À l’image d’autres pays européens comme la France, l’Espagne ou encore le Portugal, les Pays-Bas font face à une crise du logement depuis la crise financière de 2008. Entre manque de place et augmentation des loyers, la population cosmopolite peine à se loger, en particulier les ressortissants étrangers. Unidivers a rencontré deux étudiantes rennaises sur place depuis trois ans.
La crise : manque de places et coût des logements
Aux Pays-Bas — pays européen le plus densément peuplé après Malte, avec 17 millions d’habitants —, il manquerait 390 000 logements, selon Peter Boelhouwer, professeur à l’université de Delft. Les villes les plus concernées sont Amsterdam, Rotterdam, Utrecht et La Haye. En dix ans, la population de sans-abri a été multipliée par deux. Si les perspectives prédisent une amélioration d’ici 2030, il manquerait encore 200 000 logements dans le scénario le plus favorable.
À cela s’ajoute le coût de l’immobilier en hausse. D’après la Bank for International Settlements, le prix des logements a augmenté de 10,79 % en décembre 2024 par rapport au même mois de l’année précédente. Une hausse exponentielle, quand on sait que les loyers ont en moyenne augmenté de 6,26 % entre 1971 et 2024…

Origines de la crise : réfugiés, travailleurs, étudiants et manque de gestion de l’État
Suite au Brexit, le pays a gagné en popularité auprès des réfugiés ukrainiens, des travailleurs peu qualifiés européens (Pologne, Roumanie ou Bulgarie) et des étudiants. Dans son rapport sur le logement convenable (2024), le rapporteur spécial de l’ONU pour le droit au logement Balakrishnan Rajagopal révèle que la majorité d’entre eux vit dans des hébergements non conformes : logements étroits avec mauvaise plomberie et/ou installation électrique, bâtiments désaffectés, granges, caravanes, etc.
Les étudiants sont particulièrement touchés par cette crise. Selon The Class Foundation, organisation de lutte contre la crise créée en 2011, 28 000 logements supplémentaires seraient nécessaires pour satisfaire la demande. Certains propriétaires ne font pas des étudiants une priorité, allant jusqu’à afficher la mention « pas d’étudiants » ou « pas d’internationaux » sur les annonces. Parmi les logements disponibles, il existe des résidences universitaires (Xior, Canvas, etc.), mais l’attente est longue. Des étudiants néerlandais s’inscrivent dès le lycée sur les listes d’attente afin de s’assurer un logement pendant leurs études supérieures, ce qui discrimine les internationaux. Anne Weiler, Rennaise étudiante en bachelor d’histoire à Utrecht, raconte que beaucoup de connaissances ont rencontré des difficultés : « Un couple a accueilli deux amis sans logement : l’un dormait sur leur canapé, et l’autre par terre. Pendant six mois, ils vivaient à quatre dans un petit appartement pour deux. »
En plus du manque de logements, les étudiants font face à la hausse des prix de l’immobilier. Les propriétaires ont le droit d’augmenter le loyer tous les douze mois. Sophia Cherel, étudiante rennaise à l’université des sciences appliquées d’Utrecht, habite à 20 minutes du centre-ville. À son arrivée, elle payait un loyer mensuel de 495 €, contre 560 € aujourd’hui après trois ans sur place. Anne a, quant à elle, pu emménager avec son compagnon, qui travaille, dans une maison de 55 m² au loyer très élevé de 1 750 €/mois.
La pénurie et les prix élevés sont la conséquence de la libéralisation du marché de l’immobilier : l’État ne contrôle que très peu l’estimation de la valeur d’un logement par les propriétaires. Le rapporteur spécial de l’ONU démontre que ce manque d’application de plafonds entraîne des loyers élevés, parfois excessifs. Rajagopal met aussi en avant le manque de logements sociaux et un système qui comporte des critères d’éligibilité irréalistes. Les droits des locataires n’étant pas suffisamment protégés par la réglementation néerlandaise, ils se retrouvent souvent face à un dilemme : si le logement est réglementé, les prix sont contrôlés mais les listes d’attente sont longues ; s’il est dans le secteur privé, l’offre est plus large mais les protections moindres, et les prix plus élevés.

Comment répondre à la crise ?
Plusieurs aides financières — pour les études, le logement et le transport — sont disponibles. Les étudiants qui travaillent plus de douze heures par mois et terminent leurs études en moins de dix ans peuvent obtenir une aide de l’État de 300 € par mois. Une autre bourse d’État, appelée “Top up grant”, est aussi accessible en fonction des revenus des parents.
Toutefois, une loi vient d’être votée afin que deux tiers des cours soient désormais en néerlandais, ce qui réduirait le flux d’étudiants internationaux suivant les cours en anglais. « Le gouvernement pense aussi à accepter exclusivement les étudiants étrangers qui ont un logement au moment de l’inscription », ajoute l’étudiante rennaise Anne. Cette décision pourrait contribuer à soulager la crise, mais elle ferme également l’accès aux études à l’étranger pour de nombreux citoyens européens. Une réponse possible, mais est-ce la meilleure solution ?
Pour lutter contre la crise générale, l’État néerlandais a aussi mis en place la loi sur le loyer abordable du 1er juillet 2024. Elle réforme le système d’évaluation du logement (WWS). Ce dernier attribue à chaque propriété un score fondé sur plusieurs critères : taille, label énergétique, localisation, et espaces inclus (salle de bain privée, espace extérieur, etc.). Si un logement obtient moins de 143 points, il est considéré comme logement social. Avant, tout logement dépassant ce seuil passait dans le secteur libre. Désormais, ceux entre 144 et 186 points appartiennent au nouveau segment des logements locatifs moyens (loyer mensuel inférieur à 1 157,95 €). Les logements au-delà de 186 points restent dans le secteur libre. À partir de ce calcul, les municipalités peuvent infliger des amendes aux propriétaires pratiquant des loyers excessifs depuis le 1er janvier 2025.
Cette nouvelle loi plafonne également les augmentations annuelles des loyers. Pour 2024, l’augmentation maximale était fixée à 5,5 %, calculée sur la base d’une inflation de 4,5 %, majorée d’un point. Le recours aux baux temporaires est désormais limité à des cas spécifiques, offrant aux locataires une plus grande sécurité grâce à des contrats de location à durée indéterminée.
Une crise européenne
La crise du logement est particulièrement visible aux Pays-Bas, mais elle concerne la plupart des États européens. Dans l’émission 27 sur Arte, on apprend qu’en dix ans, le nombre de sans-abri a augmenté de 70 % ; le loyer moyen a progressé de 18 %, tandis que le salaire moyen n’a augmenté que de 12 %. Aujourd’hui, un Européen sur dix consacre plus de 40 % de ses revenus à son loyer. Selon Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat, le problème provient principalement, comme aux Pays-Bas, de la libéralisation du marché de l’immobilier. Les pays européens manquent de logements sociaux : on ne compte que 8 % de HLM en Europe, et 15 % en France. Ce déficit rend l’accès au logement plus difficile, avec des critères d’éligibilité de plus en plus contraignants. À Paris, par exemple, le délai moyen d’attente pour un logement social est de dix ans.