Il s’appelait Sylvester Stewart, mais le monde entier l’a connu sous un nom de scène vibrant et libérateur : Sly Stone. Le 9 juin 2025, à l’âge de 82 ans, cette légende de la musique s’est éteinte, laissant derrière lui une œuvre aussi inclassable qu’indélébile, et une empreinte sonore qui résonnera tant qu’il restera des oreilles pour vibrer. Sly Stone n’a pas simplement créé de la musique : il a changé la musique. Il a fait du groove une philosophie, de la liberté une esthétique, et de la diversité une harmonie.
Il était l’un des rares à pouvoir se tenir à la croisée des chemins entre James Brown et Jimi Hendrix, entre les luttes de Martin Luther King et les hallucinations de Woodstock. Sylvester Stewart, alias Sly Stone, est mort ce 9 juin 2025 à l’âge de 82 ans. Avec lui s’éteint une figure incandescente de la musique américaine, celle qui fit danser les utopies, souder les fractures, et électriser les consciences. Plus qu’un musicien, Sly Stone fut un révélateur : de groove, de rage, de douceur et de visions. Il ne faisait pas que jouer de la musique — il la libérait.
Né en 1943 à Denton (Texas), élevé dans une famille pentecôtiste de la baie de San Francisco, Sly Stone est rapidement repéré pour ses talents précoces de musicien, arrangeur et DJ. Mais c’est à la tête de son groupe Sly and the Family Stone, fondé en 1966, qu’il bouleverse la grammaire musicale du XXe siècle. Premier groupe multiracial et mixte à conquérir la scène américaine, The Family Stone incarne une utopie sonore : celle où le rock blanc épouse la soul noire, où le gospel croise l’acide psychédélique, où les slogans militants se fondent dans une transe extatique.

L’architecte d’un son total
En créant Sly and the Family Stone, Sly Stone a réinventé la musique populaire à coups de cuivres, de lignes de basse telluriques, de voix mêlées, de cris joyeux et de silences habités. Des hits comme Dance to the Music, Everyday People, Family Affair ou Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) n’étaient pas seulement des tubes. Ils étaient des manifestes — d’unité raciale, de genre, de liberté individuelle. Le groupe lui-même incarnait la révolution : hommes et femmes, Noirs et Blancs, côte à côte sur scène, en pleine Amérique des années 1960, où la ségrégation et le Vietnam faisaient rage.
Loin des artifices, Sly composait comme un chamane urbain. Le funk, chez lui, n’était ni un genre ni une mode : c’était une manière d’habiter le monde, de faire fusionner le corps et l’esprit. Et de le faire avec panache. Son album There’s a Riot Goin’ On (1971), miroir granuleux et désabusé du rêve américain, reste l’un des plus importants de l’histoire de la musique, au même titre que What’s Going On de Marvin Gaye ou Electric Ladyland d’Hendrix.
Un météore blessé mais lumineux
Comme beaucoup de génies, Sly Stone fut aussi une figure de solitude, rongée par l’addiction, les procès, l’oubli, puis la réhabilitation tardive. À partir des années 1980, il disparaît progressivement des radars, reclus, fuyant les médias, évitant les scènes. Mais les échos de son art ne cesseront jamais de résonner : repris, samplés, détournés, vénérés. Public Enemy, Prince, Dr. Dre, OutKast, D’Angelo ou Kendrick Lamar : tous ont puisé dans le feu Sly. Ce qu’il avait semé — la fusion des genres, le pouvoir fédérateur du rythme, l’égalité radicale par le son — a fleuri dans des millions d’oreilles.
Et puis, en 2023, il publie Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin), une autobiographie à la fois poignante et lucide, où il raconte la fulgurance, les blessures, la drogue, la foi, les trahisons, et la solitude d’un homme qui n’a jamais cessé d’écouter le silence entre les notes.
Un héritage pour l’éternité
Sly Stone n’aura pas seulement donné un visage au funk. Il en aura donné une âme. Une âme collective, joyeuse, tourmentée, bigarrée, rageuse et tendre. En réunissant les ghettos et les banlieues blanches, les Black Panthers et les hippies, les freaks et les rêveurs, il aura fait danser l’Amérique sur sa propre complexité. Il laisse derrière lui un héritage d’une cohérence folle : celui d’un art qui ose tout dire et tout célébrer à la fois.
Le monde pleure un pionnier, un frère, un sorcier du beat. Mais comme il le chantait si bien : Everybody is a star. Et la sienne, désormais, brille ailleurs, mais pour toujours.
Encadré WP : 5 titres pour (re)découvrir Sly Stone
- Dance to the Music (1968) — Le manifeste d’une révolution joyeuse.
- Everyday People (1969) — Un hymne universel à la tolérance.
- Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) (1970) — Le groove comme arme politique.
- Family Affair (1971) — La soul sombre et introspective de l’après-60s.
- If You Want Me to Stay (1973) — La déclaration d’indépendance du funk.
« Everyday People », « Stand! », « Thank You », « Family Affair » : chacun de ces titres a creusé un sillon dans l’histoire. Ce sont des hymnes d’un peuple invisible devenu visible, d’une jeunesse qui refusait les assignations et dansait malgré tout, et d’un homme noir qui transforma l’orchestre en prisme de toutes les identités. Ce que Sly a apporté, aucun autre ne l’avait osé : la fusion absolue, non seulement musicale, mais existentielle.