur en tanins sont peu attractives pour les herbivores.
Une foule de petites bêtes discrètes trouve refuge dans ces espaces diversifiés. Prédateurs, proies, parasites, décomposeurs et recycleurs forment des chaînes complexes. De nombreux invertébrés sont étroitement associés à l’ajonc ou aux bruyères et se répartissent selon le degré d’humidité et l’âge des landes. On voit peu de papillons en se promenant dans les landes. Mais, après le crépuscule, ce sont plus de 120 espèces différentes de papillons de nuit qui peuvent être découvertes sur quelques dizaines d’hectares. Ce n’est pas un hasard : les landes sont généralement exemptes de toute pollution chimique ou lumineuse.
La lande, un espace agricole
« Les landes ne sont pas hors de l’exploitation du sol, telle que le Bas-Breton la comprend, elles sont plutôt à la base même de cette exploitation. (…) En fait la lande et le marais ne sont pas de nos jours des ennemis à vaincre à tout prix. » Camille Vallaux, (1870-1945), La Basse-Bretagne, 1905
La majorité des landes bretonnes tire son origine d’une action humaine très ancienne qui, si elle a connu des phases de régression, s’est poursuivie jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’équilibre trouvé à partir du XIIIe siècle entre les espaces de culture, de forêt et de lieux incultes, mais pâturés perdura pratiquement jusqu’au milieu du XIXe siècle et parfois même au-delà. La société traditionnelle qui s’était forgée au fil de cette histoire n’a pas brutalement disparu et on peut encore de nos jours échanger avec des témoins de ses ultimes persistances.
Un système robuste
Il faut se rendre compte que, dans les secteurs où les landes étaient étendues, les exploitations étaient majoritairement très petites et ne cultivaient guère plus que 1 à 2 hectares de terres « chaudes » (labourables) tandis qu’elles avaient accès à des surfaces trois à cinq fois plus importantes de terres « froides » (landes, terres « vaines et vagues »). Il faut donc se figurer un territoire complexe où la forêt linéaire des talus, les prairies, les champs, les landes, les marais, les vergers, les jardins, les tourbières, les villages s’entremêlaient de telle sorte qu’il en résultait un étonnant équilibre aux ressorts invisibles.
On a longtemps traité les Bretons d’arriérés, car on ne comprenait pas la cohérence et l’efficacité de leur système agricole. Eux savaient qu’il était inutile de défricher des landes (les terres « froides ») si l’on ne disposait pas d’engrais abondants et que les landes étaient, justement, la source de la fertilité des cultures (les terres « chaudes »).
On coupait dans les landes la litière qui, mise dans les étables, produisait l’indispensable fumier. De plus, le bétail pouvait pâturer les landes ce qui compensait le manque de prairies. Enfin, on réalisait des cultures temporaires sur les bonnes landes (seigle, blé noir, ajonc). De manière générale, on ne laissait rien se perdre dans ce système agricole non productiviste visant le maintien d’un équilibre économique et social au long terme. L’exploitation des landes, les usages de l’ajonc associés à la culture généralisée du blé noir ont été les piliers d’un agrosystème particulièrement durable. Un promoteur de la modernisation de l’agriculture reconnaissait en 1829 la réussite du système traditionnel : « Ce sol ingrat, quoiqu’il n’y en ait que la plus faible partie de cultivée, suffit non seulement à presque tous les besoins de ses habitants, mais pourrait encore offrir au commerce l’immense super u qui lui reste (…) ». (Le Lycée Armoricain, N° 14). On peut d’ailleurs relever que, de fait, les historiens qui ont étudié les rendements en blé et seigle dans la France de 1830 ont classé la Bretagne dans le tiers de la France qui obtenait les meilleurs résultats.
Si la société traditionnelle bretonne nous a laissé des milliers de contes, de chansons, de récits, de dictons, de danses, c’est parce qu’elle ne vivait pas dans la misère et que le travail n’occupait pas toute la place. Un emploi du temps calé sur les rythmes naturels laissait une belle place à une riche vie culturelle et l’importance des travaux collectifs favorisait les échanges.
La lande, un espace culturel
« L’ajonc rit près du chemin Tous les buissons des ravines Ont leur bouquet à la main » Victor Hugo, Les chansons des rues et des bois, 1865
Souvent situées aux limites des communes ou du territoire de chaque village, les landes n’étaient pas pour autant des frontières, mais des lieux de passage, de rencontre, de travail et de liberté. Pendant des millénaires, les hommes ont parcouru les landes, observé les plantes et les animaux et en ont tiré des éléments essentiels à leur existence : nourrir leur bétail, enrichir leurs cultures, cuire leurs aliments… De cette longue histoire sont nés des récits, des dictons, des légendes, des chants et même des danses. Éléments très présents dans les paysages bretons qui attirèrent les artistes, les photographes et les écrivains dès le milieu du XIXe siècle, les landes imprègnent de nombreuses œuvres, jusqu’aux bandes dessinées contemporaines.
Des lieux de rencontre et d’échange
Certaines landes, situées au centre de vastes territoires, étaient des lieux de pardons et de foires importants. Là où il y avait beaucoup de landes, on achetait des bêtes à la foire de printemps et on les revendait après les avoir engraissées à peu de frais dans les landes à la foire d’automne. Pendant toute la belle saison, les troupes d’enfants gardant le bétail se retrouvaient dans les landes et y élaboraient une culture originale au contact de la nature.
Travailler dans la société rurale traditionnelle n’était pas forcément un investissement total dans une tâche abrutissante. C’était souvent l’occasion de multiples échanges où les chansons, les récits, l’humour tenaient une place singulière. Le chant pouvait soutenir l’effort, le conte éviter l’ennui d’un tri répétitif, la légende ouvrir les yeux sur une organisation du monde qui donne du sens au travail. Comme elles offrent peu de points de repère, les landes sont des lieux propices aux phénomènes étranges et nul n’ignorait que les âmes des morts demeuraient dans les ajoncs.
Des lieux d’émerveillement
Le développement du tourisme et l’amélioration des moyens de transport dès le milieu du XIXe siècle, la volonté des peintres de travailler sur le motif et les prix de pension peu élevés conduisent beaucoup de créateurs à venir en Bretagne, seuls ou en famille. Sans en avoir forcément eu l’intention, ils nous offrent de multiples informations sur les landes d’autrefois, mais ils nous amènent aussi à avoir un autre regard sur les landes d’aujourd’hui.
On pourrait réaliser un gros livre avec l’anthologie des œuvres littéraires évoquant les landes. Les écrivains, bretons ou pas, ont souvent tenté d’exprimer leur émotion devant le paradoxe d’un univers où pauvreté et beauté semblaient aller de pair.
Les landes jouent un rôle matriciel chez certains auteurs. Ainsi, en quelques lignes, François-René de Chateaubriand (1768-1848) en a fait le cadre magique de ses souvenirs d’enfance en Bretagne et le talisman qui l’accompagne : « les bruyères sont mon nid et mes moissons ; leur fleur d’indigence et de solitude est la seule qui ne soit pas fanée à la boutonnière de mon habit ».
Les grands défrichements
« Jusqu’à la Roche-Bernard, des landes, des landes, des landes ! La hardiesse des rives de la Vilaine la rend pittoresque (…) et elle serait égale à quelque rivière que ce soit si ses bords étaient boisés ; mais ce ne sont que les déserts du reste du pays. » Arthur Young, (1741-1820), Voyages en France, 1792
Sous l’influence d’agronomes proposant de transformer les modes d’exploitation de la terre, les nouvelles classes dirigeantes s’engagèrent dès le début du XIXe siècle dans un vaste travail de réflexion, de constitution d’associations et d’expériences de « mise en valeur » des landes (culture et boisement). L’apparition d’engrais et d’amendements nouveaux (noir animal, guano, phosphates divers) leur permit de débloquer le système traditionnel. Une nette évolution dans la production des plantes fourragères annuelles (betterave, choux, colza) et la création de prairies à base de graminées (ray-grass) et de légumineuses (trèfle) permirent le développement de l’élevage bovin. Les outils, les techniques et les infrastructures connurent aussi une évolution considérable, bien illustrée par le développement des catalogues de matériel agricole.
La privatisation des landes
Les pionniers de l’agronomie moderne avaient compris qu’ils devaient obtenir des déblocages législatifs et, parallèlement, faire évoluer les mentalités. Ils le rendent en introduisant à la fois un système de diffusion des savoirs, mais aussi une stigmatisation des paysans attachés à leur système productif et aux landes qui en étaient la base.
L’enseignement agricole a formé les nouvelles générations tandis que les comices agricoles et les foires-expositions ont développé un peu partout l’esprit d’émulation. Les programmes scolaires ont rapidement intégré des initiations aux nouvelles pratiques agricoles.
De multiples rapports, études et interventions ont conduit à ce que, à partir de 1850, de nouvelles lois imposent le partage des communs. Progressivement, des dizaines de milliers d’hectares sont devenus des propriétés privées. Beaucoup des paysans les plus pauvres sont partis vers les villes tandis que se constituaient de grandes exploitations.
Les défrichements de landes se sont ralentis dans la première moitié du XXe siècle. Les agriculteurs utilisaient encore largement ces espaces pour la litière et le pâturage et il restait environ 100 000 ha de landes en Bretagne en 1950.
La motorisation de l’agriculture
La seconde révolution agronomique fut d’abord une révolution technique liée à la motorisation. Mais, comme la première révolution, elle était aussi une révolution culturelle. L’idéal de la modernisation a été porté par les nouvelles générations et les organisations telles que la Jeunesse agricole catholique (JAC). Dans une France encore marquée par le rationnement alimentaire qui se prolonge jusqu’en 1949 pour le pain, l’agriculteur devient le porteur d’une véritable mission d’intérêt général. Le pays bénéficiait des prêts du plan Marshall qui l’encourageaient à acquérir des engrais et du matériel américain. Chaque agriculteur pouvait ainsi disposer des moyens d’étendre son exploitation en défrichant des landes. Les moins bonnes pouvaient être boisées dans le cadre du plan national forestier.
Il a fallu en fait une centaine d’années pour qu’un nouveau système se mette en place. Les landes n’en sont pas moins restées jusque dans les années 1950 un élément important de l’agrosystème breton, en particulier en Basse Bretagne.
FOCUS N° 1 La biodiversité : faune et flore des landes
Pour survivre dans un sol aussi hostile que de la « terre de bruyère » et supporter de multiples situations stressantes (saturation en eau ou sécheresse saisonnière, broutage, fauche, températures élevées ou basses), les plantes des landes ont développé des adaptations originales. Beaucoup présentent des feuilles plus ou moins persistantes, coriaces, à l’épiderme épaissi.
Au moins 45 espèces poussant dans les landes appartiennent à divers titres à la flore protégée. Cinq sont présentes sur les listes d’espèces protégées au plan national : l’asphodèle d’Arrondeau, la centaurée à feuilles de scille, la bruyère de saint Daboec (présente dans quelques communes de Loire-Atlantique), l’isoète épineux, le grémil couché. Toutes ont souffert de la régression des landes et il n’existe plus qu’une seule station du panicaut vivipare pour toute la France dans une lande pâturée à Belz (Morbihan). Mais les plantes caractéristiques de la lande sont, bien sûr, les ajoncs et les bruyères.
L’ajonc d’Europe est le plus commun, y compris sur les talus et dans les friches, surtout dans l’ouest de la Bretagne. Il donne de belles fleurs jaune d’or dès l’automne et surtout au printemps. L’ajonc de Le Gall est répandu en Bretagne occidentale. On peut voir ses fleurs jaune-orangé d’août à décembre. L’ajonc nain est répandu en Bretagne à l’est d’une ligne qui va de l’estuaire de la Rance au Faouët. Ses fleurs jaune citron paraissent de juillet à octobre.
La bruyère à quatre angles est typique des landes humides ou tourbeuses ; la bruyère ciliée marque les landes moyennement humides tandis que la bruyère cendrée s’épanouit dans les landes sèches et sur les talus. Dans les îles de BelleÎle et Groix, on trouve la bruyère vagabonde. Ajoutons une proche parente, la callune qui pousse facilement dans toutes les landes et dans les bois clairs.
La lande est le paradis des invertébrés : papillons, fourmis, criquets, sauterelles, abeilles sauvages, araignées (pour ne parler que des plus faciles à observer) bénéficient d’un des rares milieux qui ne reçoive jamais d’apports d’engrais ou de traitements phytosanitaires. Ces espèces sont les proies de nombreux petits prédateurs. Quelques passereaux sont particulièrement présents dans les landes : tarier pâtre, bruant jaune, fauvette pitchou, pipit farlouse. Plus spectaculaires, le courlis cendré, l’engoulevent d’Europe, le busard Saint-Martin et le busard cendré sont très localisés et pour certains, tel le courlis, très rares.
Les oiseaux, symboles de la régression des landes
Quelques oiseaux sont particulièrement associés aux landes bretonnes où ils se procurent tout ou partie de leur nourriture et où certains nichent. Nombre d’entre eux ont vu leurs populations régresser dramatiquement au l du défrichement des landes, de leur enrésinement ou de leur enfrichement.
Le tarier pâtre porte, en breton les noms de straker, strakig ou bistrak, qu’on peut traduire par « craqueur », une allusion à son cri. Il était aussi appelé strepour-lann, l’étrépeur des landes, car on le voyait gratter le sol, comme les hommes qui arrachaient des mottes.
Le courlis cendré (coulieu en gallo) pond ses œufs directement sur le sol des landes fauchées ; il a donc besoin de la présence des agriculteurs. Il porte le nom de paotr-saout, le gardien de vache, car on le voit chercher sa nourriture près du bétail. Son chant sonore (d’où son nom semble tiré) anime encore les landes des monts d’Arrée au printemps, mais il ne reste, au mieux, qu’une vingtaine de couples, les derniers de tout l’ouest de la France.
L’engoulevent d’Europe niche dans les landes hautes et chasse la nuit les papillons et les insectes volants. Son chant étrange s’élève à la tombée du jour, sa ressemblance avec le bruit du rouet lui valait le nom de landière en Haute Bretagne ; en Basse Bretagne on le nommait labous-skrijer (oiseau-vibreur).
La fauvette pitchou (geaotaerig) se trouve dans tous les types de landes, littorales et intérieures, pourvu que le couvert végétal soit dense et comporte de beaux massifs d’ajoncs où elle se cache avec son nid.
Le busard cendré (migrateur) et le busard Saint-Martin (sédentaire) sont de légers rapaces qui nichent dans les landes hautes. Ils chassent de petites proies en parcourant leur territoire d’un vol chaloupé.
Le crave à bec rouge niche dans les grottes littorales du cap Sizun, de Belle-Île, Crozon et Ouessant. Il cherche sa nourriture sur les pelouses et landes littorales. La fréquentation touristique des hauts de falaise et l’enfrichement des landes le mettent en danger.
FOCUS N°2 : Les landes sources d’inspiration pour les peintres
Les peintres, témoins de la beauté des landes
Les grands espaces des landes intérieures ont inspiré quelques œuvres importantes à des peintres de la seconde moitié du XIXe siècle (Ségé, Saintin, Luminais, Blin), mais c’est surtout sur le littoral que, par leur omniprésence, les landes inspirent presque tous les paysagistes (Monet, Moret, Rivière, Frelaut, Yvonne-Jean Ha en, etc.). Il est vrai aussi que, jusqu’au milieu du XXe siècle, les landes sont encore bien présentes un peu partout et qu’il est donc difficile de peindre la Bretagne sans qu’elles s’invitent sur la toile.
Des landes omniprésentes
Les grands paysages de l’Argoat inspirent des peintres plutôt académiques et grâce à qui nous disposons de représentations très fidèles, même si, le plus souvent, les humains en sont absents. C’est particulièrement remarquable chez le Rennais François Blin (1827-1866) qui peint en 1856 Le matin dans la lande, souvenir de Monter l, une toile d’où se dégage une atmosphère mystérieuse. On peut apercevoir des chevaux et des vaches pâturant librement les landes dans la grande toile d’Alexandre Ségé (1808-1885) La Vallée de Ploukermeur, exposée en 1884. Le nom est inventé pour donner une identité bien bretonne au paysage, mais la représentation est particulièrement fidèle puisqu’on y reconnait sans peine le clocher du bourg de Scrignac (29) et, à l’horizon, les crêtes rocheuses du Cragou. On a ainsi une idée de l’étonnante mosaïque des landes d’avant la mécanisation. C’est le même Alexandre Ségé qui avait réalisé Les pins de Plédéliac en 1873 où des corneilles sont plus visibles que de petits personnages s’activant dans la lande.
Les îles attirent nombre de peintres et le développement des transports maritimes favorise la découverte de ces espaces où les landes sauvages constituent une large part des paysages. Emmanuel Lansyer (1835-1893) débarque à Ouessant le 25 août et repart le 8 sept 1885 avec quinze toiles dans ses bagages. Arrivé le 12 septembre 1886 « pour 15 jours », Claude Monet (1840-1926) ne repartira de Belle-Île-en-Mer que le 25 novembre avec 69 toiles. Comme l’automne est plutôt « pourri », cela nous vaut des représentations tout à fait originales de la lande sous la pluie. Henri Moret (18561913), qui a mieux choisi la date de son séjour à Belle-Îleen-Mer, a peint, une dizaine d’années après Claude Monet, des toiles lumineuses et gaies. Les landes sont d’ailleurs bien présentes dans les œuvres qui témoignent de ses pérégrinations bretonnes. Henri Rivière (1864-1851) a été un artiste maîtrisant de multiples techniques et portant un regard toujours curieux sur la Bretagne qu’il aimait et où il est venu régulièrement à partir de 1885. Ses représentations de landes sont remarquables et en disent la beauté originale.
Lucien Pouëdras (né en 1937 à Languidic dans le Morbihan) témoigne méthodiquement de la place des landes dans la société paysanne dont il est issu. Il reprend en quelque sorte le travail engagé par Olivier Perrin (1761-1832) avec son ambitieuse Galerie armoricaine (qui nous o re les seules représentations connues d’un écobuage). Mais, à défaut de pouvoir travailler sur le motif comme son prédécesseur, il a entrepris dans les années 1970 de peindre de mémoire ce qu’il avait connu jusqu’au début des années 1950 dans le territoire où s’inscrivait la ferme de ses parents. Pratiquement un tiers de 370 toiles qu’il a peintes à ce jour évoquent les landes, d’une manière ou d’une autre. Les approches sont multiples et vont du gros plan sur l’ouvrier agricole coupant la litière au plan large sur l’infini puzzle des landes, des prairies, des champs, des talus, des bois, des tourbières, des chemins et des villages.
FOCUS N° 3 : Les landes et la littérature
De nombreuses œuvres littéraires évoquent les landes. Ainsi, en quelques lignes, François-René de Chateaubriand (17681848) en a fait le cadre magique de ses souvenirs d’enfance en Bretagne : « les bruyères sont mon nid et mes moissons ; leur feur d’indigence et de solitude est la seule qui ne soit pas fanée à la boutonnière de mon habit ».
En fait, à l’heure d’écrire leurs mémoires, les écrivains bretons associent spontanément les landes à ce qui les a faits. Le plus explicite est Charles Le Quintrec (1926-2008), natif de Plescop dans le Morbihan : « Les landes les plus déshéritées m’ont fait une patrie d’enfance. Je n’en veux pas d’autres. J’ai tout tiré de cette terre-là, tout, depuis la lumière qui me rassure, jusqu’au ciel que je vois dans les yeux de mes amis. Je suis de la lande comme d’autres sont de la mer ».
Pour certains, tel Ernest Renan (1823-1892), les landes n’ont rien de vital, bien au contraire, puisqu’il évoque dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse des chapelles « toujours solitaires, isolées dans des landes, au milieu des rochers ou dans des terrains vagues tout à fait déserts. Le vent courant sur les bruyères, gémissant dans les genêts, me causait de folles terreurs ». Dans Mon frère Yves, Pierre Loti (18501923) partage aussi cette vision toute négative de la lande :
« Au détour d’un rocher, la pluie cesse comme le vent et, du même coup, tout change d’aspect. Nous découvrons à perte de vue un grand pays plat, une lande aride, nue comme un désert : le vieux pays de Léon ». Le Rennais Paul Féval (1816-1887) trouve dans les landes un paysage propice au mystère et à l’inquiétude pour nombre de ses contes et romans. Son « éterpeur de landes » ne peut être que « d’assez méchante renommée » et on ne peut que se perdre dans « l’inextricable écheveau des sentiers que trace, à travers les hauts ajoncs des landes, l’insouciance du paysan morbihannais ».
Fort heureusement, au début du XXe siècle, des écrivains vont redonner ses lettres de noblesse à la lande. Plusieurs d’entre eux jouent sur le paradoxe de ces terres pauvres se couvrant d’or. Yves Le Febvre (1874-1959) a donné une place importante au paysage dans son roman Clauda Jégou paysan de l’Arrée (1936) ainsi que dans son recueil de nouvelles Sur la pente sauvage de l’Arez (1912) où il écrivait : « Les landes en eur laissaient pleuvoir toute une fortune uide sur leur pauvreté. Il y en avait partout, autour d’eux, et, dans le lointain, les « Kragou », avec leur ossature morne et rude semblaient la charrue qui avait labouré les vastes champs dorés de la montagne ».
Exposition Les landes de Bretagne, Écomusée de Rennes, 25 novembre 2017-26 août 2018.
Horaires d’ouverture
Horaires d’hiver (du 1er octobre au 31 mars)
• Mardi à vendredi : de 9h à 12h et de 14h à 18h • Samedi : de 14h à 18h
• Dimanche : de 14h à 19h
• Fermé les lundis et jours fériés
Horaires d’été (du 1er avril au 30 septembre)
• Mardi à vendredi : de 9h à 18h (possibilité de pique-niquer sur place, au grand air ou à couvert).
NB : les salles d’exposition sont fermées entre 12h et 14h, mais la visite des bâtiments d’élevage et du parcours agricole est possible.
• Samedi : de 14h à 18h
• Dimanche : de 14h à 19h
• Fermé les lundis et jours fériés
Tarifs
Plein tarif 6 €
Tarif réduit 4 €
Groupes adultes (à partir de 10 personnes) 4 €
Visite complète du site (Musée, exposition temporaire, parc agronomique et bâtiments d’élevage)
Entrée gratuite pour les 0-18 ans.
Entrée gratuite pour les groupes scolaires accompagnés.
Les groupes scolaires et adultes sont accueillis sur rendez-vous.
Dans le cadre des États Généraux de l’Alimentation consacrés notamment à la transition écologique de l’agriculture, l’UFC-Que Choisir dresse le bilan catastrophique des conséquences de décennies d’agriculture productiviste sur la ressource aquatique et l’inaction des pouvoirs publics. L’association part en campagne aujourd’hui pour réclamer une réforme en profondeur de la politique de l’eau en France et la stricte application du principe « préleveur-pollueur-payeur », en lançant une pétition à cet effet.
Pollueur-payeur : un principe économique de « vérité des prix »
A l’origine, le principe pollueur-payeur n’est pas fait pour réparer un accident environnemental. Il a été pensé dès les années 1920 par Arthur Cecil Pigou, un économiste libéral, qui réfléchissait sur le prix de revient d’un produit. La fabrication d’un produit a un coût direct pour l’entreprise (matériau, main d’oeuvre, énergie…) mais aussi un coût indirect sous forme de pollution générée par cette fabrication. Or ce coût indirect n’est pas pris en charge par l’entreprise : on parle alors d’externalités négatives de cette production. Pour Pigou, il faut que le prix d’un produit intègre tous ses coûts y compris les externalités négatives pour maintenir la « vérité des prix » et la « concurrence non faussée » chères aux libéraux. Si un produit est fait de manière responsable, avec un processus non polluant, il reviendra plus cher qu’un produit identique fait sans précaution environnementale. Pour que les prix soient vrais et la concurrence juste entre les deux produits, il faut donc faire payer au deuxième producteur le prix de la pollution qu’il a causée en faisant son produit. C’est le principe pollueur-payeur. Il ne vient donc pas d’un écologiste illuminé, d’un quelconque khmer vert mais d’un économiste libéral classique qui ne parle pas d’environnement mais de « vérité des prix » et de « concurrence non faussée ».
Pollueur-payeur et gestion de l’eau.
Ce principe pollueur-payeur s’est développé en France en 1964 à propos de la gestion de l’eau. L’idée est la suivante : tous ceux qui utilisent de l’eau l’altèrent et la polluent. Il est donc normal qu’ils contribuent à sa dépollution en fonction de la quantité d’eau altérée c’est-à-dire consommée. Ainsi une redevance sur l’eau est appliquée à chaque mètre cube d’eau consommée. Cette redevance collectée par les distributeurs d’eau sert ensuite à financer les agences de l’eau qui vont gérer la ressource : analyse et étude des pollutions, actions de limitation à la source des pollutions, épuration et assainissement. Cette redevance sur l’eau reprend bien la logique pigouvienne de vérité des prix. Le vrai prix d’une eau potable est celui du petit cycle de l’eau : captage, analyses et potabilisation, distribution, consommation, puis assainissement et épuration avant un retour à la nature dans un état proche de l’initial.
Aujourd’hui : flou, iniquité, désastre Alors qu’en 2005 dans le cadre de sa campagne ‘Eau, réconciliation 2015’, l’UFC-Que Choisir dénonçait déjà la progression inquiétante des pollutions des ressources aquatiques et le caractère inéquitable des taxes renchérissant le prix de l’eau potable, force est de constater que le bilan environnemental et économique de la politique de l’eau en France, loin de s’améliorer, est encore plus désastreux.
• 5 milliards de m3 d’eau sont prélevés chaque année en France pour les besoins de l’agriculture. La part la plus importante (60 %) de l’eau prélevée est consacrée à l’irrigation. Cette consommation varie d’une année sur l’autre, en fonction des conditions météorologiques et du type de cultures à irriguer. Les différentes cultures sont en effet plus ou moins consommatrices d’eau. Il faut par exemple : 25 litres d’eau pour produire 1 kg de salade, 100 litres d’eau pour produire 1 kg de pommes de terre, 400 litres d’eau pour produire 1 kg de maïs, 1 500 litres d’eau pour produire 1 kg de blé.
• Le maïs est une des plantes les plus cultivées en France. A l’origine c’est une céréale exotique, très gourmande en eau. Le maïs doit en plus être arrosé pendant sa période de floraison, en plein été ! Près de la moitié de l’eau utilisée en France l’est pour l’irrigation du maïs. Et cette production ne cesse d’augmenter car le maïs ainsi produit est principalement utilisé pour nourrir le bétail. On estime ainsi que 13 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kg de boeuf.
• Une eau plus rare et polluée : les pesticides sont désormais massivement présents et dépassent la norme définie pour l’eau potable, dans les cours d’eau de la moitié du territoire français et dans le tiers des nappes phréatiques ! S’agissant des nitrates, la proportion des nappes phréatiques fortement contaminées (plus de 40 mg/l) a augmenté de moitié entre 1996 et le début des années 2010, avec comme conséquence que 43 % des nappes désormais dépassent la valeur guide européenne. Par ailleurs, au-delà du changement climatique, comment ne pas épingler la responsabilité de l’agriculture intensive quant à la pression quantitative sur la ressource. En effet, la carte des restrictions d’eau de cet été (84 départements touchés dont 37 en situation de crise) se confond avec celle de l’irrigation intensive.
a. Surfaces agricoles irriguées Restrictions d’eau par département (été 2017)
b. Cartes de l’eau Source : MAAF-2012- IGN Géo Fla 2010 Source : Propluvia août 2017
• Des pratiques agricoles toujours aussi intensives : malgré la multiplication des plans et initiatives volontaires nous promettant une agriculture à la fois intensive et respectueuse de l’environnement, les données fournies par les professionnels eux-mêmes montrent que les quantités d’engrais à l’origine des nitrates n’ont pas baissé en vingt ans et que l’utilisation des pesticides a même augmenté de 18 % en 5 ans. Quant à l’irrigation, elle s’est particulièrement développée dans les zones les plus touchées par les restrictions d’utilisation d’eau : le Sud-Ouest, la Côte Atlantique, le Val de Loire, le Centre, la vallée du Rhône, aggravant encore la pénurie d’eau.
• Les différents dommages causés par l’agriculture intensive bretonne sont un exemple d' »externalités négatives » de l’agriculture conventionnelle : destruction des paysages, des sols, des rivières, du littoral, détérioration du mode de vie des populations, atteintes aux autres activités économiques (tourisme et aquaculture), surcoût à la communauté pour le traitement des eaux, l’évacuation et le traitement des algues, le soutien aux autres activités économiques impactées…
• Les consommateurs victimes du principe « pollué-payeur » : la réparation de ces dommages environnementaux reste très majoritairement financée par les consommateurs qui, par le biais de leur facture d’eau, payent 88 % de la redevance ‘pollutions’ et 70 % de la redevance ‘prélèvement’, soit 1,9 milliard d’euros par an. Quant à l’agriculture, pourtant responsable à elle seule de 70 % des pollutions en pesticides, de 75 % des pollutions en nitrates et de la moitié des consommations nettes en eau, elle ne paie que la plus faible partie de ces sommes (7 % de la redevance ‘pollutions’ et 4 % de la redevance ‘prélèvement’) en violation flagrante du principe ‘préleveur-pollueur-payeur’ ! Cette politique est non seulement pénalisante pour les consommateurs, mais elle n’incite aucunement l’agriculture intensive à modifier ses pratiques.
• La politique de l’eau dictée par les intérêts agricoles : compte tenu du faible nombre de sièges accordés aux ONG, les débats des instances régionales et locales censées définir la politique de l’eau en région (Agences de l’eau, Comités de bassin et Commissions Locales de l’Eau) sont trop souvent conduits en fonction des intérêts agricoles. Ceci explique que dans 60 % à 80 % des cas les actions décidées au sein de ces structures privilégient des mesures palliatives telles que la dépollution des eaux contaminées, sans oser s’attaquer à l’origine de ces pollutions.
• La goutte d’eau de trop, le Projet de Loi de Finance 2018 : l’important budget des agences de l’eau fait saliver l’Etat qui, depuis 2014, réalise chaque année des ponctions présentées comme exceptionnelles. Or, cette pratique risque de se pérenniser et s’aggraver alors que le projet de Loi de finances 2018 prévoit un prélèvement de 300 millions d’euros par an, soit 15 % du budget prévisionnel des agences de l’eau pour des utilisations sans lien direct avec la gestion de l’eau. On est loin du principe fondateur des agences : ‘l’eau paye l’eau’ !
Alors que les exemples étrangers et nationaux montrent qu’il est possible, par une politique de prévention, de limiter les dommages environnementaux pour un coût réduit, l’UFC-Que Choisir se mobilise pour réclamer, notamment dans le cadre des Etats Généraux de l’Alimentation, une réforme urgente de la politique de l’eau et notamment :
– une rénovation en profondeur de la gouvernance dans les agences de l’eau, à défaut la seule voie possible étant d’exiger une reprise en main de cette politique par l’Etat.
– une stricte application du principe « préleveur-pollueur-payeur »,
– la mise en place de véritables mesures de prévention des pollutions agricoles,
– une aide à la reconversion vers des cultures moins consommatrices d’eau et de pesticides,
– l’arrêt des ponctions de l’Etat sur le budget des agences de l’eau.
L’UFC-Que Choisir part aujourd’hui en campagne avec son réseau d’Associations Locales pour faire prendre conscience aux consommateurs de l’état calamiteux de la ressource, afin d’amener les pouvoirs publics à une refonte résolue de la politique de l’eau et une réorientation des priorités au sein des agences de l’eau. À cet effet, l’Association appelle les consommateurs à se mobiliser par le biais de sa pétition ‘Ressource aquatique –STOP à la gabegie !’.
La prolifique danseuse et chorégraphe Mette Ingvartsen était à Rennes dans le cadre du festival TNB avec to come (extended). Cette version – plus débridée que l’originale – de sa pièce to come, créée en 2005, présente non plus cinq danseurs mais quinze.
To come (extended) de Mette Ingvartsen a été créée à partir du travail précédent de 2005 to come. Les danseurs sont tous vêtus d’une tenue zentaï bleue qui les recouvre entièrement. Pas un centimètre de chair n’est visible, les expressions du visages sont masquées ainsi que le genre des danseurs. Les costumes zentaï sont habituellement utilisés pour faire des trucages vidéo. Un comédien ainsi vêtu exécute des mouvements et l’on réincruste par des manipulations informatiques l’image d’un autre personnage sur son corps et son visage. Mette Ingvartsen utiliseces costumes dans to come(extended)afin d’inviter le spectateur, immobile et silencieux, à se projeter sur les danseurs, à s’identifier à lui, à mobiliser pleinement son imaginaire, afin de s’inclure d’entrée de jeu dans la chorégraphie.
Pas de musique ni de parole dans la première partie du spectacle. Dans un silence complet, les danseurs miment des scènes d’un érotisme précis : pas de violence, pas de contrainte ni de domination, rien qui ne dégrade l’autre. Ils forment des sculptures mobiles, accumulations aux structures majoritairement en lignes horizontales. Les formes, et ainsi les espaces, se font et se défont pour se reformer plus loin. Quand l’un bascule, tout le groupe est entraîné dans son mouvement. Peu à peu, des débuts d’individuation se forment. Un danseur reste immobile dans une position et l’absence de son partenaire est évidente, et de cette mémoire naît un personnage; un danseur se détache du groupe et reste en arrière pour l’observer, puis un autre; un couple se forme et des gémissements se font entendre. L’humour est également de la partie.
Dans la deuxième partie du spectacle, la plus courte, les danseurs reviennent sur le devant de la scène, presque entièrement nus contrastant singulièrement avec les costumes qui les recouvraient entièrement. Ils sont uniquement chaussés de baskets et munis d’écouteurs. Pendant toute la durée de la séquence, ils prennent la pose comme pour une photo de famille ou d’équipe et, immobiles, reproduisent les gémissements de jouissance d’un film pornographique que personne ne voit et qu’ils entendent par le biais des écouteurs.
Photo: Wolf Silveri
La dernière partie de la pièce est une séquence de lindy hop et le grand nombre de danseurs donne à la scène des allures de comédie musicale américaine du milieu du XXème siècle. Pour to come (extended), Mette Ingvartsen choisit de faire danser ce lindy hop nus. Le lindy hop est une danse particulièrement sportive, venue des bas-fonds new-yorkais, ancêtre du rock, aux mouvements suggestifs et où les couples se font et se défont en se chipant les partenaires les uns des autres. Cette danse hyper physique prend une tournure totalement réjouissante lorsque l’un des danseurs projette sa partenaire en l’air à bout de bras et que celle-ci ouvre grand les jambes comme elle le ferait toute habillée, une première fois dos au public et ensuite face à lui.
Si Mette Ingvartsen a choisi de pousser la provocation encore plus loin et de manière encore plus réjouissante avec to come (extended), poussant la chorégraphie jusqu’à l’hilarité, son propos n’en est pas moins toujours totalement engagé. Elle pointe, et ainsi dénonce, les rapports de domination inhérents à nos systèmes politiques insidieusement manipulateurs. Elle inscrit sa danse comme un art décrivant le monde avec complexité et finesse, une danse engagée dans une lutte féministe où les individus sont peints depuis la racine. Elle y insuffle une énergie vigoureuse et positive comme lorsqu’elle inclut dans une pièce précédente (50/50) son Yes manifesto en réponse au No Manifesto d’Yvonne Rainer. Elle aspire à mettreen exergue les enjeux avec lesquels nous sommes aux prises de façon désirable, renversant ainsi des discours pessimistes ou encore morbides.
To come (extended) fait partie de The Red Pieces, une série de performances en cours de création qui comprend 69 positions, 7 Pleasureset21 pornographies (en cours de création) et The Permeable Stage, une conférence dans laquelle des artistes et des théoriciens performent et débattent sur la sexualité vue sous son prisme politique. Les intervenants mettent en évidence la perméabilité entre l’espace public et la sphère privée sur cette question.
Née en 1980 au Danemark, Mette Ingvartsen étudie la danse à Amsterdam puis à Bruxelles et obtient en 2004 le diplôme de P.A.R.T.S. Depuis 2002, elle développe ses propres projets ou s’engage dans plusieurs collaborations. Parmi ses travaux : It’s in the air, The Artificial Nature Project, 69 positions, 7 pleasures.
To come (extended)
Concept et chorégraphie : Mette Ingvartsen
Avec Johanna Chemnitz, Katharina Dreyer, Bruno Freire, Bambam Frost, Ghyslaine Gau, Elias Girod, Gemma Higginbotham, Dolores Hulan, Jacob Ingram-Dodd, Anni Koskinen, Olivier Muller, Calixto Neto, Danny Neyman, Norbert Pape, Hagar Tenenbaum
Remplacements, Alberto Franceschini, Anuschka von Oppen, Manon Santkin
Lumières : Jens Sethzman
Arrangements musicaux : Adrien Gentizon, avec une musique de Benny Goodman
Scénographie : Mette Ingvartsen & Jenz Sethzman
Costumes : Emma Zune
Dramaturgie : Tom Engels
Professeurs de Lindy Hop : Jill De Muelenaere & Clinton Stringer
Direction technique : Emanuelle Petit
Son : Adrien Gentizon
Assistantes de production : Elisabeth Hirner & Manon Haase
Directrice de la compagnie : Kerstin Schroth
Production Mette Ingvartsen / Great Investment // Coproduction Volksbühne (Berlin) ; Steirischer herbst Festival (Graz) ; Kunstencentrum BUDA (Kortrijk) ; Dansehallerne (Copenhague) ; CCN2 – Centre chorégraphique national de Grenoble ; Dansens Hus (Oslo) ; SPRING Performing Arts Festival (Utrecht) ; Le phénix, scène nationale de Valenciennes ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris // Coréalisation Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris // Avec le soutien de The Flemish Authorities & The Danish Arts Council // Spectacle créé le 22 septembre 2017 au steirischer herbst Festival (Graz)
Le 26 octobre 2017, ARTE France, en partenariat avec The Pixel Hunt et Figs, mettait sur le marché Enterre-moi, mon amour, un jeu vidéo des plus particuliers. Inspirée d’une histoire vraie, cette application mobile permet de suivre une syrienne, Nour, dans son périple vers l’Allemagne. Le tout sous la forme d’une conversation What’s App entre la jeune femme et son époux Majd, resté au pays. Mercredi 15 novembre, le jeu a été sélectionné pour les Game Awards 2017 dans la catégorie Games for Impact.
« Enterre-moi, mon amour ». En Syrie, c’est par cette expression que l’on salue un être cher avant un départ. L’expression pourrait être traduite par « ne meurs pas avant moi, mon amour » : dans la fiction interactive développée par Arte, ce sont les derniers mots que Majd prononce de vive-voix à son épouse Nour, avant que cette dernière ne parte pour l’Allemagne. Le seul titre du jeu est déjà lourd de sens.
Co-développé par le studio de production The Pixel Hunt, l’atelier de design numérique Figs et ARTE-France, « Enterre-moi, mon amour » appartient à une catégorie particulière du jeu vidéo : les « jeux du réel », plus communément appelés serious games. Ce genre vidéo-ludique a pour caractéristique de mêler une forme relevant du divertissement – le jeu vidéo – et un fond sérieux, à but informatif, pédagogique, ou de sensibilisation. « Enterre-moi, mon amour » est donc loin d’être le premier de sa catégorie: parmi les titres les plus reconnus par la critique, nous pouvons aussi citer This War of Mine, développé par 11 bit studios, ou le jeu indépendant de Lucas Pope « Papers, Please ».
Mais alors que This War of Mine se déroulait durant le siège de Sarajevo de 1992, « Enterre-moi, mon amour » touche s’attaque à un sujet contemporain: la migration des réfugiés syriens vers l’Europe. Le jeu est directement inspiré de l’histoire de Dana, relatée dans un article du Monde signé Lucie Soullier, « Le voyage d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp ». Le jeu ne reprend pas directement l’histoire de Dana, bien que celle dernière soit créditée comme conseillère auprès des développeurs: il crée deux nouveaux personnages, Nour et Majd.
Nour et Majd sont unis par les liens du mariage, mais Homs, leur foyer sous les bombes, est une ville à laquelle ils rêvent d’échapper. Lorsque Nour perd sa sœur, dernier membre de sa famille encore en vie, dans une énième explosion, elle craque et fait le serment de se rendre en Allemagne. Majd l’aime mais ne peut la suivre: il doit rester au pays, s’occuper de sa mère. Incapable d’accompagner son épouse au cours du périple qui l’attend, il ne peut que la suivre à distance grâce à son téléphone portable.
https://www.youtube.com/watch?v=miXo3oyOdV8
Les co-auteurs du jeu, Pierre Corbinais et Florent Maurin, ont fait le choix de placer le joueur dans la peau de Majd, bien que Nour soit la véritable héroïne. L’utilisateur recevra donc les messages de la jeune femme sur son propre téléphone portable, en temps réel ou accéléré selon son bon vouloir. Il faudra guider Nour durant son voyage, la conseiller lorsque plusieurs options sont à sa disposition et la soutenir lorsque le désespoir la rattrape. Le tout sans savoir si la jeune Syrienne arrivera saine et sauve à destination: avec 19 fins disponibles, le jeu laisse ses joueurs dans l’incertitude.
Tous les voyages sont différents, et selon les choix effectués par le joueur, Nour n’affrontera pas les même épreuves. Aucune trajectoire n’est cependant facile: le jeu n’hésite pas à mettre son utilisateur face aux réalités les plus dures.
Touchant et innovant, Enterre-moi, mon amour est un jeu vidéo qui ne divertit pas vraiment. Malgré quelques pointes d’humour – selfie, fautes de frappes, plaisanteries que s’échangent le couple – la tonalité du jeu reste très grave. « À chaque fois qu’il a fallu trancher entre le plaisir de joueur et l’aspect réaliste, on a opté pour ce dernier » déclarait Florent Maurin dans un entretien pour Télérama. Certes, les photographies que Nour envoie à son mari sont remplacées par des illustrations signées Matthieu Godet. Mais si elles dotent le titre d’une patte artistique originale, cette dernière renforce l’expérience vidéo-ludique sans pour autant en retirer la charge émotionnelle.
En amenant le joueur à se confronter aux multiples obstacles qui parsèment le chemin des milliers de migrants attirés par la stabilité européenne, Enterre-moi, mon amour ne raconte pas la seule histoire de Nour. Il cherche à représenter, avec le plus de réalisme possible le destins des migrants dans leur ensemble, et à inciter le joueur à ne pas juger ces populations étrangères avant d’avoir compris leurs motivations.
Dans la même lignée, mais pâtissant d’un moindre retentissement médiatique, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) publiait en avril 2017 Finding Home (Trouver un foyer), un serious game qui retrace également le parcours d’une migrante. Mais l’héroïne est ici une réfugiée de 16 ans, Kathijah, qui fuit les persécutions dont la minorité rohingya fait l’objet en Birmanie. Ici aussi, un téléphone portable constitue l’interface de jeu: mais c’est celui de la migrante elle-même dont il est question. Le joueur est donc dans la peau de Kathijah, aussi proche que l’on puisse l’être d’une véritable expérience de migration.
Il peut paraître étrange de voir le domaine vidéo-ludique s’ouvrir à des thèmes d’actualité, particulièrement durs qui plus est: des sujets bien souvent réservés au médias traditionnels. D’autant que ces deux jeux ont été réalisé sous la houlette de ARTE dans le premier cas, et des Nations Unies dans le second. À noter que ARTE n’était pas totalement novice en la matière. La chaîne franco-allemande avait déjà eu l’occasion de croiser les médias, que ce soit avec le web-documentaire interactifDo Not Track en 2015, ou avec Vous êtes Anarchiste en avril 2017: ledit programme était déjà issu d’une collaboration avec The Pixel Hunt.
Ces productions mixtes témoignent de l’évolution des médias dits « traditionnels » à mesure du développement des nouvelles technologies. Longtemps considéré comme un support destiné au seul divertissement, le jeu vidéo entre à présent au service de l’actualité. Reste à savoir quel est l’avenir de ces médias hybrides. En attendant le résultat des Game Awards 2017 – qui devraient tomber le 7 décembre – on espère effectivement qu’Enterre-moi, mon amour aura eu sur ses joueurs « l’impact » pour lequel il a été nominé.
Enterre-moi, mon amour est une application mobile compatible avec les systèmes iOS et Android. Un prologue est disponible gratuitement sur la plateforme d’ARTE.
De Bouguenais à Paris en passant par Fougères et Cesson-Sévigné, le Festival de l’Imaginaire invite Hâfiz, un groupe de quatre musiciens venus du Tadjikistan. Une visite inédite en France pour une série de concerts et de masterclasses.
Fidèle à sa mission première, le Festival de l’Imaginaire partage depuis plus de vingt ans chants, danses et autres expressions artistiques rares, témoins de la diversité culturelle de notre monde. Pour les dernières dates de cette édition, la Maison des Cultures du Monde emmène en voyage sur l’ancien chemin de la Route de la Soie, vers le massif du Pamir, ce « Toit du monde ».
La pépite sonore glanée sur le chemin s’appelle Hâfiz. Au Tadjikistan, ce mot désigne celui qui connaît, transmet et crée la tradition. Le quartet qui nous rend visite ne pouvait mieux choisir son nom : chants sacrés et rituels, poèmes d’amour ou chansons de fête, les quatre musiciens d’Hâfiz font rimer création et tradition, accompagnant leurs voix puissantes avec de très beaux instruments traditionnels (luths, vièles et tambours).
Accueillis par le Nouveau Pavillon à Bouguenais (44) le jeudi 7 décembre, ils termineront leur périple français par deux dates parisiennes les 14 et 15 décembre au Théâtre de l’Alliance française, lieu « historique » du festival de l’Imaginaire. Entre ces deux dates, Nobovar Chanorov, Ismâ’il Nazri, Olimsho Nazarshoev et Ghulomsho Safarov seront en tournée dans l’Ouest.
Après une halte au Mans le 8 décembre au Centre du patrimoine de la facture instrumentale, le quartet viendra à Fougères pour une rencontre-concert le samedi 9 décembre à 16h30. Le lendemain, dimanche 10 décembre, Hâfiz passera la journée à Cesson-Sévigné, près de Rennes : de 11h à 16h30 aura lieu une masterclass consacrée aux rythmes et aux modes du Badakhchan, leur région d’origine, puis à 18h un concert viendra clôturer cette journée tadjik.
Infos pratiques
Bouguenais, Le Nouveau Pavillon 2 rue Célestin Freinet 44340 Bouguenais Jeudi 7 décembre à 20h30 / concert Infos et réservation au 02 40 02 35 16
Paris, Théâtre de l’Alliance française 101 boulevard Raspail 75006 Paris Jeudi 14 et vendredi 15 décembre à 20h / concert Infos et réservation au 01 45 44 72 30
Le Mans, Centre du Patrimoine de la Facture Instrumentale 11 rue des Frères Gréban 72000 Le Mans Vendredi 8 décembre à 20h / rencontre-concert Infos au 02 43 43 81 05
Fougères, Auditorium de la médiathèque La Clairière 2 esplanade Chaussonnières 35300 Fougères Samedi 9 décembre à 16h30 / rencontre-concert Réservation obligatoire au 02 23 51 10 90 En partenariat avec la Granjagoul, Maison du Patrimoine oral en Haute-Bretagne
Cesson-Sévigné, Studio ZF Prod Gohorel 35510 Cesson-Sévigné Dimanche 10 décembre de 11h à 16h30 / masterclass Inscriptions : stephane.hardy@lapartdesanches.com / 06 15 76 74 65 Dimanche 10 décembre à 18h / concert Infos et réservation : lmmprod35@gmail.com / 07 69 41 99 13 En partenariat avec La Part des Anches
Mimile, Antoine et Pierrot, ces Vieux Fourneaux apparus il y a plus de trois ans reviennent, après une cure de jouvence, plus alertes que jamais. Et se joint à eux désormais un Loup en slip pour les « vrais » jeunes. Cela décoiffe dans un quatrième album La Magicienne.
Vous vous souvenez ? Unidivers vous les avait présentés lors de leur première apparition. Ces Pieds nickelés du nouveau siècle, ces anars tendance Guignol, nous avaient tout de suite séduits avec leur mélange d’humour, de dérision, d’actualité et de tendresse. Malgré leur âge, ils ont fait du chemin depuis. Trois albums exactement, le temps pour eux de devenir tendance. Tendance tout court désormais. À tel point que leurs silhouettes géantes trônent un peu partout aux vitrines des bonnes librairies, version poing levé, et langue bien pendue. On avait trouvé qu’ils avaient perdu un peu de leur force, notamment dans le troisième opus. Ils vieillissaient un peu. Normal. Dans le quatrième épisode qui sort en ce mois de novembre, ils retrouvent de leur causticité, même si Émile se repose un peu en Écosse loin de ses deux compères qui vont s’écharper (un peu) au sujet de l’extension de l’entreprise Garan-Servier, partagés qu’ils sont entre Zadistes et anti Zadistes.
« Les Zadistes c’est mieux que des gitans. C’est pas pareil, c’est pas des caravanes qu’ils ont … C’est des camionnettes. »
« Des camionnettes ? Et c’est mieux ? »
Car dans le village d’Antoine, si proche du village breton d’Astérix, rien n’est simple surtout lorsqu’une mystérieuse « Magicienne Dentelée » risque d’empêcher les travaux d’implantation de l’usine. Émile débarque avec des vi…, des seniors improbables, un jeune hacker, un légionnaire aigri surnommé le Zébu. Antoine se mue en économiste libéral et réaliste, soucieux de donner du travail aux habitants du village. Et Sophie, la petite fille marionnettiste, tombe amoureuse, sans pour autant révéler l’identité du père de sa fille Juliette. Et puis. Et puis il y a toujours le fameux trésor enfoui du temps de leur enfance, quand les trois compères, cow boys ou pirates, bataillaient contre les adultes et leur monde sans rêve.
C’est bien connu, ce sont dans les vieux fourneaux que l’on fait les meilleures recettes et la recette de Lupano et Cauuet est délicieuse. On retrouve dans ce dernier album les dialogues hilarants, les personnages attachants mais l’actualité, avec ses préoccupations écologiques, sa désertification médicale, est traitée de manière moins manichéenne mais toujours aussi humoristique. On se moque des travers de tous, chacun possédant sa part de ridicule et de contradictions.
C’est bien la France ça. Vous passez votre temps à râler que rien ne change et quand ça change vous gueulez que ça sera plus comme avant.
On suit nos personnages de ce village de Tarn et Garonne, dans leurs préoccupations quotidiennes, comme celle de devoir se battre avec des artisans souvent défaillants.
L’artisan quand il commence son activité, il intègre une société secrète dans laquelle il doit prêter serment de ne JAMAIS mais JAMAIS respecter un planning !
Comme il était dit dans le premier album, pour ne pas mourir le mieux c’est de vieillir. Et pour ne pas vieillir, on peut par exemple raconter des histoires aux plus jeunes. C’est ce que fait dans son théâtre de marionnettes, Sophie et ses histoires de Loup en Slip. Forts de leur succès pour adultes et anciens, Lupano et Cauuet ont donc décidé de faire vivre dans des albums pour enfants, ce vilain loup avec l’aide de la coloriste Mayana Itoïz.
Après un tome 1, où le loup n’est plus le méchant animal attendu, jetant ainsi le désarroi parmi les habitants de la forêt, l’animal en slip (à rayures rouges du plus bel effet!) « se les gèle » mais se gèle quoi ? Chaque habitant va se poser la question pour conclure finalement par une réponse plus sérieuse qu’il n’y paraît. Dans ces deux tomes les auteurs abordent avec discrétion des thèmes chers aux adultes comme ceux du logement, de la peur collective, du partage. Les dessins parleront aux petits et aux grands, fidèles aux personnages des grands contes classiques avec une touche de modernité adaptée aux thèmes de notre époque. Car le loup, comme avec le chaperon rouge, attire et repousse à la fois. Une opposition délicieuse pour les enfants. Et les adultes. Le tout étant de ne pas se laisser « confire le citron par la saumure réactionnaire ».
Les Vieux Fourneaux tome 4, La Magicienne. Éditions Dargaud. Scénario : Wilfrid Lupano. Dessins : Paul Cauuet. 56 pages. 12€.
DESSINATEUR : PAUL CAUUET
SCÉNARISTE : WILFRID LUPANO
COLORISTE : PAUL CAUUET
PUBLIC : TOUS PUBLICS – FAMILLE
Le Loup en slip. Tome 2. On se les gèle. Éditions Dargaud. Scénario : Lupano. Dessins : Cauuet. Couleurs : Itoïz. 40 pages . 10€.
RENCONTRE AVEC MAYANA ITOÏZ, WILFRID LUPANO ET PAUL CAUUET À RENNES mercredi 29 novembre, 18h30, Les Champs Libres, salle de conférences, 10, cours des Alliés, Rennes. Gratuit. Contact et réservation : 02 23 40 66 00
Le film Maryline n’est pas un biopic de la fameuse et sulfureuse actrice américaine, ce serait faire du titre de ce long métrage de Guillaume Gallienne un raccourci inapproprié. Pourtant, c’est bien d’une artiste dont Guillaume Gallienne va nous entretenir durant 1h47. Du moins, d’une jeune femme rêvant de succès, qui n’est pas dénuée de talent, mais malheureusement hantée par des démons personnels qui ont pour nom, vin, whisky… Bref, vous avez compris…
MarIlYn Monroe à Einstein : “Ô Maitre, imaginez le bonheur d’avoir un enfant ensemble : ma beauté et votre intelligence réunie !…”
Einstein à MarIlYn Monroe : “certes, mais imaginez le contraire…”
Savoir que c’est un acteur de la dimension de Guillaume Gallienne qui est l’auteur de ce film nous a mis dans de bonnes dispositions. Ce sociétaire de la Comédie française a maintes fois démontré – sa modestie dut-elle en souffrir – des qualités qui le hissent au niveau des plus grands et des plus authentiques acteurs. Juste dans son jeu et hypnotique dans ses interprétations, il donne à ses personnages une dimension et une épaisseur qui est l’apanage des maîtres. Seulement voilà, être un brillant acteur ne fait pas de facto un vrai metteur en scène. S’il avait démontré dans sa première création Guillaume et les garçons à table ! de véritables aptitudes, sans doute l’aspect autobiographique de ce film facilitait la projection de quelque chose de crédible, de vécu. Le résultat était simplement formidable ; aussi nous sentions-nous en droit d’espérer la même énergie dans Maryline.
C’est une scène de cimetière perdue entre ridicule et comique qui entame le film Maryline. Quelques femmes sont rassemblées pour répandre les cendres du défunt père de l’actrice et le ton est donné : il n’y a pas de doute Maryline est issue de la famille Groseille domiciliée à Ploucland. Ses origines étant établies, on la retrouve à Paris, se présentant pour un casting, où elle subit un test des plus déroutants, se faisant secouer sans ménagement, accrochée à une table, comme si cet élément de mobilier était pour elle la chose la plus importante du monde. Un peu bizarroïde, mais peut-être est-ce la manière dont use Guillaume Galienne pour lever un voile pas trop pudique sur les réalités des coulisses du cinéma.
On serait en droit d’être conforté dans cette opinion par la suite, puisque l’on retrouve notre pathétique héroïne aux prises avec un metteur en scène un brin harceleur et objectivement odieux, mais dès lors le spectateur se trouve un peu désarçonné. C’est la crédibilité même du personnage qui est en question. Comment peut-on envisager une personne tétanisée et balbutiante, incapable de surmonter ses angoisses, en tant qu’actrice ? Le trait est un peu forcé et c’est dérangeant. Une scène du film Maryline nous montre notre débutante prise de cours par son cycle menstruel et réduite à remplir ses sous-vêtements de serviettes en papier, alors qu’elle est assise à table…
Pourtant Maryline semble plaire et n’a pas de peine à retrouver des rôles, qu’elle s’empresse de piétiner avec une joie mauvaise et largement irriguée des meilleurs crus. Il devient difficile de savoir si l’on est agacé par le film ou par les incartades de la starlette. Et cette confusion même ne fait qu’augmenter le malaise qui s’installe peu à peu. Pourtant, Adeline D’Hermy, dans le rôle principal ne ménage pas ses efforts et démontre à son tour que son appartenance à la Comédie française n’est aucunement usurpée. Elle incarne le personnage de cette paumée du grand écran avec un louable talent. Puisse-elle ne pas nous en vouloir, mais c’est le bref passage de Vanessa Paradis qui nous mettra le dos au mur. Ouaaahhh : elle est juste splendide dans ce petit rôle. Détail amusant : dans le film elle s’appelle Jeanne et, durant un instant, la lumière s’y prêtant, c’est Jeanne Moreau que l’on a cru voir. Bizarre peut-être ; émouvant mimétisme, assurément.
La seconde partie du film Maryline nous fait oublier le découpage un peu décousu, il doit sans doute rester au fond de nous un désir de happy end. D’alcoolique et moche, Maryline devient belle. Nous nous réjouissons de cette salvation inattendue, mais cela ne suffira pas à effacer l’agacement et l’impression mitigée que nous laisse le second opus d’un acteur que nous aimons vraiment beaucoup. Nous avions envie de nous enthousiasmer, mais vraiment le compte n’y est pas.
Maryline est un film de Guillaume Gallienne avec Adeline d’Hermy et Vanessa Paradis. Sortie nationale le 15 novembre 2017, durée : 1h 47min.
Crédit Photo : Thierry Valletoux
https://www.youtube.com/watch?v=eiUphBF8x0w
RÉALISATEUR SCÉNARISTE Guillaume Gallienne
ACTEURS
Maryline Adeline d’Hermy
Jeanne Desmarais Vanessa Paradis
François Louis Eric Ruff
Michel Roche Xavier Beauvois
Ilan Kafman Lars Edinger
Betty Brant Pascale Arbillot
Elle ne peut se souvenir de son nom, de son village, du langage de sa tribu. Ne lui reste qu’une vague mémoire de sa mère qui la savait “douce et bonne”, de sa soeur aînée et de sa jumelle. Avec BakhitaVéronique Olmi révèle le parcours exceptionnel d’une esclave soudanaise. Sauvée par un couple de diplomates italiens, elle trouve asile dans la religion catholique. Après cinquante ans de vie religieuse, Bakhita (1869-1947) a été canonisée par le pape Jean-Paul II le 1er octobre 2000. Prix du roman Fnac 2017 et Grand Prix des Blogueurs littéraires 2017.
Bakhita est née en 1876. Enlevée à l’âge de sept ans, elle est vendue à des négriers musulmans qui l’emmènent à Taweisha, dernière ville frontière entre le Darfour et le Kordofan, ville de tous les trafics et de la contrebande. Sa jeunesse fut brisée par des années d’esclavage, de tortures, de violences inouïes, de séparations douloureuses. Bakhita en tire une obéissance aveugle, une volonté vitale de vouloir être aimée pour ne plus souffrir, et même une certaine culpabilité.
Bakhita faisait de son mieux. Elle voulait qu’on la garde. Qu’on la garde parce que l’on était content d’elle. Parce qu’on aimait sa présence. Mais jamais elle n’a pris cela pour de l’amour. L’amour, elle savait ce que c’était, elle l’avait reçu de ses parents, c’était une reconnaissance, un partage et une force. L’amour des maîtresses pour elle était un caprice. Elle vivait dans l’intranquillité et la soumission.
Achetée pour la cinquième fois par un consul italien à Khartoum, elle se rend indispensable auprès d’un enfant eunuque promis à un couple d’Italiens afin de participer au voyage de retour vers l’Italie. Callisto Legnagni a été le dernier Européen à traverser le désert avant la chute de Khartoum. Lorsque Bakhita, seize ans, est enfin lavée et vêtue d’une tunique, elle en pleure de gratitude.
C’est comme cela, par ce corps restitué, qui ne sera plus battu ni convoité, qu’elle retrouve, lentement, le monde des humains.
Cette première partie sur l’esclavage est d’une grande noirceur, souvent insoutenable. On pourrait penser que l’auteure en fait trop si l’on ne savait la réalité.
En avril 1885, Bakhita arrive à Gênes. Première Noire à débarquer, elle est considérée comme le diable. Pourtant, lorsque Maria Michiele constate l’attachement du jeune eunuque pour Bakhita, cet amour qu’il y a entre eux, elle, qui ne sait pas s’occuper d’enfants, la veut absolument. Maria a déjà perdu deux enfants, elle comprend que seule Bakhita pourra l’aider à être mère. Et effectivement, la petite Alice, surnommée Mimmina, doit la vie à Bakhita. Elles seront inséparables, s’aimeront d’un amour fusionnel et confiant. Stefano, l’administrateur de biens, humaniste et père de cinq enfants, éprouve un coup de coeur filial pour Bakhita. Lorsque les Michiele retournent au Soudan, Stefano insiste pour que Bakhita soit confiée à l’Institut des catéchumènes de Venise. Incapable de séparer l’enfant de l’esclave, Mimmina y restera plus d’un an avec elle. De retour du Soudan, Maria intente un procès à l’esclave afin de récupérer son enfant.
Elles se sont donné mutuellement la vie, le bébé que massait Bakhita et dont elle aspirait les glaires, l’esclave que Mimmina réclamait sur le bateau, mais elles ne se reverront plus. La douleur ne s’effacera pas, elle sera ravivée par d’autres douleurs, et par les joies aussi, qui leur rappelleront celle qu’elles s’étaient donnée, la joie, cet éclat brûlant, soudainement remplacée par la solitude.
Sa première rencontre avec le Christ est marquante. Elle s’identifie dans ce corps blanc crucifié sur la croix. Quelle importance qu’il ne soit ni de la même couleur ni de la même croyance, il porte la souffrance et l’amour sur son visage. Tout ce qu’elle veut est aimer, nourrir les enfants, ne plus les abandonner. Elle a la patience des êtres sauvés et ne souhaite qu’épauler les enfants, les jeunes filles, ceux qui commencent leur vie.
La seconde partie en Italie, période de retraite chez les soeurs de la Charité, est beaucoup plus introspective. Première esclave noire en Italie, elle fait souvent peur, mais elle intrigue aussi. Les soeurs la poussent à témoigner en écrivant ses mémoires afin de récolter des fonds pour les actions contre l’esclavage. L’auteur évoque rapidement les engagements militaires de l’Italie, le fascisme. Bakhita connaît les souffrances des soldats et des prisonniers, elle apaise ces affligés.
Elle a traversé de nombreuses années et de nombreux pays, et elle n’a jamais vu que le même paysage, celui des hommes perdus, des mères dépossédées et des enfants sans innocence.
Véronique Olmi relate l’histoire de ce personnage hors du commun : héroïne inoubliable d’une belle grandeur d’âme.
Culture Club est au Festival du TNB de Rennes ! L’émission Culture Club animée par Thibaut Boulais en compagnie de Ronan Le Mouhaër et Nicolas Roberti est tournée chaque mois dans un lieu emblématique de la Métropole de Rennes. TVR, Canal B et Unidivers – 3 regards culturels en 1 pour le même prix (gratuit). Culture Club, l’essayer c’est l’adopter ! Les invités : Arthur Nauzyciel, directeur du TNB, Vincent Macaigne, Mette Ingvarsten, Eric Vignier.
Eric Vigner
C’est quoi l’imagination ? La capacité de voir ce qui n’a pas de visibilité. Quand nous sommes au théâtre ou dans n’importe quelle situation, nous entendons seulement sourdement les échos de la vie intime des choses, la vie interne du monde, de la scène qu’on regarde ou de la personne avec qui on parle. Dans ce cadre, Eric Vigner est un passeur, un traducteur et un magicien. Non un magicien comme on l’entend communément qui sort des lapins de son chapeau ou qui fait apparaître des prodiges. Le vrai magicien ou sorcier : celui qui s’installe dans l’intimité de la matière, au creux de la pensée et de l’existence, pour tenter d’agir sur cet ensemble d’énergies qu’est la force brute de la vie. Son geste et son génie au théâtre est de travailler sur l’intermédiaire et l’interstice : le pivot entre la vie intérieure du spectateur et ce qui du domaine des choses de la vie lui est montré ou raconté (une histoire). Pour ce faire, Eric Vigner produit des cosmologies de l’intime ou des intimités cosmologiques qu’il voile et dévoile afin de produire des variations spirituelles qui affectent le spectateur et le transporte au coeur du sujet (spectacle, histoire) au lieu de le faire tourner autour. C’est ainsi qu’il produit dans la relation d’intimité du spectateur à une histoire donnée du nouveau ; une traduction qui vient réinventer le sens de l’ancien.
Mette Ingvartsen
Si pour Rimbaud, Je est un autre, pour Mette Ingvartsen, Je est multiple. Mette Ingvartsen est danseuse chorégraphe perforeuse danoise. Née en 1980 au Danemark, Elle à vécu 5 ans à Rennes. Un élément important de son existence : Mette Ingvartsen passe jusqu’à ses 14 ans pour un garçon. En 2014, elle a commencé un cycle de pièces The Red Pieces, qui retracent l’histoire de la sexualité dans la performance et dans la société avec : 69 positions, 7 pleasures, TO COME (EXTENDED).
Mette Ingvertsen se concentre et explore la nudité, la représentation du corps, le désir et la sexualité, l’individu et le collectif. Au centre de ce cycle, il y a l’individu compris comme être bio-psycho-social. Et il y a une interrogation qui fut centrale dans les années 60 (mais qui prolonge les thèses le théoricien de la sexualité Wilheim Reich), la pratique et l’identité du sexe peuvent-elles être subversives et, donc, libératrices ? En parallèle, comment le désir, dans sa traduction sexuelle collective, produit des codifications si ce n’est aliénantes au moins appauvrissantes.
Dans ce dessin, Mette Ingvartsen produit des performances comme expériences participatives et rituelles de groupe, un peu comme la célébration d’un mystère libératoire. Où la sexualité et le plaisir sont décodés et libérés afin de permettre à chaque participant de résister à la puissance de normalisation, de standardisation que la société, le collectif, exerce sur les individus et sur les regards et les pratiques sexuelles.
Ce qui est notable dans le travail de Mette Ingvartsen, c’est qu’il n’y a pas de production d’une théorie ou d’une conception du monde ; mais sa pratique performative entraîne un décodage des codes sexuels qui entraîne une révision des valeurs sexuelle ; laquelle révision des valeurs participe à une interrogation libératrice de la sexualité, autrement dit à un déconditionnement de l’Art de jouir.
Charles Manson s’est fait connaître du grand public dans les années 1970 avec sa Family, une secte dionysiaque racialiste qu’il dirigeait en tant que réincarnation… de Jésus-Christ. Il est mort à l’âge de 83 ans le dimanche 19 novembre 2017 à Bakersfield, Californie, États-Unis.
Né d’une jeune fille âgée 16 ans, le 12 novembre 1934 à Cincinnati, dans l’Ohio, le jeune Charles grandit sans amour. À l’adolescence, il est placé dans une institution pour garçons qui le mène à la délinquance. Al’âge de 21 ans, il est condamné à cinq ans d’emprisonnement pour vol de voiture, mais bénéficie d’une libération conditionnelle.
Il tente de se ranger en épousant Rosalie Willis, mais un an plus tard est de nouveau condamné pour le même délit. Il apprend en prison qu’il a un fils mais Rosalie demande le divorce et part avec l’enfant.
https://youtu.be/1ihTE5cxUCQ
Libéré pour bonne conduite, il est ensuite de nouveau emprisonné pour différents délits. « J’ai passé toute ma vie en prison, ce qui fait que je me sens ici comme à la maison, euh… ça fait combien de temps que je suis en prison ? 34 ans… », dit-il dans une entretien en 1981.
En 1967, alors qu’il a purgé sa peine, il demande à l’administration de rester derrière les barreaux – demande rejetée. En pleine période hippie, il se passionne pour les Beatles qui lui inspirent la fondation de sa « famille ».
La secte la Family vit une existence fondée sur la mise en commun des biens et des corps. Constituée majoritairement de femmes désemparées, dociles et adeptes de la drogue, la vie s’y déroule entre musique, drogue et sexe. D’abord itinérante, la communauté s’installe dans des ranchs de la Vallée de la mort. Peu à peu convaincu d’être la réincarnation du Christ, Charles Manson prépare une série de meurtres afin de provoquer l’avènement d’une lutte entre Blancs et Noirs surnommée « Helter Skelter » d’après un titre des Beatles. Objectif final : la marche victorieuse du peuple blanc sous sa houlette. C’est ainsi qu’il en vient à ordonner à ses disciples de tuer au hasard des habitants de quartiers chics et blancs de Los Angeles afin d’exacerber les tensions communautaires.
Le 9 août 1969, trois des adeptes de la Family de Charles Manson font effraction dans la maison de Roman Polanski situé à Los Angeles. La disciple Susan Atkins assassine Shanon Tate, la compagne du cinéaste qui était enceinte de huit mois, tandis que ses complices tuent trois autres personnes présentes dans la villa. Susan Atkins écrit ensuite avec le sang de l’actrice le mot « PIG » (porc) sur la porte d’entrée.
https://youtu.be/y2Eu_fUjNig
Charles Manson, bien que non présent sur les lieux des faits, mais à l’évidence instigateur des faits, est condamné à mort en 1971 avec les quatre disciples pour meurtre avec préméditation. Une peine plus tard commuée en prison à vie. Leurs douze demandes de libération conditionnelle seront toutes rejetées. Jamais Charles Manson jamais ne regrettera ses actes horribles et son influence néfaste. Sa signature : une cicatrice en forme de croix gammée sur le front.
En prison, Charles Manson composera des musiques, donnera des interviews et se mariera. Sa « légende » de figure sataniste moderne a donné lieu à des ouvrages dédiés, des chansons, des circuits touristiques, des sites internet et des films. Manson a lui-même publié un album en 1970, réédité en CD en 2006.
Le restaurant Au sans chichi se mérite un peu. Quasi dissimulée dans une petite rue de Rennes peu connue, le passage du Trégor, cette nouvelle cantine conviviale dédiée à la bonne nourriture met toute son énergie à offrir une carte de qualité à des prix vraiment abordables. Jamais avare de nouvelles expériences culinaires, nous avons fait passer Au sans chichi l’examen de notre palais exigeant. Compte rendu.
Pour apprécier le restaurant Au sans chichi, il faut, avant toute chose, accepter les partis-pris et engagements des deux propriétaires. En effet Samia Meslem et Olivier Tan (dit OT) ont bâti ce projet de leurs propres mains au sens le plus littéral du terme. Ne renâclant pas devant les taches plutôt physiques de la construction et entourés d’une bande de copains de bonne volonté, ils ont gratté, poncé, peint et décoré eux-mêmes cet ancien laboratoire de production culinaire asiatique. Seuls les travaux incriminant la sécurité ont été effectués par des professionnels qui ont apporté leur certification.
Le projet sans chichi des deux complices est d’offrir, même aux budgets les plus modestes, un repas de qualité à un prix des plus abordables. Tout restaurateur vous le dira, mais pour atteindre cet objectif, un peu acrobatique, pas d’autres solutions que d’écarter tous les produits déjà élaborés et onéreux et de leur préférer des produits frais qu’il sera nécessaire de valoriser par le travail. Petit détail qui par lui-même vaut toutes les explications : au mot de restaurant, Samia et Olivier préfèrent l’expression cantine conviviale. Bien sûr, le mot cantine est ici dépouillé de toute connotation péjorative et se comprend comme un « petit resto sympa et pas cher ».
S’il est possible de déjeuner ou dîner en terrasse, les actuelles températures hivernales invitent à se replier à l’intérieur et profiter des huit places du bas ou des seize places de la salle du haut après avoir gravi un escalier qui, à lui seul, vaut tous les apéritifs… En cohérence avec leur intention, cette salle donne un apaisant sentiment de « comme à la maison », sentiment que la nourriture viendra confirmer. Pour ceux qui n’auront pas de place ou, le cas échéant, peu de temps, il est possible de passer commande au Sans chichi et d’emporter les petits plats concoctés par Samia et OT. Cette formule répond à un vrai besoin dans ce quartier et remporte déjà un franc succès.
Mais venons-en à l’essentiel : repas-nourriture-recettes. En entrée, nous avons dégusté une assiette avec trois pâtés faits maison : des rillettes de porc, très bonnes et pas trop grasses, une terrine de foie à l’Armagnac, agréablement parfumée, un pâté de foie au confit d’oignons étonnant et fruité. Si la proposition de trois pâtés en entrée peut paraître étonnante, les quantités à la fois raisonnables et suffisantes offrent de se régaler sans craindre les excès.
Dotés d’un appétit qui fait toujours honneur aux cuisiniers, c’est sur les travers de porc que nous avons jeté notre dévolu et bien nous en a pris. Honnêtement servis, ils ont été accompagnés de riz, de délicieuses courges rôties et, puisque la cueillette du dimanche avait été fructueuse, d’une garniture de chanterelles toutes fraîches du meilleur aloi. Pour le dessert, faut-il s’en étonner, c’est le café gourmand qui a, pour un dernier baroud, stimulé nos papilles. Des fruits frais émincés, en passant par un petit financier, un gâteau au chocolat et un aux pommes, c’est pourtant l’étonnante gelée de pommes faite maison qui nous a le plus stimulés – une émotion culinaire à elle seule. Le café, servi généreusement dans une de ces cafetières que les gens du Nord laissent à longueur de journée sur le coin du feu, sera le point d’orgue de cette nouvelle rencontre.
Après avoir testé la cuisine et la cantine conviviale Au sans chichi, les Rennais connaîtront mieux Samia et Olivier qui, par la simplicité de leur accueil et la qualité de leur cuisine, n’ont pas oublié de placer l’humain au cœur de leur travail. Cela donne à leurs mets un goût incomparable que nous vous invitons à partager. Allez : pas de chichis, courez donc au Sans chichi !
Tarifs sur place : Entrée plat dessert 15 € (9 € à emporter*) ; Entrée ou dessert et plat 13 € (7 € à emporter) ; le plat seul 10 € (5 € à emporter). * La formule midi à emporter fonctionne du lundi au vendredi.
Adresse : Au Sans-Chichi, 18 Passage du Trégor 35000 Rennes
Un passé recomposé. Ainsi pourrait-on qualifier la nouvelle collection Histoire dessinée de la France qui veut revoir l’histoire de notre nation à l’aune d’une approche plus critique et moins politiquement correcte. Quand un historien travaille avec un dessinateur de BD cela donne un début de collection prometteur intitulé La ballade nationale, Origines.
« Nos ancêtres les Gaulois ». Cette phrase nous parle comme une évidence. Ressassée dès l’école elle est en fait le symbole de ce que souhaite remettre en cause la toute nouvelle collection Histoire Dessinée de la France créée conjointement par la Revue Dessinée et les éditions La Découverte. La recherche historique s’est profondément modifiée depuis quelques années et la manière d’appréhender le passé a été bouleversée. « Les lieux de mémoire » de Pierre Nora, Eric Vuillard par le roman et notamment son Prix Goncourt « L’ordre du Jour » ou son « Quatorze Juillet », les historiens comme Patrick Boucheron et le collectif d’auteurs signataires du gigantesque succès de l’« Histoire Mondiale de la France », sont les marqueurs les plus connus de cette remise en cause d’une histoire officielle générée par des raisons idéologiques, politiques, sociologiques, visant notamment à assurer la cohésion sociale. La BD, qui restait figée sur l’Histoire de France en Bande Dessinée des éditions Larousse publiée à la fin des années soixante-dix, ne pouvait rester à l’écart de ce vaste mouvement : contester le Roman National fondé essentiellement sur quelques grands événements et grands personnages symboles et simplificateurs.
En évitant justement de débuter par le traditionnel « Les Gaulois », le premier ouvrage de la collection, « La Balade Nationale », se charge de poser les termes de cette histoire de France revisitée et notamment la question de ces débuts. Vercingétorix et son casque ailé, qui n’est d’ailleurs pas un casque gaulois, est il vraiment notre ancêtre ? Marseille peut être le lieu de notre identité nationale ? À moins que cela soit le baptême de Clovis ? Il est impossible en effet aujourd’hui de parler de la France comme d’une entité abstraite existant presque dès la grotte de Lascaux, signe ancestral de notre génie créatif sans mise en perspective avec les « étrangers », ceux qui seraient extérieurs à notre passé, ou avec un territoire qui serait défini par des frontières prétendues « naturelles ».
Dans cette collection qui devrait compter 20 parutions, au rythme de deux tomes tous les six mois, l’historien guide l’élaboration de l’ouvrage par ses connaissances. Sylvain Salvayre, qui avait déjà travaillé avec les auteurs de BD, s’appuient ici sur le dessin de Davodeau pour expliquer en quelque sorte la démarche des dix-neuf autres ouvrages à suivre. Mais aucune inquiétude : ces principes ne sont pas pompeusement énoncés, car la BD reste la BD et le plaisir de lecture demeure l’essentiel. Dans un cadre fictionnel, vous réunissez donc dans le même véhicule, et dans le désordre chronologique total, Molière, Marie Curie, le général Dumas, Michelet, Jeanne d’Arc. Vous y ajoutez le cercueil de Pétain, ce qui permet à Davodeau de ne pas le dessiner (!), et vous mettez tout ce joli monde sur les traces d’une histoire fantasmée entre Carnac, Calais, Carcassonne ou Solutré. En voiture messieurs dames, derrière le volant, l’histoire déménage tout en fournissant un nombre d’informations considérable. Et ce ne sont pas les récriminations perpétuelles du « héros de Verdun », caché dans son cercueil, qui ralentiront le récit.
Ce travail d’exigence, malgré le nécessaire amusement de la lecture, est validé par l’ajout en fin de l’ouvrage d’une soixantaine de pages, véritable accompagnement historique, qui confirme la qualité du travail fourni et montre combien chaque bulle de la BD est pesée et validée. C’est le symbole de la réussite du pari de la collaboration entre un dessinateur et un historien de haut niveau, sans que le premier soit réduit à un rôle d’illustrateur.
En offrant aux lecteurs une lecture différente des images d’Épinal ou des visions strictement monarchiques et réductrices de Stéphane Bern, cette coédition a le grand mérite de mêler une vulgarisation de haut niveau avec un plaisir de lecture incontestable. Ne plus transformer l’histoire nationale «en outil de cohésion sociale, mais s’appuyer sur elle pour apprendre à développer de l’esprit critique » comme le dit Sylvain Venayre, cela fait un bien fou. Et nous incite à réfléchir.
La Balade Nationale: Les Origines. Dessins : Étienne Davodeau. Scénario: Sylvain Venayre. Coéditions : La Découverte et la Revue Dessinée. 160 pages. 22 euros.
Vient de paraître le tome 2 : L’enquête Gauloise. Historien : Jean-Louis Bruneaux. Dessinateur : Nicoby.
À paraître ensuite au printemps 2018 : La gaule Romaine et les Mérovingiens.
La Balade nationale, les origines, de Sylvain Venayre et Etienne Davodeau est paru à La Découverte et La Revue dessinée. C’est le premier tome d’une série de 20 tomes qui verra s’associer un historien à un dessinateur. Le suivant : L’Enquête gauloise, de Massilia à Jules César, par Jean-Louis Bruneau et Nicoby paraît en novembre 2017.
Leurs auteurs savent que la connaissance du passé dépend des moyens que l’on se donne pour l’atteindre. Historiens, ils expliquent leurs méthodes, leurs questionnements et rendent compte des recherches les plus récentes. Auteurs de bande dessinée, ils aident à comprendre le pouvoir de ces images qui, depuis si longtemps, accompagnent le récit de la nation. Ensemble, ils analysent le passé tout en faisant de ce livre en vingt volumes un récit, savant et gai, dont les intrigues multiples s’accommodent de graphismes variés. Car nous savons tous, aujourd’hui, que l’Histoire de France ne peut pas s’écrire d’un seul trait.
L’HISTOIRE DESSINÉE DE LA FRANCE
Une collection dirigée par l’historien Sylvain Venayre
COMMENT RACONTER AUTREMENT L’HISTOIRE DE FRANCE
SYLVAIN VENAYRE
Né en 1970 à Châlons-sur-Marne, Sylvain Venayre est un historien français. Élève d’Alain Corbin, ses thèmes de recherche sont l’histoire des représentations de l’espace et du temps ainsi que l’histoire culturelle du voyage.
Il est depuis 2013 professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Pierre-Mendès-France (Grenoble II). Il a récemment publié Jardin des colonies (avec Thomas B. Reverdy, Flammarion, 2017).
ÉTIENNE DAVODEAU
Né en 1965 à Botz-en-Mauges (Maine-et-Loire), Étienne Davodeau est dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Ses histoires, ancrées dans le réel, tracent des portraits bien vivants de gens ordinaires aux démêlés particuliers. Son dernier album, Cher pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la Ve République (avec Benoît Collombat, Futuropolis, 2015) prenait déjà la forme d’une enquête historique.
JEAN-LOUIS BRUNAUX
Né en 1953, Jean-Louis Brunaux est un archéologue français. Chercheur au CNRS (Laboratoire d’archéologie de l’ENS), il a dirigé de nombreuses fouilles sur les sites gaulois de Picardie. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur la civilisation gauloise dont Nos ancêtres les Gaulois (Points Histoire, 2015) et Les Religions gauloises (CNRS, 2016).
NICOBY
Né en 1976 à Rennes, Nicoby, de son vrai nom Nicolas Bidet, est un auteur de bande dessinée. Diplômé des Beaux-Arts, on lui doit une trentaine d’albums. Son trait vif, impulsif et gras, significatif de la nouvelle BD, privilégie la narration graphique à l’aspect purement illustratif du dessin, comme en atteste Une vie de papa ! (Dargaud, 2017). Par ailleurs, il fait partie du comité d’organisation du festival Quai des Bulles depuis 2003.
La galerie La Chambre Claire de l’université de Rennes 2 accueille jusqu’au 12 janvier 2018 l’exposition du photojournaliste Phil Moore :Kazakhstan, les fantômes du nucléaire. Des clichés à l’aspect post-apocalyptique, et pourtant froidement contemporains qui nous alertent. Qu’elles soient visibles ou insidieuses, les conséquences du nucléaire sont réelles et plusieurs millions de Kazakhs en sont aujourd’hui les victimes.
29 août 1949. L’Union des Républiques Socialistes Soviétiques fait exploser sa première bombe nucléaire, le « Premier Éclair », dans la région kazakh de Semipalatinsk. Avec ses vingt-deux kilotonnes, l’engin est d’une puissance à peu près comparable à celle de la bombe américaine lâchée sur Nagasaki en août 1945. Quatre ans plus tôt.
Lorsque la nouvelle arrive aux oreilles du président américain Harry Truman , elle déclenche une véritable course au nucléaire entre les deux puissances. L’URSS, refusant de rester sur la touche face aux États-Unis, a fait du Kazakhstan le laboratoire de ses expériences nucléaires. Une zone de 18 500 km2 est déterminée dans la steppe kazakh : le Polygone. En son centre se dresse la ville de Kurchatov, baptisée ainsi en l’honneur du physicien Igor Vasilyevich Kurchatov, le « père » de la bombe atomique soviétique. Abritant le personnel en charge du programme, elle a essentiellement été construite par des prisonniers de guerre. La zone se situe à quelques 150 km à l’ouest de la ville de Semipalatinsk, aujourd’hui appelée Semeï. On y trouve également quelques villages et éleveurs semi-nomades.
Pour le Comité Central du Parti, ainsi que pour Lavrenti Beria, l’homme à la tête du programme nucléaire soviétique, la région est parfaite. Elle est accessible par voie fluviale grâce à la rivière Irtysh, au nord. Et surtout, elle n’est habitée que par une population éparse, silencieuse, appartenant à une ethnie minoritaire.
Kazbek Kasimov fait paître ses montons dans un champ au sud de le la zone de Kurchatov
Entre 1949 et 1986, plus de 456 explosions de puissance variable ébranleront le Polygone. 116 d’entre elles seront effectuées à l’air libre. Les paysans habitants aux abords de la zone ne sont pas prévenus par les autorités. Ils ne sont pas non plus, la plupart du temps, évacués. Pire, certains sont utilisés comme cobayes pour observer les effets des radiations sur une population non protégée. Lorsque le programme prend finalement fin sur les ordres de Mikhaël Gorbatchev, environ un quart des essais atomiques mondiaux ont déjà été effectués dans cette région de 18 500 km2.
Le paysage n’a plus jamais été le même : la steppe kazakh s’est creusée de lacs qui n’ont rien de naturels. Les cratères des explosions, aujourd’hui emplis d’une eau polluée, sont les cicatrices les plus visibles du programme nucléaire soviétique. Mais pas les seules : soixante-huit ans après le début du programme, les radiations affectent encore les populations locales.
Lac radioactif formé par l’explosion de la bombe « Premier Eclair »
Phil Moore est un photojournaliste anglais. Alors qu’il débute sa carrière en 2011, son travail est rapidement reconnu : le travail qu’il effectue en République Démocratique du Congo est exposé au festival de photojournalisme de Perpignan, Visa pour l’Image en 2013. L’année suivante, il fait partie de la sélection du PDN 30 (New and Emerging Photographers to Watch). En 2016, il remporte le Prix Photo de la fondation Yves Rocher, une bourse de 8 000 euros qui lui permet de passer plusieurs mois au Kazakhstan. Les images qu’il rapporte de son séjour dépeignent avec justesse les conséquences du programme nucléaire soviétique sur la population locale.
Selon The Economist, 1,6 million d’individus seraient aujourd’hui contaminés par les radiations résiduelles. En 1997, 49% des nouveaux-nés auraient été affectés de handicaps divers, et 4,7% d’entre-eux seraient décédés avant l’âge de 1 an. Le taux de cancers y serait 2 à 3 fois plus élevé que dans le reste du Kazakhstan, et le niveau de radiation 70 à 400 fois au-dessus de la normale.
Enfants souffrant d’hydrocéphalie, hospitalisés au Centre pour Enfants des services sociaux d’Ayagoz
Et pourtant, la zone est toujours habitée. Pas le Polygone de Semipalatinsk en lui-même – encore que des débats soient en cours concernant une possible réouverture de la zone à l’agriculture – mais les territoires alentours, dont la ville de Semeï. Ironiquement, la ville accueille également l’Académie d’État de Médecine.
Les radiations ne laissent pas toujours des marques ostensibles. Si la steppe a été marquée de cratères, et si les malformations sont nombreuses, les maladies mentales et les cancers sont plus insidieux. Les clichés de Phil Moore retranscrivent cette réalité avec beaucoup de délicatesse : dans certaines familles, le nucléaire est véritablement un fantôme. Invisible, mais les hantant néanmoins.
Saulé ne peut pas faire pousser de fleurs dans son jardin. Son fils Alijan, atteint de troubles mentaux, les arrache systématiquement.
L’exposition Kazakhstan : les fantômes du nucléaire est à fois historique et d’actualité. Partager les témoignages de ses familles marquées par les radiations alerte évidemment sur le danger que représente, aujourd’hui encore, le nucléaire. La catastrophe de Fukushima et les essais nucléaires de la Corée du Nord en sont des exemples évidents. Mais les photographies de Phil Moore illustrent également un passé souvent ignoré. Emportées par la course au nucléaire, les grandes puissances n’ont pas hésité à tester leurs premières armes atomiques sur des territoires occupés par des minorités ethniques.
Kairat et sa soeur Aygul souffrent tous d’eux d’une paralysie cérébrale causée par les essais nucléaires de Semipalatinsk
La Chine eut une politique semblable à partir de 1964, sur le site de Lop Nor dans le Xinjiang. La région est par ailleurs habitée par la minorité ouïgour aux fortes revendications indépendantistes. Le bloc de l’ouest ne fait pas exception à la règle. À partir de 1946, les États-Unis mènent plusieurs tests nucléaires sur l’atoll de Bikini, dans l’archipel des îles Marshall. Quant à la France, elle mènera, entre 1960 et 1996, 167 essais nucléaires à Mururoa en Polynésie française. Et ce malgré la présence d’îles habitées à moins de 120 km de distance.
L’exposition de Phil Moore Kazakhstan : les fantômes du nucléaire est visible à la Galerie Chambre Claire, Rennes 2, jusqu’au 12 janvier 2018. Une visite guidée est organisée le 28 novembre, gratuite et traduite en Langue des Signes Française à 12h45 (gratuit sur réservation).
Paru en 2013 sous forme de livre illustré de photographies, Lost in Fukuoka d’Audrey Guiller nous entraine au Japon à la rencontre de Fukuoka, ville d’un million d’habitants située au nord de l’île. Le livre se traduit aujourd’hui en une exposition. A découvrir au Jardin moderne.
Audrey Guiller a vécu trois mois au Japon. 91 jours où elle a arpenté les rues de Fukuoka, afin de comprendre, observer l’étrange et l’intrigant. « Lorsque j’arrive dans un pays, j’aime poser des questions pour mieux comprendre. Seulement, je ne parle pas japonais et ils ne parlent pas anglais donc c’était un problème. J’ai rencontré Jean-Luc Azra, professeur à l’université Seinan-Gakuin à Fukuoka et il m’a proposé son aide : je prenais des photos de situations et il les décryptait. »
L’idée d’un livre est venue par la suite. Les Éditions de Juillet propose une collection « Villes mobiles » qui associe un photographe et un auteur afin de mettre en lumière une ville en particulier (Rome, Rabat, New York, Marseille…) « La photographie est en quelque sorte un point d’interrogation pour comprendre ce qui est gênant, étrange » précise Audrey Guiller.
Lorsqu’elle est arrivée au Japon, tous ses repères ont été chamboulés : affiches, alphabet, tout est différent et étranger ; « ils ont une façon de vivre complètement à l’opposée de la nôtre. Leur façon de se comporter en société, comment ils prennent soin d’eux, comment ils interagissent, tout est très éloigné de notre culture. » D’après Audrey Guiller, la troisième puissance économique mondiale trouve les Français très contestataires, nous aurions un avis sur tout alors qu’ils « vivent en harmonie. Ils pensent en groupe et sont toujours attentifs à ce que pensent les autres. Ils ont des vies très codifiées, tout est fait pour ne pas briser cette harmonie. »
Pour Audrey Guiller, ce livre et cette exposition constituent une balade dans la ville qui offre un point de vue autre que touristique. « Comprendre la vie des Japonais au-delà des clichés. J’ai découvert et compris une nouvelle façon de vivre. Ils ont différentes façons pour se ressourcer : ils boivent beaucoup de thé, font des microsiestes, déjeunent dans les parcs.»
Pour prendre ces photos, la journaliste a utilisé un smartphone. « C’était facile car là-bas, ils sont tous connectés à leurs téléphones donc nous sommes en quelque sorte invisibles. J’ai pris les photos de cette façon pour ne pas les gêner, mais aussi parce que je souhaitais prendre des instants sur le vif. » Les textes et les photographies fonctionnent ensemble ; un binôme qui nous permet une belle promenade dans les rues de Fukuoka, à la découverte du métro ou, encore, du festival de Yamakasa où des équipes d’hommes (les femmes sont exclues) font une course contre la montre en portant des chars de plusieurs milliers de livres sur le dos… Des instants de vie qu’Audrey Guiller n’a pas retouchés si ce n’est « avec des filtres, que j’ai choisis avec soin. »
Exposer au Jardin moderne n’a pas été une décision prise au hasard. Audrey Guiller s’y rend souvent afin de répéter avec son groupe Nanda Devin. L’exposition, qui a d’abord pris place à Laval, prend un sens tout particulier pour la journaliste : « ce sont deux lieux familiers qui se superposent. »
Aujourd’hui, si on lui demande si elle a fini par comprendre, elle répond par l’affirmative, « l’exposition permet de voir le livre en grand, cela me rappelle le temps que j’ai passé là-bas. » Audrey Guiller nous traduit ainsi sa translation.
Audrey Guiller
Exposition Lost in Fukuoka, 8 novembre au 2 décembre 2017, Jardin moderne, Rennes
Après des études de littérature et de journalisme, Audrey Guiller a commencé à travailler comme journaliste indépendante en 2005, en Bretagne. Elle aime croquer les gens avec des mots, des portraits bien léchés, des enquêtes sociales de terrain. Elle a publié « Agrippine la Jeune » chez Actes Sud junior en 2010. Chaque année, elle va voir ailleurs (Japon, Cap-Vert, Inde, Estonie, États-Unis…) et rapporte des instantanés de vie d’autres bouts du monde. En 2011, elle co-écrit avec la journaliste Nolwenn Weiler un livre-enquête Le viol, un crime presque ordinaire paru aux Éditions du Cherche-midi. Elle co-réalise avec Laurent Guizard des POM (Petites Œuvres Multimédias) et est, quand il lui reste du temps, batteur dans un groupe de rock féminin, Nanda Devi.
Dans L’Art de Perdre Alice Zeniter raconte avec minutie une fresque familiale de Harkis qui débute avec la guerre d’indépendance et s’achève avec les attentats parisiens. Regard sur le passé pour mieux comprendre le présent… Prix Landerneau des Lecteurs 2017 et prix Goncourt Lycéens 2017.
1962. Quatre chiffres. Un nombre. Une date. Un mur sur lequel viennent buter deux générations d’enfants de Harkis. Cette année de l’indépendance de l’Algérie est l’année où tout bascule pour ces Algériens qui ont « choisi » la France. « Choisi » ? vraiment choisi ? Alice Zeniter dans son cinquième roman L’Art de Perdre s’interroge dès les premières pages sur ce clivage, France/Algérie, et démontre avec une redoutable efficacité comment Ali, homme dominant sur une crête de montagnes de Kabylie, va parler aux soldats de l’armée française, ne va pas s’engager auprès du FLN, devient otage du destin que forge une partie du voisinage hostile, des rencontres, des amitiés. Et se retrouve simple OS d’une usine proche de son HLM normand. Aucun choix véritable et pourtant, Ali est devenu sans le savoir un « Harki », terme vaste et injuste qui désigne à la fois un paria pour les Algériens et un arabe pour les Français.
Ce « statut » va le condamner au silence, lui, son fils aîné Hamid qui va rejeter toute idée du passé, et sa petite fille Naïma, coincée entre l’ignorance et le mutisme. Ce sont trois générations que l’auteure va ainsi ausculter et raconter, décrivant la violence de ce silence établi sur un simple malentendu, pour ces jeunes nés en Algérie et arrivés en France dans les années soixante, pour ceux nés en France dans les années quatre-vingts et après, ces jeunes qui « n’ont pas vraiment le choix d’être tiraillés. Au moment où ils naissent, l’Algérie leur dit : « Droit du sang : ils sont Algériens » . Et la France dit : « Droit du sol : ils sont français. » Alors eux toute leur vie, ils ont le cul entre deux chaises et de manière très officielle ».
Dans son roman L’Art de Perdre Alice Zeniter suit alors au plus près ce moment d’oscillation, de voyage intime entre l’Algérie et la France et la France et l’Algérie pour nous renvoyer bien entendu en écho aux attentats de Charlie ou du Bataclan. Face à ces tragédies récentes, là où Virginie Despentes dans « Vernon Subutex » nous décrit l’actualité à coups de poing dans l’estomac, conjuguant son roman au présent, Alice Zeniter prend de la hauteur, survolant 70 ans d’histoire avec un style, qui explique (malgré sa trop grande sagesse) de manière chirurgicale, le mal être de ces générations. Elle choisit l’intime, les détails, et ces descriptions du camp de Rivesaltes, les algarades avec un patron du café du commerce en disent plus que des reportages en direct. On a tous deviné cette silhouette haute et forte de Ali, ouvrier méprisé et muré dans son silence d’une vie prometteuse et finalement ratée, ou celle de sa femme qui parle à peine le Français mais a gardé du bled sa manière charnelle et affective d’accueillir les siens. Car le Français, seuls Hamid et sa fille Naïma le parleront correctement, refusant l’Arabe ou le Kabyle, comme si ces langues étaient les seules possibles pour briser le silence du père et du grand-père. La langue, frontière majeure entre deux pays.
Alice Zeniter
Par sa connaissance historique et sociologique, son attachement au détail, son réalisme, sa description attentive des sentiments de chacun, Alice Zeniter, elle-même petite fille de Harki, convie le lecteur à s’approprier simplement la complexité d’événements et de pensées trop souvent réductrices, comme celles qui définissent un pays.
À la fin du livre Naïma, qui est allée pour la première fois au-delà de la méditerranée découvrir ses racines, ou son absence de racines, écrit :
Ce sont des pays multiples qui s ‘entrechoquent et s’amalgament (…) ou peut être justement n’est-ce qu’un pays unique.(…) un pays n’est jamais une seule chose à la fois : il est souvenirs tendres de l’enfance tout autant que guerre civile, il est peuple comme il est tribus, campagnes et villes, vagues d’immigration et d’émigration, il est son passé, son présent et son futur, il est ce qui est advenu et la somme de ses possibilités.
On se dit que la littérature ainsi écrite est un formidable vecteur de connaissances et de réflexion. Loin de toute certitude.
Roman L’Art de Perdre Alice Zeniter, Éditions Flammarion, 520 pages. 22€. Prix du journal Le Monde , prix des libraires de Nancy et du journal Le Point 2017, Prix Landerneau des Lecteurs 2017. Fait partie de la dernière sélection du prix Goncourt 2017.
Suzanne 1947 est le dernier roman de Catherine Soullard est l’histoire du jeune sous-lieutenant Claude Loranchet-Reverdet et de Suzanne, sa fiancée. Militaire mort à 23 ans en Indochine des suites de ses blessures et fait Chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume, il rompit ses fiançailles trois mois avant son décès. Une trajectoire flamboyante : le scoutisme, la Résistance, la Campagne d’Alsace, le cours d’officier et la Légion.
A propos de Claude Loranchet-Reverdet (États de service militaire) :
« Jeune officier d’un cran et d’un courage légendaires au bataillon. S’est a nouveau fait remarquer par son audace et sa rapidité de décision le 20 octobre 1947 a GIA LOC (Tonkin). Officier de renseignements du Bataillon, s’est toujours porté en avant avec les unités de tête a la recherche des renseignements et les exploitant rapidement au mépris de tout danger, sous le feu nourri des bandes rebelles. A participé à l’assaut du réduit de GIA LOC. A été mortellement blessé alors qu’avec une poignée de légionnaires, il s’élançait dans la rizière a la poursuite d’éléments rebelles. A été pour tous un modèle de bravoure, de dévouement, de conscience et d’abnégation ».
Une vie provinciale dans un milieu bourgeois, mais une tache, une blessure sans doute et pas des moindres, un père un peu raté qui disparaîtra sans laisser de trace et abandonnera les siens sans jamais donner une explication ou un signe quelconque. Des amis d’enfance, un amour d’adolescence, Suzanne,qui rêve d’être infirmière et comme lui de servir à la Croix rouge pour devenir infirmière.
Sans doute que cette blessure imposait, traçait une ligne de vie et exposait à l’héroïsme et à la mort. L’exploration de cette trajectoire icarienne tourne autour des archives de la légion, réceptacle des enfants perdus. En Indochine, Claude commandera, combattra avec les anciens soldats du Reich qu’il avait affronté en Alsace. Homme de sang-froid, déterminé, brillant dans le renseignement, Claude fait un peu penser au petit lieutenant de La 317e Section le roman de Pierre Schoendoerffer et son célèbre film éponyme.
L’auteure fouille les archives militaires de Vincennes, de la Légion, rencontre des familles, visite des cimetières, lit des noms sur des murs. Tous ceux qui ont un jour ouvert quelques archives poussiéreuses connaissent ce frémissement de la découverte, quelques lignes, un nom qui éclairent ou au contraire complexifient la quête. Pendant deux ans Claude correspondra avec Suzanne puis la guerre, la peur pour soi mais surtout de laisser une veuve, l’amèneront à une rupture avec sa fiancée.
Le passé colonial et guerrier de la France reste une immense source de sujets d’écriture : c’est aussi peut être une thérapie, une explication, car combien y a-t-il eu de soldats, de lieutenants et de Suzanne ….
Que serait devenu Claude Loranchet-Reverdet s’il avait survécu ou échappé à ses blessures, peut-être l’aurait-on retrouvé à Diên Biên Phu voire plus tard à Alger dans des combats inutiles. L’imagine-t-on vraiment vivre près de Suzanne qui l’attendait ?
Un beau livre et un beau sujet de film qui alterne la correspondance des deux amoureux avec les scènes de combats ininterrompus à Haiphong (Tonkin).
Suzanne 1947Catherine Soullard, Pierre-Guillaume de Roux, octobre 2017, 152 pages, 20 euros.
Photo de Une : Cimetière militaire de Nam Dinh, le 21 mai 1954. Photo Robert Capa
Claude Loranchet-Reverdet estné le 12 décembre 1923 et décédé le 21 octobre 1947 à Haiphong (Viet-Nam) à 23 ans alors qu’il avait pris le bateau à Marseille pour se rendre à Saïgon en avril 1946.
Catherine Soullard
Née le 11 novembre 1955 à Paris.
Études, puis travail dans l’édition (Hatier, Bordas, Flammarion, Le Seuil,…), le journalisme et la critique de cinéma (7 à Paris, Le Monde de l’éducation, Études, La Revue des deux mondes).
De 1989 à 2004, productrice à France-Culture (Les Chemins de la connaissance ; Une vie, une œuvre ; Nuits magnétiques ; Surpris par la nuit,…). De 2003 à 2006, membre de la Commission de poésie du CNL.
Actuellement : comédienne (lecture de textes) et chroniques (cinéma) dans la Revue Secousse.
Bibliographie
– Livret Henry Miller, INA/Radio-France, 1998
– Judas, éd.Autrement, 1999
– Palmito d’évian, Calmann-Levy, 2005
– Livret Julien Gracq, INA/Radio-France, 2006
– Bouchère, Calmann-Levy, 2006
– Johnny, éditions Le Rocher, 2008
– Les 100 plus beaux films du monde, éd.Les Cahiers du cinéma, livre collectif (Amarcord, Johnny Guitar, L’aurore, Manhattan, Rome ville ouverte, La Passion de Jeanne d’Arc), 2008
– Les asperges, éditions Le Passage, 2010
– Livret Albert Camus, INA/Radio-France, 2010
– François Mauriac, livret Radio-France/INA, 2010
– Mal dedans, éd. PG de Roux, 2011
– Albert Cohen, livret Radio-France/INA, 2011
– Vous avez Jupiter dans la poche, éd. Pierre Guillaume de Roux, 2015
– Freud, livre collectif (sous la direction de Sarah Contou-Terquem), Bouquins, Laffont, 2015 articles : Yvette Guibert, John Huston, Freud à l’image, Freud et le cinéma.
– Vous avez Jupiter dans la poche, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2015
– Roger Judrin, cour et jardin, Préface, Librairie du Labyrinthe, 2017
– Le paradis français d’Éric Rohmer, Collectif (chapitre : Pour les couleurs, les fleurs et les petites filles, les escaliers et les mots, les hasards, l’amour et les lisières), éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017
– Suzanne, 1947, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2017
Laurence Arzel-Nadal est l’invitée du Carré VIP (VieillePie), l’émission de radio dédiée aux femmes de plus de 50 ans (mais pas exclusivement !). Codiffusée par RCF Radio Alpha et Unidivers.fr, retrouvez Marie-Christine Biet et ses invitées deux fois par mois à la radio et sur le web.
La VIP du 15 novembre est Laurence Nadal Arzel. Originaire du Finistère, venue à Rennes il y a 35 ans pour faire ses études, elle y exerce depuis 25 ans comme psychanalyste. Parmi ses nombreuses recherches, elle a publié un texte sur Françoise Dolto (éd. Deboeck université). Aujourd’hui, elle parle de ses intérêts pour l’écriture et l’art. Elle pratique la gravure et s’est lancée dans la pratique du livre d’artiste. L’année dernière, elle a repris des études universitaires (master 2 métier du livre et de l’édition et licence d’histoire de l’art).Parmi ses ouvrages bibliophiliques – rencontres entre un poète et un artiste – citons son dernier avec Armelle Gapihan. Elle a aussi lancé une édition contemporaine, « la Cale ». « C’est une édition amusante, car très minimaliste: un recto verso que l’on peut glisser dans sa poche et qui peut servir de cale pour une table ou une chaise si besoin ! L’art comme cale, c’est assez conceptuel ! » Le premier numéro a été réalisé avec Jacques Villeglé.
Laurence Nadal Arzel considère l’art si précieux qu’il devrait être remboursé par la sécurité sociale ! Elle a participé à l’aventure de Place Publique et écrit des notes de lecture pour les Archives de la critique d’art, dans Bretagne actuelle …On peut voir son travail sur internet en tapant lna-lisuel.
Considérant que « l’avenir dure longtemps », elle se lance sur de nouveaux chemins, avec toujours le désir « de rencontrer ceux qui œuvrent leurs vie ».
Sa déclaration d’affection va à Hélène Bartoccioni, une amie de 30 ans, pour sa constance et son soutien dans les dures épreuves de la vie et pour sa créativité, « une glaneuse à la Varda ». Laissons la se présenter :
« Aujourd’hui, je suis mosaïste. Bien que tombée dedans toute petite pour avoir joué dans les tas de petits carreaux de grès livrés sur le trottoir du voisin carreleur mosaïste d’origine italienne, j’ai attendu ma troisième vie professionnelle pour m’y livrer en totalité… J’ai d’abord été infirmière puis en raison d’incompatibilité avec les horaires de cette profession, j’ai repris des études pour devenir assistante sociale en milieu hospitalier. C’est là que j’ai connu Marie-Edith puis Laurence, la stagiaire psycho qui ne laissait personne parler à sa place…et beaucoup d’autres !
Il y a un rapport évident entre toute mes professions ! L’infirmière a développé une habileté manuelle, le travailleur social a développé la créativité et une inventivité à toute épreuve pour répondre à la nécessaire individualisation des prises en charge… C’est aussi le travailleur social qui a reçu toute l’incroyable richesse et l’énergie que procure le travail d’équipe. Je crois que c’est ce que j’ai reçu là qui m’a donné confiance en moi et m’a permis d’oser créer…avec des matériaux que j’accumulais de tout temps ! J’aimerais aussi parler de ma sœur, qui a fait les beaux-arts et m’a tout à la fois initiée et encouragée dans mes premières pratiques créatives et étouffée par son talent inaccessible pour moi… De nos récoltes de coquillages et de nos collages parfaits pour les siens et désespérément baveux pour les miens… De nos expériences de bijoux avec le petit four à émaux qui faisait sauter les plombs de la maison.
J’aimerais parler de ma mère qui courrait les salles de ventes, nous rapportant d’improbables et fascinants objets trouvés dans des lots – bateaux en verre filé, perles, boites vases et piécettes…
J’aimerais aussi parler de mon père abonné à Connaissances des Arts et qui livrait à notre bon vouloir ses magazines que nous revisitions avec diverses techniques dont ma préférée, le frottement des couleurs au dissolvant…
J’ai donc quitté un peu prématurément ma fonction hospitalière pour relever le défi de la création avant qu’il ne soit trop tard et que l’arthrose devienne mon principal sujet de préoccupation !
Aujourd’hui ma recherche se résume en quelques mots : trouver la cohérence entre les matériaux, les supports, les couleurs et le thème traité – le fil conducteur qui tisse le dialogue entre la forme et le fond. Souvent quand je crée, je me raconte une histoire qui va me permettre de faire mes choix et j’essaye de ne pas me limiter à un genre. Je suis plutôt attirée par la mosaïque contemporaine abstraite mais je peux aussi revenir à du figuratif version humoristique ou fantastique ou insister sur la symbolique des formes. Concrètement je travaille à partir d’émaux et de pâte de verre artisanale que j’achète en région parisienne, chez Albertini (le seul fabricant de France) mais aussi avec du verre à vitrail, des perles, de la nacre, des bijoux recyclés, des pierres, de l’ardoise, du verre ordinaire, des pâtes de verre industrielles et autres bricoles ! Mes productions peuvent avoir la forme de tableaux, fresques, vases, crédence, sculptures et bijoux.
Je n’ai pas de show room et je ne participe pas aux expositions.. …pour l’instant il se peut que ça vienne un jour, je ne désespère pas ! Je vends donc uniquement sur commande et par le bouche à oreille. Je songe également à créer un site internet, dès que j’en aurai fini avec la création de mon book…mais ça c’est une autre histoire, un autre challenge pour moi !
Finalement l’idée c’est de se donner le maximum de liberté ! »
Le coup de cœur de Laurence va à Marie-Edith Pinel. Psychomotricienne, elle a fait sa carrière en milieu hospitalier et a en commun avec Laurence le goût des chemins de traverse. « J’ai pratiqué pendant de longues années le théâtre amateur, une expérience fondatrice pour moi. Ce n’est pas la seule, je voudrais citer aussi :
– la sophrologie comme un outil complémentaire à ma pratique
– la formation en milieu soignant pour enseigner et partager l’importance du prendre soin de soi
– l’écriture : articles, interventions lors de congrès, participation à ouvrages professionnels
– le milieu associatif en présidant la société de sophrologie de l’ouest (rencontres professionnelles et week-ends)
En regardant derrière moi je mesure combien ces chemins de traverse et les personnes que j’y ai rencontrées ont nourri mon enthousiasme, mon désir de participer à la vie de groupe, de partager des outils, des pratiques, des questions, et au fil des années, observer la solidité des liens et des amitiés.
Quand l’heure de la retraite sonne, même si certains chemins perdurent, il y a un temps de pause et comme dit la chanson : « Maintenant que vais je faire ? »
C’est là qu’au détour d’un chemin plus personnel, j’ai rencontré le milieu des EHPAD. J’ai observé ces lieux, les groupes qui déambulent, qui s ‘assoient, qui repartent . « Du lit à la fenêtre, du lit au fauteuil, puis du lit au lit ».
J’ai commencé à tricoter des liens dans les couloirs, à m’asseoir à côté d’eux, regarder ensemble par la fenêtre le monde de l’autre côté, parler, recevoir des morceaux choisis de leur vie d’avant, nostalgiques, heureux , tristes…
Redonner du sens à leurs paroles, par l’écoute, les faire rire et sourire en racontant des histoires.
Et mon regard a changé sur les personnes âgées.
J’ai observé la bienveillance des équipes dans le prendre soin de nos aînés.
J’ai rejoint l’association Bénévolages, une équipe formidable de bénévoles très investie à Noyal-sur-Vilaine (cours de gym douce, accompagnement à des visites à « l’extérieur », visites aux personnes esseulées, participation au conseil de la vie sociale et familiale de l’établissement…)
C’est un nouveau chemin emprunté, d’une richesse que je ne soupçonnais pas”.
Les musiques choisies par la VIP et ses invitées nous emmènent en Espagne et en Italie
– Danza Espagnola, numéro 5 d’Enrique Granada avec Anne Gastinel au violoncelle et Pablo Marques à la guitare
– Una notte a Napoli, de Pink Martini
Nous n’avons malheureusement pas eu le temps de passer A la belle saison d’Anna Prucnal, mais on vous recommande chaleureusement son écoute :
https://www.youtube.com/watch?v=ZGss0esheVg
A savoir encore
Pour sa dernière échappée de 2017, le Carré VIP propose de découvrir
– le magnifique travail de reliure d’art d’Annie Robine dans son atelier rennais, 16 rue Lesage (entre la Barre Saint-Just et la place Hoche) autour d’un thé, à 17 h 30.
– le délicieux kig ha farz de Laurence, à la Quincaillerie générale, 15 rue Paul Bert, à 19h30. Coût: 16€. Ajoutez à cela le vin (autour de 2,50€ le verre et éventuellement un dessert – pour les grosses gourmandes! 4,30€).
Comme à chaque fois, les 3 coups seront frappés (de coeur, de pouce, de jeune…).
Inscription au plus tôt (nombre de places limité) sur la page Facebook Carré VIP – Vieilles pies ou par mail à marie.c.biet@gmail.com
Précision: les propositions du Carré VIP s’adressent aux femmes, mais les hommes ne sont pas interdits!
Créateur de la série phénomène Mad men, encensée par la critique et récompensée en 2008 aux Golden Globes ainsi qu’aux Emmy Awards, Matthew Weiner, impliqué dans une série d’accusations pour harcèlement sexuel, défraie aussi l’actualité littéraire avec la sortie en France de son premier roman Heather, par-dessus tout.
Cette avalanche d’accusations que connait le milieu hollywoodien dans le sillon de l’affaire Weinstein soulève d’épineux problèmes de choix de communication autour de films ou de romans produits ou interprétés par des hommes aujourd’hui accusés de harcèlement sexuel, mais pas encore condamnés. Ainsi, Ridley Scott a choisi de supprimer toutes les scènes de Kevin Spacey dans All the money of the world et de le remplacer par Christopher Plummer. La future sortie de ce film représente un important enjeu commercial. L’éthique, le bon sens, le sens du commerce se conjuguent donc pour prévenir tout bashing.
Le roman Heather par-dessus tout débute comme une comédie légère américaine. Mark et Karen sont deux quarantenaires solitaires, peu doués pour les relations amoureuses. À New York, Karen, qui a renoncé a rencontré un être aussi parfait que son père, accepte un rendez-vous arrangé avec Mark, un jeune homme assuré d’un bel avenir dans la finance. Très vite, ils s’installent dans un beau quartier de Manhattan et donnent naissance à une belle petite fille qu’ils prénomment Heather. Karen voit en cette naissance l’occasion de réaliser son vœu d’être une mère au foyer attentive à l’éducation de son enfant. Mark, en père responsable, s’investit dans son travail afin d’assurer tout le confort à sa petite famille.
Dans le New Jersey, dix ans avant la naissance d’Heather, une mère célibataire héroïnomane met au monde Robert Klasky alias Bobby. Élevé dans un milieu sordide, le jeune garçon ne tarde pas à tourner vers les animaux ou les humains toute la violence accumulée par le sentiment de rejet qu’il éprouve. Pour faire suite à l’agression d’une voisine qu’il voulait séduire, Bobby se retrouve en prison. D’un groupe de skinheads, il apprendra qu’il faut toujours tuer sa proie et maquiller la scène de crime pour échapper à la prison. Un conseil qu’il suivra dès sa libération…
MATTHEW WEINER
De manière imperceptible, Matthew Weiner fait indéniablement monter la tension en campant les deux personnages de Karen et Bobby à la manière de la Belle et la Bête. La rencontre entre le monde rangé, voire ennuyeux, du couple de Mark et Karen, en proie à l’adolescence difficile d’Heather et celui lubrique et calculateur de Bobby bouscule les évidences et laisse place à de nombreuses possibilités de dénouement.
Heather par-dessus tout est un roman noir pétri de suspense qui porte un regard pertinent sur les rapports des classes sociales, notamment la place du mariage et des parents dans l’éducation des enfants. Ce court roman à la rencontre de deux mondes que tout oppose met à nu des désirs profonds, les plus sombres pulsions de chaque personnage. À lire, par-dessus tout.
Une biographie d’Elena Diakonova alias Gala : quel fascinant portrait tracé par la plume de Dominique Bona de l’Académie française !Une vie de Gala nous plonge dans le destin de celle qui fut successivement « la reine de Paleùglnn » pour Eluard, son premier époux, et « la reine de Púbol » pour Dalí, son second époux. S’entrecroisent, sur arrière-fond artistique et au fil de rendez-vous avec les amis, les histoires de ceux qui l’ont côtoyé : le tout pris dans les secousses de l’Histoire.
L’ode à Gala que constituent les premières phrases du livre laisse transparaître toute la fascination suscitée chez l’auteur : « C’est ce que j’ai admiré chez elle : l’énergie vitale. La force qui ne veut pas rendre les armes. Et c’est pour tenter d’aller vers elle, la plus mystérieuse et la plus redoutable des muses, que j’ai écrit ce livre. Elle n’a jamais cessé de me surprendre. Solaire et habillée d’ombres, sa personnalité est aussi paradoxale que l’air et le feu – deux éléments antinomiques – et qui s’accordent chez elle, comme par magie. »
Le visage fermé et insondable, un regard perçant et captivant. C’est cette expression, immortalisée dans les clichés de photographes contemporains et dans les tableaux de Dalí dont elle est maintes fois le sujet, qui entretiendra le voile de mystère autour de sa personnalité. Si Gala apparaît parfois le corps nu et étendu en plein rêve causé par le vol d’une abeille autour d’une pomme-grenade une seconde avant l’éveil ou le sein dévoilé dans La Galarina, elle n’en préserve pas moins ses secrets. Celle que l’auteur compare à une « forteresse » demeure distante et hautaine, n’hésitant pas à éloigner les curieux.
Galarina
Tour à tour déesse, Madone, muse, épouse, amante, ensorceleuse, Elena Diakonova – née à Kazan en Russie et dont l’histoire retiendra plutôt le prénom usuel – n’échappe pratiquement à aucun des archétypes de la femme si chers aux surréalistes. Bien que Dominique Bona s’attache à souligner la construction par Gala de sa propre légende, le mythe Gala reste attaché à celui du poète Eluard et du peintre Dalí. Ces deux grands artistes du 20e siècle dont elle sera la figure accompagnatrice, feront d’elle une icône.
Triste coïncidence que celle qui placera Eluard et Gala sur le même chemin. Tous deux encore très jeunes se rendent au sanatorium de Clavadel pour y faire soigner une tuberculose. C’est leur passion commune pour la littérature qui les rapprochera : elle, la jeune fille russe, introvertie et discrète et lui, un parisien surnommé Gégène écrivant déjà quelques vers qu’elle lui inspire. La lecture est pour eux une échappatoire durant les longues heures de repos forcé. Digne d’un roman d’amour ou d’une comédie sentimentale, une complicité grandissante voit le jour au rythme des échanges de petits papiers et de livres : sont de la partie Dostoïevski, Hugo, Baudelaire mais aussi Tolstoï et Balzac.
Gala et Paul Eluard
La guerre va les séparer pendant une période leur semblant interminable et au cours de laquelle ils n’auront de cesse de correspondre. Gala se lance finalement dans un véritable périple, passant par la Finlande, la Suède, puis Londres pour arriver à Dieppe et enfin parvenir à la capitale. Le feu sous la glace, c’est ce dont témoignent les lettres passionnées que Gala envoie à Eluard alors que celui-ci risque sa vie sur le front. Elle lui écrit :
Garde-toi, garde ta vie qui est plus que précieuse, plus chère, elle est tout pour moi. Elle est moi-même, je me perds avec toi.
Lorsque Eluard s’embarque dans l’aventure Dada, Gala l’accompagne et assiste aux manifestations du groupe. Elle suit Eluard dans ses sorties au Certá où se retrouvent les artistes. Gala vit d’une certaine manière par procuration, « dans l’ombre de Paul » selon les mots de Dominique Bona. Bien qu’elle soit la seule femme représentée au côté de René Crevel, Philippe Soupault, Benjamin Péret, Louis Aragon, André Breton et bien d’autres dans le tableau fort connu de Max Ernst, Au rendez-vous des amis (1922), Gala reste en retrait du cercle d’amis.
Le tableau Au Rendez-vous des amis de Max Ernst (1922).
La deuxième moitié de l’ouvrage est consacrée à une histoire tout aussi passionnée : celle avec Dalí, le maître du Surréalisme. Après que Goemans, un poète belge, est présenté Paul Eluard à Salvador Dalí, ce dernier propose au couple Eluard de venir à Cadaqués où il travaille. Une fois le couple en terre catalane, Dalí est rapidement hypnotisé par Gala, totalement absorbé. À l’inverse, Gala trouve ce dandy excentrique « insupportable » et « antipathique ». Gala finit par se laisser séduire et déclare à Dalí : « Mon petit, nous n’allons plus nous quitter ». Effectivement, ces deux-là ne se sépareront plus jamais, ou presque, jusqu’à la mort, au grand désespoir d’Eluard.
29 décembre 1948 : Dali et Gala. Photo New York Times Co./Getty Images)
Gala et Dalí fréquentent les dîners mondains où le peintre ne manque pas de se faire remarquer par son comportement et ses récits abracadabrantesques. Gala prend part aux travaux de l’artiste, en posant par exemple avec un chapeau en forme d’escarpin noir, fruit de la collaboration entre l’artiste et la couturière Elsa Schiaparelli. Soutenant Dalí dans son opposition aux surréalistes, Gala gère également les affaires de celui qui se fait désormais surnommer Avida Dollars. Si leur histoire débute sous le signe de la passion, elle se terminera comme une tragédie par la déchéance physique et mentale à laquelle sont en proie les Dalí .
Par ses sous-titres intrigants, son récit entrecoupé d’extraits des correspondances et la fluidité du verbe de Dominique Bona, Une vie de Gala tient le lecteur en haleine du début à la fin. Les reproductions de photographies d’archives et d’oeuvres viennent parachever cet ouvrage.
Une vie de Gala Dominique Bona de l’Académie française aux éditions Flammarion, Hors collection – Biographies et mémoires. Paru le 1er novembre 2017, Histoire de l’art, 232 pages, 29,90 €.
Le 7 novembre, Réso Solidaire lançait le 10e mois de l’Économie sociale et solidaire (ESS) dans le pays de Rennes. Réunissant plus de 200 manifestations durant trente jours, cet anniversaire invite grand public et entrepreneurs à découvrir, comprendre, participer et rencontrer les acteurs de ce mode d’entrepreneuriat encore peu connu alors qu’il représente 10 % du PIB français.
L’Économie sociale et solidaire, c’est quoi ?
L’ESS, créée en 1980, est un ensemble d’entreprises organisées en coopératives, associations, mutuelles ou encore fondations, mais aussi des sociétés commerciales. Elle place l’homme au cœur de l’économie et du monde de l’entreprise, dont les activités suivent des principes de solidarité et d’utilité sociale. L’ESS n’est pas un secteur d’activité, mais une façon de faire et d’entreprendre basé sur les personnes, un fonctionnement démocratique (une personne = une voix) et une liberté d’adhésion (toute personne souhaitant participer et devenir sociétaire peut avoir des responsabilités dans l’ESS).
À l’inverse du secteur privé et public, l’ESS permet aux salariés de s’impliquer dans leur structure, garantissant une redistribution équitable des bénéfices. Les profits sont reversés au développement de l’activité de l’entreprise, car il n’y a pas d’actionnaires à rémunérer.
La loi du 31 juillet 2014 a permis d’encadrer le secteur et de le consolider en définissant des outils d’aides au financement, ainsi qu’un renforcement des capacités d’action des salariés pour qu’ils puissent organiser une reprise de leur entreprise plus facilement. « L’ESS apparaît aujourd’hui comme une alternative pertinente, une autre façon de faire de l’économie, se souciant du partage des richesses produites, du développement local des territoires, de la qualité des emplois créés, de l’implication des citoyens dans les projets, de responsabilité sociale ou sociétale… » explique le CRESS (Centre Régional de l’Économie Sociale et Solidaire).
Bien qu’elle représente 10 % du PIB français, ainsi que 13 % de l’emploi privé, l’ESS reste minoritaire au sein de l’économie française en générale, occultée par le secteur public et privé. Dans la société actuelle, les entreprises ont majoritairement pour objectif principal de réaliser des profits afin de se développer et de rester concurrentielles dans une économie de plus en plus tendue et compétitive. En 2015, l’ESS rassemblait 221 325 entreprises et 2,37 millions de salariés.
Cinq secteurs d’activités se démarquent : l’action sociale, le sport et les loisirs, les activités financières et assurances, les arts et les spectacles et l’enseignement.
Pour Nicolas Froissard, vice-président du groupe SOS (organisation spécialisée dans l’action sociale) «l’économie sociale et solidaire illustre la nécessité de prendre conscience de l’impact de son action sur le monde. »
L’ESS en Bretagne et en Ille-et-Vilaine
Présente sur l’ensemble du territoire, l’ESS est massivement représentée en Bretagne. On dénombre pas moins de 18 pôles ESS sur 21 pays bretons et 3 en cours de préfiguration. Pour rappel, un pôle ESS permet aux entreprises de se réunir et de trouver ensemble des solutions aux différentes problématiques auxquelles elles sont confrontées.
On observe également une croissance de l’emploi de 5,1 % entre 2010 et 2015 contre une baisse de 0,4 % dans le privé hors ESS. «Le constat est sans appel : 6900 emplois développés dans l’ESS pour 2600 détruits dans le reste de l’économie privée. » précise l’ORESS (observatoire régional de l’économie sociale et solidaire de Bretagne).
L’ESS en Ille-et-Vilaine c’est aussi plus de 4000 entreprises (associations, coopératives, mutuelles), 47 000 employés, représentant 14 % de l’emploi. Preuve est que le département est compétitif puisqu’en cinq ans, l’ESS a créé plus de 3000 emplois alors que le reste de l’économie en a créé 7000.L’ESS dans le pays de Rennes
Réso solidaire est un pôle de l’ESS, créé en 2009, qui a pour objectif premier de structurer et développer l’ESS dans le pays de Rennes. « Le mois de l’ESS est un événement national avec des déclinaisons locales. On va le retrouver dans l’ensemble des pays bretons, dans lesquels on trouve à chaque fois un pôle de l’ESS » explique Haud Le Guen, directrice de Réso Solidaire. C’est une façon de fédérer et de valoriser les actions effectuées par différents acteurs : « le mois permet de valoriser des actions régulières qui ont lieu au cours de l’année et cet événement permet de faire un zoom sur l’ESS, car on ne sait pas forcément qui en fait partie » précise-t-elle. La programmation est variée, allant d’actions culturelles portées par des entreprises ESS à des rencontres, qui peuvent éclairer sur des domaines spécifiques : «la finance solidaire, les outils financiers spécifiques à l’ESS pour les projets et activités par exemple. » On compte aussi des concerts, des ateliers solidaires et des projections de films.
Haud Le Guen
« Ce mois permet aux entreprises qui ne font pas forcément partie de l’ESS d’aller les voir et de leur dire que c’est le moment de communiquer dessus, de faire prendre conscience à l’entreprise et aux salariés qu’ils en font partie, mais également de sensibiliser le grand public, » explique Haud Le Guen. « On a beaucoup eu l’image de l’ESS comme économie de la réparation, liée au handicap.Il faut savoir que l’ESS est de plus en plus connue et que les objectifs ont changé. Les entreprises doivent prendre conscience de ce que les salariés peuvent faire pour elles. »
En quelques chiffres, l’ESS dans le pays de Rennes représente 2600 emplois, 27300 employés (soit 11,5 % pour d’emploi), ainsi que 21 % des emplois régionaux de l’ESS. Le premier secteur de l’ESS dans le pays de Rennes est l’action sociale, suivi par les activités financières et les assurances. On y retrouve également l’agriculture, l’industrie et la construction qui représentent 1,3 % des entreprises ESS. La culture et les spectacles sont l’un des points fort avec plus de 600 établissements.
Le profil des acteurs de l’économie sociale et solidaire évolue pour s’adapter à la société actuelle : «il y a encore un an, les gens qui venaient nous voir pour travailler dans l’ESS, étaient plutôt des femmes en transition de vie ou des hommes de 50 ans qui avaient fait leur vie professionnelle et qui cherchaient à donner du sens à ce qu’ils faisaient. De plus en plus, on a, à partir d’un ou deux ans d’expansion professionnelle, des jeunes qui viennent directement et qui souhaitent travailler dans l’ESS. » En 2014, 24 % des entreprises françaises sont créées par des jeunes de moins de 30 ans dont 8 % sont âgés de moins de 25 ans.40 % des femmes sont entrepreneures, majoritairement présentes dans la santé humaine et le secteur social. «On sent qu’aujourd’hui c’est plus accessible. Entreprendre est un choix, avec ou sans l’ESS, » indique la directrice de Réso Solidaire.
La loi NOTRe a considérablement modifié la gouvernance des ESS. Cette réforme territoriale « a réaffecté les compétences dans les collectivités. Le département qui avant avait la compétence économique ne l’a plus, » précise Haud Le Guen. La conséquence ? Une multitude d’interlocuteurs, ce qui nécessite une connaissance et une compréhension absolue du territoire. Aujourd’hui, le département est en charge de l’action sociale, au détriment de la partie économique, laissée à la région. « En 2015, ici c’était la maison de l’ESS. Aujourd’hui on a enlevé « maison de l’ESS », parce qu’on est plus sur des solidarités sociales et territoriales. »
Il est possible pour les entreprises de demander le label ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale), qui permet de recevoir des aides et des financements spécifiques, « beaucoup d’associations demandent l’agrément. L’année dernière, sur les 60 ou 80 associations, il n’y a que deux entreprises conventionnelles qui l’ont demandé. On se rend compte que ce sont plutôt des structures qui ont des entrées statutaires. »
Pour Haud Le Guen, aujourd’hui beaucoup de nouveaux projets sont possibles, mais il convient de faire évoluer les mentalités : «je pense que tous les grands groupes aujourd’hui comme les mutuelles s’interrogent sur leur gouvernance, il y a des enjeux de renouvellement. En étant de l’ESS, on doit se poser ces questions-là. »
RESO SOLIDAIRE
Pôle de développement de l’économie sociale et solidaire du Pays de Rennes
Espace Anne de Bretagne, 15 rue Martenot, 35000 RENNES
02 99 26 34 60
À Vitré, l’expositionMIAO HUI : la splendeur des temples sacrés taïwanais met en lumière les fêtes aux temples et les cultures populaires à Taïwan. Après un court séjour aux Pays-Bas, l’exposition fait une halte de quatre mois à Vitré, à la fois au Prieuré des Bénédictins et au Centre culturel Jacques Duhamel, du vendredi 10 novembre 2017 au dimanche 11 mars 2018. Pour les visiteurs, ce sera une opportunité unique de découvrir la splendeur des temples taïwanais.
Autrefois appelée Formose et située à environ 150 km des côtes chinoises, Taïwan est une petite île dont la position stratégique a suscité envies et invasions au cours des siècles passés. Peuplée à l’origine par des aborigènes qui avaient un système de croyances baigné par les esprits, les dieux, les symboles sacrés et les mythes, les immigrants de Chine continentale apportèrent avec eux le confucianisme, le bouddhisme et le taoïsme. En se mêlant et en évoluant avec le temps, ces croyances aboutirent aux traditions populaires qui existent aujourd’hui à Taïwan et que l’on perçoit le mieux lors des fêtes religieuses dans les temples taïwanais, appelées « Miao Hui ». Parmi elles, le culte de la déesse Matsu est le plus répandu. Durant les processions, la mystique et les rituels religieux expriment la vénération des fidèles pour le cosmos et leur espoir d’une vie meilleure.
Des photographies et des peintures, mais aussi des documents audiovisuels et des objets permettront aux visiteurs de s’immerger, le temps d’une visite, dans ces traditions millénaires méconnues en France, mais bien vivantes à Taïwan. Ainsi, au Centre culturel Jacques Duhamel, le public pourra admirer un véritable palanquin, tandis qu’à la Maison des Cultures du Monde, il pourra formuler ses vœux aux dieux du panthéon taïwanais et tenter sa chance avec la machine à prédire l’avenir…
Exposition Miao Hui, fêtes aux temples et cultures populaires à Taïwan. Vendredi 10 novembre 2017 au dimanche 11 mars 2018. Vernissage vendredi 10 novembre à 18h30 à la Maison des Cultures du Monde 2 rue des Bénédictins 35500 Vitré
Maison des Cultures du Monde – Centre français du patrimoine culturel immatériel Prieuré des Bénédictins, 2 rue des Bénédictins 35500 Vitré / Entrée libre du mardi au dimanche de 14h à 18h
Centre culturel Jacques Duhamel – 2, rue de Strasbourg 35500 Vitré / entrée libre du mardi au vendredi de 13h à 18h, le samedi de 10h à 12h30 et les soirs de spectacle
Dans Un hiver au printemps Aurélie Drivet, professeur de français à Brest, raconte sa lente reconstruction après la perte de son enfant durant l’accouchement. Son témoignage met en lumière la tragédie de la mort des bébés qui concerne des milliers de familles par an en France et dans le monde. L’auteur présentera et dédicacera son livre le samedi 11 novembre 2017 à 15h30 au Café Littéraire de Rennes du Forum du Livre.
Pendant neuf mois, on se prépare au plus bel événement qui soit : la venue d’un enfant. On cherche des prénoms, on décore la chambre, on reçoit des cadeaux… on ne se doute pas une seconde que tout peut basculer. Au terme d’une grossesse magazine, « idyllique », Aurélie Drivet a perdu brutalement sa fille cadette à la naissance.
« Au matin d’une longue nuit, tenant dans mes bras mon enfant, j’ai bercé la mort », ainsi commence Un hiver au printemps, et si l’hôpital était bienveillant avec les mamans. Dans son livre, Aurélie Drivet raconte sa quête de vérité et son parcours pour retrouver goût à la vie après ce drame à travers différentes questions : que s’est-il passé ? Y a-t-il eu des manquements dans le suivi à la maternité ? Comment survivre à l’absence et la perte ?
Le titre est évocateur, car sa fille devait naître au printemps : « la mort d’un enfant bouleverse tous les repères, toutes les saisons et pour moi il n’y a pas eu de printemps, mais plutôt un hiver, » explique-t-elle. « C’est le temps du deuil, du silence et de l’absence. » Elle raconte son désarroi, sa colère et sa reconstruction. Il s’agit pour Aurélie Drivet d’une quête de renaissance, « le combat d’une femme, d’une mère pour se relever et réapprendre à vivre jour après jour après le choc. » Ce livre, elle l’a écrit pour tenter de comprendre, de trouver un sens à « ce qui n’en a pas. »
Ce témoignage est aussi un cri d’alerte sur la mort des bébés à l’accouchement, un drame et un sujet tabou qui touche un millier de familles en France : « ce livre est un lanceur d’alerte sur la mort des bébés à l’accouchement. » En 2015, on estimait 2,6 millions d’enfants mort-nés sur 196 pays, soit 7200 décès par jour, dont la moitié se déroule pendant l’accouchement (source : The Lancet). Beaucoup de ces décès peuvent être évités. « Comment, au 21e siècle, accepter qu’un bébé en bonne santé perde brutalement la vie pendant l’accouchement pour des raisons pourtant complètement évitables ? » c’est la question que s’est posée Aurélie Drivet.
Ce livre plaidoyer interpelle les institutions et les pouvoirs publics afin d’améliorer la prise en charge des femmes concernées par les grossesses à bas risque, mais également celles concernées par les grossesses à terme.
Aurélie Drivet y dénonce aussi un système hospitalier de plus en plus déshumanisé qui offre moins de temps d’écoute et de dialogue en raison d’un manque d’effectif des équipes médicales. Son sous-titre « et si l’hôpital était bienveillant avec les mamans » ouvre à un questionnement sur cette déshumanisation du système, et permet, par la même occasion, de trouver des réponses.
En 2013, la France détenait le triste record du plus haut taux de mortinatalité (naissances d’enfants sans vie) d’Europe avec 9,2 pour 1000 naissances. A contrario, le Portugal et la Slovaquie sont à 3,2 chacun.
Aurélie Drivet en est convaincue, son livre peut sauver des vies : « offrez-le à des familles qui ont été touchées par la mort d’un enfant, mais offrez-le aussi à toutes ces futures mamans, à tous ces couples qui attendent un bébé. Je compte sur vous. »
Un hiver au printemps, Et si l’hôpital était bienveillant avec les mamans ? Aurélie Drivet, Presses de l’EHESP, août 2017, 124 pages, ISBN : 978-2-8109-0604-8
Ils se sont rencontrés il y a quatre ans : le saxophoniste Alexandre Armand, le batteur Julien Massé et le claviériste Joris Prigent. Depuis, le groupe Nebia ne cesse de tourner en Bretagne. Après un premier EP totalement homemade il y a trois ans, et avoir été lauréat du tremplin du festival Jazz in Langouria l’année dernière, groupe Nebia sort son premier album: Monolithe. Du power jazz teinté de rock progressif particulièrement bien servi par ce trio rennais.
En chantier depuis deux ans, l’album concept Monolithe a été enregistré au Apiary Studio de Laval sous la houlette de Joris Saidani et Amaury Sauvé. Ce Monolithe de premier album porte bien son nom. Il a été créé comme un seul morceau composé de cinq parties, les cinq titres qui composent l’album. C’est une volonté affirmée du groupe Nebia de rechercher dans leurs compositions un état particulier, un certain onirisme. La musique de Nebia n’est pas planante, mais plutôt théâtrale. Elle révèle rapidement un côté narratif qui emmène l’auditeur dans l’imaginaire, l’incite à construire une histoire.
Les cinq titres se répondent, ils sont composés de sons assez bruts, de gimmicks récurrents qui apportent une tonalité très rock à l’album. Pas de guitare, pas de basse ni de voix, mais un clavier, une batterie et un sax baryton qui donnent à la formation de Nebia un caractère réduit aux fondamentaux décalés débordant d’énergie pour nous livrer un son puissant et tout autant généreux en subtilités et en surprises. Ainsi dans Epicez tout ! les riffs sont simples, basiques, mais ils sont réarrangés tout au long du morceau. Le résultat est cet effet d’histoire qui démarre avec une proposition toute simple et qui se construit à mesure qu’elle est nourrie de nouveaux éléments et de rebondissements pour aboutir à une sorte de saynète, à l’épilogue d’une pièce.
Cela reflète la manière de travailler des musiciens de Nebia. Traditionnellement dans un groupe, chacun a son rôle : bien sûr le batteur bâtit la ligne rythmique d’un morceau, un musicien la ligne mélodique, un autre l’harmonie. Nebia ne pratique pas ainsi. Les rôles sont interchangeables et ne manquent pas de circuler au sein du groupe. Chacun se mêle de tout dans un dialogue permanent et joyeusement fécond. Il en résulte un son. Les envolées furieuses d’Alexandre Armand au saxo ne sont pas sans rappeler les compositions sauvages d’un John Lurie du temps des Lounge Lizards, la batterie de Julien Massé nous ancre solidement tandis que les nappes mélodieuses du clavier de Joris Prigent évoquent le son caractéristique des groupes de rock progressif des années 1970-80. Un fabuleux mélange à écouter avec ce Monolithe, sans modération.
Blade Runner 2049 : Relever le défi de faire une suite au Blade Runner de Ridley Scott (avec Harrison Ford) réalisé en 1982 n’est pas une mince affaire et il faut saluer l’efficacité du réalisateur Denis Villeneuve en la matière. Si le premier long-métrage connut des débuts difficiles, avant de devenir au fil des décennies un objet de culte, il a finalement presque éclipsé l’œuvre littéraire pas toujours facile de Philip K. Dick, auteur de SF californien dopé aux amphèts et à l’acide, trop tôt arraché à l’affection planétaire de ses fans inconsolables…
En 2049, la société humaine est au-delà du chaos écologique : épizooties massives, black out informatique et catastrophe climatique ont laissé un monde exsangue où les arbres et les animaux ne sont qu’un souvenir photographique. La nourriture est produite dans des fermes industrielles à partir de vers et autres larves riches en protéine. La société humaine est sous tension, fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs « serviteurs » créés par bio-ingénierie.
L’action se passe à Los Angeles envahi par un brouillard saumâtre. L’officier K. est un Blade Runner, c’est aussi un réplicant : il fait partie d’une force d’intervention du LAPD (Los Angeles Police Department) de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Il n’est pas là pour se poser des questions et on sait lui rappeler à coup de Test Voight Kampff sa condition. Au cours d’une de ses missions de recherche et de « neutralisation » d’anciens modèles de réplicant échappés au contrôle humain, K découvre un secret dissimulé depuis longtemps et capable de changer le monde en particulier le rapport vicié que les hommes ont aux réplicants et que ceux-ci pourraient peut être se passer de leur créateur… Cette découverte perturbe fortement K. pourtant celui-ci mène une existence confortable, un logement et une relation sentimentale avec une entité féminine que l’on pourrait qualifier d’Intelligence artificielle (IA).
À ce moment du film on bascule de l’univers de Philip K. Dick à celui de William Gibson et en particulier au roman Idoru : un homme y tombe amoureux d’une IA ce qui crée un petit cataclysme sociétal… Pour en revenir à K, son IA préférée décide l’appeler Jo : de Jo à Joseph K on s’achemine vers Kafka. La découverte de K est une menace pour lui et son entourage : c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies… d’où des scènes épiques et bien enlevées avec le retour d’Harrison Ford qui garde un certain panache. Au-delà du propos immédiat du film, une des questions posées est celle du transhumanisme, du dépassement d’Homo Sapiens par tous les moyens technologiques possibles : les réplicants en sont une, mais le « passage » à l’Intelligence artificielle (IA) que suggère William Gibson dans ses romans en est une autre pour les humains en quête de divinité et d’immortalité… Les films sont comme certains vins, ils ont besoin de vieillir pour être appréciés. En tout cas ce film est superbe.
Harrison Ford dans Blade Runner en 1982
Blade Runner 2049 est un film de science-fiction américano-britannico-canadien, réalisé par Denis Villeneuve. Il fait suite au premier film réalisé par Ridley Scott sorti en 1982 et adapté du roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick. Durée : 164 minutes.
Scénaristes : Hampton Fancher et Michael Green, d’après les personnages créés par Philip K. Dick.
Acteurs : Ryan Gosling, Harrison Ford, Ana de Armas…
Compositeurs : Hans Zimmer et Benjamin Wallfischer.
Du 22 au 25 novembre 2017, le festival Migrant’scène s’installe à Rennes. Entre concerts, lectures, débats et projections, une exposition photographique retiendra l’attention. Du 17 novembre au 22 décembre 2017, François Legeait, photographe engagé sur de nombreux sujets d’actualité, expose Calais : des ruines aux jungles au Grand Cordel.
Il est essentiel de sensibiliser et de mobiliser le public et le festival devrait y contribuer.
Unidivers : François Legeait, vous exposez du 17 novembre 2017 au 22 décembre 2017 une série de clichés sur la jungle de Calais à l’occasion du Festival Migrant’scène. Est-ce la première fois que vous participez à ce festival ?
François Legeait :En effet. C’est la MJC Grand Cordel qui m’a invité à exposer dans le cadre de Migrant’Scène. Notre intention initiale était de reprendre des images existantes puisque je travaille sur Calais depuis longtemps. Mais mes reportages sur le Moyen-Orient permettaient une mise en perspective que nous avons jugé intéressante. C’est donc une nouvelle expo qui y est présentée.
U. : Qu’est-ce qui vous intéresse ou/et séduit dans Migrant’scène ?
François Legeait : Le public est surinformé – mais rarement à bon escient – sur la crise migratoire qui est un enjeu politique majeur. Tous les gouvernements l’ont instrumentalisée à leur profit, sans rechercher de solutions pérennes (et courageuses) à ce qui est d’abord un drame humain. À cet égard, il est essentiel de sensibiliser et de mobiliser le public. Le festival y contribue.
U. : Votre exposition présente un voyage : celui des migrants entre leurs différents pays d’origine et leurs conditions d’accueil à Calais. D’où part-on ? Où va-t-on ? Que perd et gagne-t-on ?
François Legeait : La première partie de l’exposition montre des images de Turquie, de Syrie et d’Irak. Elles évoquent l’exode, les civils fuyant les combats, les camps de réfugiés… La seconde revient sur les conditions de vie à Calais depuis une dizaine d’années. Et elles n’ont jamais été pires qu’aujourd’hui ! L’idée est de rappeler qui sont les « migrants » – un terme que je n’aime pas beaucoup, mais par quel autre le remplacer ? En réalité, il y a des phénomènes migratoires, mais il n’y a pas de « migrants ». Il n’y a que des gens qui essaient de s’en sortir.
U. : Est-ce que cette exposition est aussi une occasion pour vous de sensibiliser le public sur les migrants et leurs conditions de vie réelles à Calais ?
François Legeait : Oui, bien sûr. Le gouvernement communique sur le prétendu succès du démantèlement de la « jungle », l’année dernière. En un an, nous dit-il, nous serions passés de 8000 à 500 migrants à Calais ! Toutefois, malgré une débauche invraisemblable de moyens, des violations répétées des droits de l’Homme envers une population particulièrement vulnérable et son maintien dans des conditions sanitaires révoltantes, le phénomène persiste ; et il ne fait aucun doute que, d’ici peu, on sera revenu aux mêmes chiffres ! Cette communication est de la désinformation pure et simple. Les gens doivent connaître la réalité.
U. : Ce n’est pas la première fois que vous souhaitez mettre en avant le thème des réfugiés et des migrants et leur place dans la société actuelle. Vous êtes l’auteur de cinq ouvrages : Destins Clandestins, les réfugiés après Sangatte (2006), Palestine 141 (2008), Amok, un atelier photo au Cambodge (2010), Askarkids, un atelier photo en Palestine (2010) et Ben U Sen (2015), qui est également une exposition. Une ligne rouge et une ligne droite…
François Legeait : Oui, en effet. Avant le Kurdistan, j’ai travaillé sur la Palestine, sur Calais, mais aussi sur l’Irlande du Nord. Ce qui m’intéresse, c’est la résistance et la résilience de populations confrontées à l’oppression ou au conflit. Comment une minorité défend-elle ses droits, sa culture ? Comment un peuple résiste-t-il à la violence d’un Etat ? Comment une communauté survit-elle à la guerre ? Qu’est-ce qui, à titre individuel, nous fait tenir bon quand tout s’écroule autour de nous ? Qu’est-ce qui nous tient debout ?… L’exode fait partie des options, souvent en dernier ressort. La migration est donc un aspect de ce travail, et peut-être un des plus sensibles, parce qu’elle constitue une sorte de lien entre « là-bas » et « ici ». Elle fait en quelque sorte partie de mon quotidien.
Calais
U. : Que cherchez-vous à susciter chez le spectateur ?
François Legeait : Par sa mise en œuvre graphique, la photo d’information cherche à capter l’attention et à provoquer une émotion chez le spectateur. Par sa sémantique, elle a pour objectif de transmettre une information. De l’émotion provoquée dépend la perception de l’information. La subjectivité du photographe se manifeste donc dans chaque image, et il faut en être conscient.
François Legait : « Seule une jeunesse éduquée est en mesure de prendre en main son avenir »
U. : Vous travaillez souvent avec des enfants, notamment en organisant des ateliers photo, au Cambodge et en Palestine. Vos deux ouvrages, Amok, un atelier photo au Cambodge et Askarkids, un atelier photo en Palestine, sont les résultats de votre collaboration avec les enfants de ces deux pays. Pourquoi les enfants plutôt que les adultes ? Que représentent-ils dans la crise actuelle ?
François Legeait : Tout a commencé au camp de réfugiés d’Askar, en Cisjordanie. Après avoir photographié les jeunes Palestiniens dans « Palestine 141 », il m’a paru logique de leur donner à leur tour la parole. Ils sont les mieux placés pour parler de leur vie, et la photographie est un outil adapté. Les enfants représentent l’avenir, naturellement, mais il faudrait surtout qu’ils incarnent l’espoir. Cela passe par l’éducation et la culture, et relève de notre responsabilité. D’où ces ateliers.
U. : La crise migratoire est devenue un important sujet d’actualité en France, mais également en Europe. Selon vous, les gouvernements se mobilisent-ils suffisamment pour venir en aide aux réfugiés ?
François Legeait : Absolument pas. Ils se mobilisent d’ailleurs moins pour leur venir en aide que pour s’en débarrasser. Dans « Destins Clandestins », j’écrivais : « Nous ne les considérons pas comme des victimes qui sollicitent notre protection, mais comme une menace dont il conviendrait de se protéger ». C’est toujours vrai. De plus, obnubilés par la montée du « populisme », nos gouvernements se livrent à une surenchère répressive totalement contreproductive, qui fait le lit de l’extrême droite bien plus que l’arrivée quotidienne de nouveaux « migrants ».
François Legeait
U. : Quels sont vos projets ?
François Legeait : Un nouvel ouvrage est en préparation avec mes compères Gaël Le Ny (NDLR avec qui il a collaboré à l’exposition Ben U Sen) et Elie Guillou. Une rétrospective des cinq années écoulées au Kurdistan de Turquie : les espoirs suscités par l’ouverture de négociations de paix en 2012, le glissement du régime turc vers la dictature jusqu’à la reprise des combats et la destruction des villes kurdes en 2016. Ensuite, je repartirai vers d’autres horizons…
François Legeait Exposition Calais des ruines aux jungles. Du vendredi 17 novembre au vendredi 22 décembre 2017. Le Grand Cordel 18, rue des Plantes 35000 Rennes.