Récompensé par le Grand prix du jury à la Berlinale, The Grand Budapest Hotel, est un film choral de Wes Anderson inspiré des récits de l’écrivain Stefan Zweig, né en 1881 à Vienne alors capitale de l’Empire austro-hongrois. De fait, la Mitteleuropa de l’auteur de la Confusion des sentiments est le cœur de ce nouveau film du réalisateur américain.
Le « Grand Budapest Hotel » symbolise l’élégance et le raffinement d’une aristocratie à la culture cosmopolite dont Stefan Zweig sera à jamais nostalgique. Exilé en 1934 au Brésil, il relatera l’effondrement de l’âge d’or de l’Europe dans « Le monde d’hier. Souvenirs d’un Européen ».
Wes Anderson parvient avec brio à mêler cinéma et littérature. Le « Grand Budapest Hotel » héberge bien sûr la figure de l’écrivain (Jude Law), mais aussi des incarnations des thèmes de prédilection de l’auteur viennois. Confrontés à l’Histoire, les personnages prennent du relief grâce à la narration de petits faits, de détails (n’avez-vous pas senti « l’air de panache » de Monsieur Gustave ?)
L’apparence, impeccable et drolatique, de Monsieur Gustave (Ralph Fiennes) évoque bien sûr l’ambivalence entre les simulacres obligés de la haute société et la vie intime, entre une discrétion obligée et un érotisme fait d’adultères coupables (notamment avec Madame D. incarnée par Tilda Swinton, méconnaissable en femme âgée) ou comme les nommait Stefan Zweig d’“épisodes ».
L’apprentissage de la liberté, de l’individualité sont personnifiés par Zero Mustafa (Tony Revolori), Lobby-boy formé par Monsieur Gustave. Figure de l’exilé, il deviendra après moultes péripéties, le propriétaire d’un des plus prestigieux palaces d’Europe Centrale.
Le rose des boîtes de la pâtisserie Mendl’s, le pourpre des costumes du personnel de l’hôtel ou le rouge de la réception saturent l’image et contre- balancent le noir partout présent chez les héritiers de Céline Villeneuve Desgoffe und Taxis (alias Madame D.). Un univers fantasmé rythmé par la musique du compositeur Alexandre Desplat qui accorde les balalaikas ou Yodels aux paysages montagneux d’Europe Centrale.
Coloré, onirique, rétro, le monde de Wes Anderson est peuplé de personnages aussi truculents que fascinants. S’il fallait le comparer, on pourrait trouver cela chez les Monty Python, chez un Jeunet au meilleur de sa forme ou chez un Gondry. Tiens vous avez remarqué ? Pas un cinéaste américain. Est-ce parce qu’Anderson a élu domicile à New York, la ville monde ?
Le casting réuni à la fois les habitués du monde du réalisateur (Bill Murray et Owen Wilson évidemment et aussi Jeff Goldblum, Willem Dafoe, Adrian Brody) mais aussi quelques petits nouveaux comme le grand Ralph Fienes et le toujours séduisant Jude Law. Et cette histoire abracadabrantesque fonctionne, du moins pour qui aimera oublier ses repères pour se fondre dans ce monde. On retrouve des éléments des précédents films, des liens avec la Famille Tennenbaum, Moonrise Kingdom. Il faudrait bien plus qu’une critique pour faire le tour d’un tel film.
Nathalie Morice
The Grand Budapest Hotel Wes Anderson, avec Ralph Fienes, Jude Law, Matthieu Amalric, Tilda Swinton, Bill Murray, 1h39
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Avec The Grand Budapest Hotel Wes Anderson part en voyage chez Zweig