Avec Carême, nouvelle série para-historique produite par Apple TV+ et lancée en grande pompe le 30 avril 2025, le géant américain s’essaie à la relecture romancée d’une figure aussi inattendue qu’ambivalente : le pâtissier Marie-Antoine Carême. Huit épisodes, une esthétique léchée, un casting très contemporain, et une ambition manifeste de mêler cuisine, géopolitique et sensualité révolutionnaire. Résultat de cette cuisine d’ingrédients ? Un spectacle qui empile les clichés et oublie trop vite ce qu’il prétend mettre en valeur : l’Histoire, la vraie, pas une tambouille mémorielle peu mémorable.
Une biographie réécrite à la poche à douille
Dès les premières scènes, le ton est donné. Antonin Carême (Benjamin Voisin), orphelin autodidacte et génie du sucre, est propulsé au cœur des intrigues du Consulat comme s’il était né pour sauver la France à coups de meringues. Dans cet univers où les entremets deviennent outils diplomatiques et où Talleyrand recrute des cuisiniers-espions, le vraisemblable n’a plus droit de cité. La série revendique une liberté de ton « fictionnelle » ; soit, mais elle en fait un prétexte pour servir un récit rococo, saturé de simplifications.
Les amateurs de rigueur historique tiqueront vite : le bœuf Rossini est cuisiné vingt ans avant sa création, Roustan est métamorphosé en acolyte afrodescendant au service d’un storytelling inclusif approximatif, mais tiktokisable, et Carême devient une sorte de James Bond de la pâtisserie, tout à fait instragamable. Le Paris du XIXe siècle, pourtant politiquement et socialement complexe, est réduit à une scène de théâtre pour aventures galantes, discours révolutionnaires standardisés et rivalités d’opérette.
Une mise en scène somptueuse… qui cache le vide
Sur le plan visuel, Carême est indéniablement maîtrisée : plans amples sur les cuisines impériales, textures lumineuses sur les pâtisseries, costumes luxueux et décors soigneusement stylisés. Mais à l’instar d’un mille-feuille trop monté, cette esthétique tourne à vide dès lors qu’elle n’est pas soutenue par un propos solide. Les dialogues, souvent ampoulés, oscillent entre la grandiloquence de téléfilms historiques et les apartés sentimentaux dignes d’un soap de prestige.
Les scènes culinaires, censées être le cœur du récit, sont filmées avec emphase mais sans souffle. Là où l’on attendait l’intimité d’un geste, l’intensité d’une saveur ou l’angoisse d’un service d’apparat, on obtient surtout de jolies images montées comme des publicités (tiktokgramable et instragramable). La cuisine devient décor, jamais drame. Un comble pour une série censée explorer les ressorts d’un art qui fut autant politique que personnel.
Performances et illusions
Benjamin Voisin fait ce qu’il peut pour incarner ce Carême-fantaisie : il y met du charisme, de la nervosité, parfois une sincérité touchante. Mais il semble souvent prisonnier d’un rôle trop schématique, balancé entre deux archétypes : le génie romantique et le héros malgré lui. En En face de lui, Lyna Khoudri peine à donner corps à Henriette, figure révolutionnaire inconsistante, dont les scènes relèvent davantage de la fonction narrative que d’une réelle construction psychologique. Jérémie Renier, lui, cabotine dans un Talleyrand sans finesse, réduit à un marionnettiste sinistre (alors que le pied bot le plus noble de France était pour le moins un stratège complexe).
Le casting, choisi pour séduire un public international, entre adolescents et adultes peu lecteurs de manuels d’histoire, et répondre aux critères d’inclusivité contemporaine, laisse planer une énorme tension entre représentations idéalisées et vraisemblance historique. Une tension que la série refuse d’assumer ou de problématiser, se contentant de flatter une idée d’ouverture sans jamais interroger son sens dans le contexte représenté. Et ça répète, et ça répète en boucle des narratifs clichés sans en saisir le sens profond…
Un objet télévisuel symptomatique
Carême est, au fond, emblématique d’un certain type de production contemporaine : esthétiquement emballée (tiktok, insta…, bon je ne vais pas me répéter), thématiquement séduisante, politiquement prudente, et dramatiquement inconsistante. Elle ne raconte pas l’histoire d’Antonin Carême, elle instrumentalise son nom pour vendre un fantasme de culture française revisitée façon Bridgerton. Ce n’est ni un portrait, ni une fresque : c’est un produit de luxe, calibré pour les algorithmes. Pour une série qui prétend rendre hommage au premier « chef célèbre » de l’histoire, elle évite soigneusement de dire quoi que ce soit de sérieux sur la cuisine, le pouvoir, ou la mémoire. Elle préfère les pirouettes scénaristiques aux complexités biographiques, et les pâtisseries aux idées. Ce n’est pas un crime, certes, mais une indigestion.
Fiche technique et distribution
- Titre : Carême
- Création : Ian Kelly, Davide Serino
- Réalisation : Martin Bourboulon
- Production : Apple Studios, Chapter 2
- Diffusion : Apple TV+
- Date de sortie : 30 avril 2025
- Nombre d’épisodes : 8
- Durée moyenne des épisodes : 50 minutes
Distribution principale :
- Benjamin Voisin : Antonin Carême
- Lyna Khoudri : Henriette
- Jérémie Renier : Charles-Maurice de Talleyrand
- Alice Da Luz : Agathe
- Julien Frison : Roustan
- Marc Barbé : Joseph Fouché
- Dominique Reymond : Madame de Staël
- Thibault Vinçon : Napoléon Bonaparte