A qui appartient et appartiendra Internet ? Entre convoitise et défiance…

Aujourd’hui, l’International Telecommunication Union (ITU) se réunit sous l’égide de l’ONU pour tenter de décider de l’avenir d’Internet au regard de sa gestion. Situation inédite : Internet est historiquement américain tandis que son utilisation s’est mondialisée au fil du temps, attisant la convoitise tout autant que la défiance de nombre d’acteurs, notamment étatiques.

A l’origine, Internet est une évolution du réseau ARPANET, un réseau développé par des universités américaines, mais dont l’intérêt n’a pas échappé à la CIA et aux militaires. Avec l’ajout de la technologie TCP/IP, le réseau se développe et quitte sa vocation militaire pour reprendre celle d’origine, à savoir une interconnexion entre universités. Dans les années 80, ce qu’on appelle désormais Internet se développe grâce à l’apport du langage à balise HTML pour aboutir aux premiers navigateurs au début des années 90.

C’est aussi à cette époque que l’Internet se structure avec la fondation de l’Internet Society (ISOC), association chargée de promouvoir et de coordonner les développements sur Internet. De fait, cette association de 50000 membres issus de 72 Pays décide de l’avenir des technologies et de l’architecture d’Internet. Ajoutons à cela l’ICANN, société californienne à but non lucratif, qui gère les noms de domaine et dépend du Département du Commerce américain depuis sa création par Al Gore en 1988. Le contrat de l‘ICANN s’étant terminé en 2009, la question de son statut se pose. Tant l’Europe que le reste du monde et, donc, l’ONU souhaitent le voir évoluer vers une gouvernance partagée.

C’est justement l’un des objets de la réunion d’aujourd’hui de l’ITU, instance de l’ONU qui réunit 193 États membres. Toute la difficulté vient du fait que c’est Internet Society qui devrait décider du contrat avec l’ICANN. Or l’ITU souhaiterait aussi récupérer la gestion de l’Internet et ainsi prendre la succession de l’ISOC. Rappelons au passage que c’est l’ITU qui a standardisé certaines normes de télécommunication, mais que son manque de réactivité face aux nouvelles technologies lui a fait perdre de son aura face à l’ISOC et ses ramifications comme l’Internet Engineering Task Force (IETF). L’ICANN elle-même se plaint de son manque de budget et de pouvoir mondial pour gérer un Internet dont la liberté est attaquée. Il s’agit donc d’un problème géopolitique et qui trouverait toute sa place au sein de l’ONU, à certaines conditions. Et ce sont ces conditions précisément qui suscitent de fortes inquiétudes chez les États-Unis qui craignent que l’Internet n’échappe totalement à leur contrôle ou, du moins, à leur influence.

Un autre problème de gestion est celui de l’infrastructure historiquement très centrée sur les États-Unis. Le lecteur consultera avec intérêt la carte interactive qui lui est consacrée. Il en ressort clairement que cette centralisation pose des problèmes de saturation de débit. L’action contre Megaupload a d’ailleurs eu entre autres effets recherchés ou non d’éviter une congestion…

Là encore, des décisions doivent être prises sur la mise en place de nouvelles lignes dans les océans et sur leur exploitation. Si la réunion du 27 février n’a pas pour objet de statuer sur ce problème, sur le moyen terme, la gouvernance d’Internet devra faire face à ce problème. Et c’est bien l’objet des récriminations de l’Internet Society et de l’ICANN  qui n’ont pas suffisamment de pouvoir décisionnel et de budget pour parvenir à faire évoluer l’architecture d’internet.

Au final, il semble que nous touchons aux limites du Net originel, lequel doit passer à une véritable phase de mondialisation. La carte ci-dessous montre les 3 grands pôles qui se disputent le débit : Asie (Inde et Chine essentiellement), Europe et États-Unis. Elle est à mettre en relation avec la carte des échanges entre continents :  Entre Asie et Europe, le trafic progresse, mais transite par les États-Unis ! Avec les possibilités de filtrage et espionnage, on imagine aisément l’intérêt géopolitique d’une telle structure et de l’appropriation d’internet. S’il est peu probable qu’une décision définitive sorte à l’issue de cette réunion, des tendances devraient se dessiner.

Ice

(source : http://www.telegeography.com)

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Didier Acker
didier.ackermann {@] unidivers .fr

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