Rodéos urbains : la colère en roue libre ou Darmanin tique et toque

rodeo urbain

Longtemps cantonnés aux marges du territoire, les rodéos urbains sont devenus ces dernières années un phénomène national avec une intensification spectaculaire dans certains quartiers populaires et périphéries urbaines. Rennes, Bordeaux, Marseille, Lyon, Grenoble, mais aussi des villes moyennes comme Chartres ou Mulhouse ont été le théâtre de rassemblements motorisés sauvages, souvent nocturnes, mêlant scooters, motos cross, quads et voitures puissantes. Derrière les crissements de pneus et la fumée des échappements, une France oubliée cherche sa scène. À la faveur d’un relâchement estival ou d’un climat social tendu, ces démonstrations illégales deviennent parfois de véritables défis lancés à l’autorité publique. Le gouvernement entend aujourd’hui durcir le ton, notamment à travers une mesure phare : la saisie systématique des véhicules utilisés lors de condamnations pour rodéos.

C’est une scène désormais familière, presque banale dans certaines banlieues ou périphéries : le rugissement d’un quad dans une rue résidentielle, une roue arrière levée sous les acclamations d’un petit attroupement, les caméras de smartphones braquées, et la cavalcade s’achève en fuite ou en interpellation, et toujours en boucle sur les réseaux sociaux. Les rodéos urbains sont devenus un théâtre improvisé d’adrénaline brute, de transgression spectaculaire et de crispation politique. Plus qu’un fait divers motorisé, c’est une forme moderne de désobéissance socialisée à la croisée des frustrations sociales et de l’hypervisibilité numérique. Rien que pour la fin de semaine en cours, la France compte au moins 3 rodéos urbains qui ont dégénéré :

Évian-les-Bains (Haute-Savoie) – 10 mai 2025

Un sapeur-pompier volontaire de 38 ans, Niccolo Scardi, a été grièvement blessé après avoir été percuté par un automobiliste lors d’un rodéo urbain devant la caserne d’Évian-les-Bains. Le conducteur, âgé de 19 ans, conduisait sans permis et sous l’emprise de protoxyde d’azote. Il a été interpellé et placé en garde à vue. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a qualifié l’acte de « tentative d’homicide abjecte ».

Carcassonne (Aude) – 9 mai 2025

Un nouveau rodéo urbain s’est déroulé dans la zone de la Ferraudière qui rassemble de nombreux véhicules et spectateurs.Les forces de l’ordre ont procédé à des interpellations et des saisies de véhicules.

Bordeaux (Gironde) – 9 mai 2025

Un rodéo urbain de grande ampleur a eu lieu dans le quartier de Bordeaux-Lac. Il a réuni… environ 500 voitures et 3 000 personnes. Les forces de l’ordre ont dû intervenir avec des grenades lacrymogènes et de désencerclement pour disperser la foule. Deux policiers ont été légèrement blessés lors de l’opération.

Une jeunesse sans terrain de jeu mais avec des réseaux

Derrière le guidon ou le volant, ce sont souvent des adolescents, parfois de jeunes majeurs, issus de quartiers relégués, surreprésentés dans les statistiques de chômage, d’échec scolaire ou d’interpellation policière. Ils roulent sans permis, sur des engins non homologués, sans casque ni plaque. Pas tant par goût du chaos que par envie d’exister, voire de se montrer et d’attirer l’attention dans une société qui les ignore. Il faut dire qu’en matière de loisirs encadrés, ces quartiers sont souvent les grands oubliés de la République. Pas de circuit, pas d’ateliers mécaniques, peu de médiation de rue. Le macadam devient alors la seule scène d’expression possible. C’est la cité qui fait piste, et le danger qui tient lieu d’arène.

TikTok, Snapchat, Instagram… Les rodéos sont ainsi et aussi des contenus. Des vidéos tournées à toute vitesse, montées en story, partagées entre potes ou exhibées comme des trophées. Le numérique joue ici un rôle ambivalent : il amplifie le phénomène, le rend viral, mais aussi traçable. Car ce qui est vu peut être sanctionné. Mais le défi n’est pas seulement virtuel. Il est physique, frontal, territorial. Circuler en sens inverse, narguer une patrouille, défier une caméra de vidéosurveillance : le rodéo devient une mise en scène de la transgression, une revanche fugace sur l’invisibilité. Il est, selon les mots d’un policier de terrain, « un doigt d’honneur motorisé ».

Darmanin sort l’arme lourde : la saisie systématique

Gérald Darmanin vient d’ordonner la saisie systématique des véhicules utilisés lors des rodéos dès lors qu’une condamnation est prononcée. L’objectif affiché est clair : priver les auteurs de leur “outil de nuisance”. La mesure repose sur l’article 131-21 du Code pénal, qui permet la confiscation d’un bien ayant servi à commettre une infraction. Mais dans les faits, plusieurs obstacles limitent son efficacité :

De nombreux véhicules sont volés, non homologués ou non immatriculés, ce qui rend leur saisie juridique difficile ou leur retour aux propriétaires impossible.

Le plus souvent, les auteurs sont mineurs, sans titre de propriété sur le véhicule.

Enfin, la mesure risque de cristalliser les tensions si elle est appliquée sans discernement, au risque de déclencher des émeutes ou d’alimenter un peu plus le sentiment d’arbitraire.

Sanctionner, oui, mais comprendre aussi le bruit d’un malaise

Le rodéo ne se résume pas à un problème de sécurité routière. Il est un révélateur, un miroir déformant mais fidèle de l’état de nos périphéries. Punir sans comprendre serait un contresens. Il faut, à rebours, penser des alternatives structurantes : création de circuits urbains comme à Reims, insertion par le sport mécanique, actions de médiation à la croisée de la prévention et de la sanction. On pourrait même imaginer que certains deviennent éducateurs, pilotes, mécaniciens. Enfin, il est urgent d’inciter les influenceurs à diffuser des messages de prévention et de contraindre les plateformes sociales où circulent les vidéos de rodéos en signalant et retirant les contenus dangereux sous peine de sanction.

Combien de problèmes de société promettraient d’être réglés, ou du moins fortement maitrisés, si le gouvernement français avait enfin le courage de mettre les réseaux sociaux au pas en les menaçant de lourdes sanctions en cas d’infraction ?! Pour rappel, le Parlement australien a approuvé le 28 novembre 2024 une législation qui interdit l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de 16 ans, l’une des mesures les plus strictes au monde en la matière pour des plateformes comme X, TikTok, Instagram ou Faceboob. Six mois après, la très large majorité des Australiens s’en félicitent. Et beaucoup demandent d’aller encore plus loin. A ce propos, il est toujours utile de rappeler que Tiktok existe en Chine sous sa version appelée Douyin, laquelle version interdit tout contenu à caractère antisocial et promeut majoritairement des contenus éducatifs ou de valorisation de témoignages de bons efforts individuels ou collectifs… C’est à l’expression politique de la République de décider à quoi devrait ressembler la réalité brossée et véhiculée par les réseaux sociaux, et quel degré d’éthique sociale respecter. Il s’agit de remettre de la dignité morale collective dans des plateformes qui ont pour seul objectif d’enrichir leurs propriétaires.

Alors, cessons de nous cacher la face : si le rodéo fait du bruit, c’est qu’il résonne avec d’autres tensions. L’état alarmant d’une France qui s’effrite en morceaux disjoints où la figure du « jeune (des cités) », lequel s’emmer.. dans le monde qu’on lui présente mais qu’il ne comprend pas, voire qui lui semble hostile, devient de fait l’ennemi facile et où plusieurs élus préfèrent penser en termes de répression pure malgré des résultats globalement peu efficaces, au lieu d’avoir le courage de prendre de grandes décisions en faveur de l’élimination des causes premières. Saisir les véhicules ? Peut-être. Mais n’oublions pas que le vrai moteur de ces rodéos n’est pas sous le capot, il est social et ludique – d’économie sociale et de réseau social. Et tant qu’on ne coupera pas l’alimentation de ce moteur-là – frustration, abandon, défiance, ennui, absence d’avenir, chômage ou salaire minable, imaginaire stéréotypé ou/et radicalisé, viriliste ou islamiste ; un écosystème qui incite beaucoup de jeunes sans grand lendemain à rallier les circuits de l’économie et de la pensée parallèles, différentes formes de banditisme ou de radicalisation –, le vacarme ne cessera pas. Il se déplacera ailleurs. Au demeurant, confisquer les véhicules est susceptible d’apaiser un temps l’opinion publique, mais la vraie solution à long terme tiendra dans la réponse à une question politique plus exigeante : mettre au pas des réseaux sociaux nocifs et redonner une place et de l’espérance à des jeunes pleins d’énergie qui tentent seulement d’habiter les marges où ils sont nés.

Pour aller plus loin :

Article connexe :

  • Cardon, D. (2019). Culture numérique et valorisation de soi. Paris : CNRS Éditions.
  • CNIL. (2024). Réseaux sociaux et incitation à la délinquance : état des lieux et recommandations. Rapport annuel.
  • Darmanin, G. (2025, 10 mai). Note aux procureurs sur la confiscation des véhicules dans les affaires de rodéos urbains. Ministère de l’Intérieur.
  • Davisse, A. (2011). Éduquer en banlieue. Paris : La Découverte.
  • Defrance, J., & Gleyse, J. (2021). Sociologie du sport et des violences. Rennes : PUR.
  • France Info. (2025, 10 mai). Rodéos urbains : un phénomène récurrent dans les zones sensibles
  • Jobard, F., & Névanen, S. (2007). Police, justice et minorités visibles en France. Revue française de sociologie, 48(3), 505-535.
  • Lapeyronnie, D. (2008). Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui. Paris : Robert Laffont.
  • Le Parisien. (2025, 9 mai). Rodéos urbains : un pompier entre la vie et la mort après avoir été percuté.
  • Ministère de l’Intérieur. (2024). Bilan national de la lutte contre les rodéos urbains – année 2023. Paris.
  • Van Lang, A. (2022). Les saisies pénales dans la jurisprudence française. Dalloz Actualité.
  • Ville de Reims. (2022). Expérimentation de circuits urbains pour jeunes motards : rapport d’étape.
Nicolas Roberti
Nicolas Roberti est passionné par toutes les formes d'expression culturelle. Docteur de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, il étudie les interactions entre conceptions spirituelles univoques du monde et pratiques idéologiques totalitaires. Conscient d’une crise dangereuse de la démocratie, il a créé en 2011 le magazine Unidivers, dont il dirige la rédaction, au profit de la nécessaire refondation d’un en-commun démocratique inclusif, solidaire et heureux.