Du 30 mai au 5 juin, le Triangle a de nouveau célébré la danse avec son festival Agitato. Pour l’édition 2016, Florence Casanave, Linda Hayford et Simon Tanguy ont illuminé les plateaux. Florence Casanave crée Youtubing en s’appuyant sur la pièce culte Water Motor de Trisha Brown, Simon Tanguy, avec Inging, hypnotise le public d’un torrent de mots d’où naissent les gestes du chorégraphe et Linda Hayford envoûte l’Auditorium du Triangle avec la danse animale de son Shapeshifting.
Florence Casanave, ancienne élève de l’école P.A.R.T.S. fondée et dirigée par Anne Teresa de Keersmaeker, est interprète pour différents chorégraphes. Elle précise actuellement son travail sur l’écriture chorégraphique. Les Rennais avaient pu découvrir son interprétation de la célèbre pièce Water Motor (1978) de Trisha Brown, d’où elle tire sa création Youtubing, l’année dernière à Fous de danse 2015. Elle apprend les gestes de Water Motor à l’aide du film de Babette Mangolte et s’aide des précieuses notes d’intention de Trisha Brown que lui transmet Tamara Riewe, danseuse de la Trisha Brown Dance Company.
Dans son Youtubing, Florence Casanave fait partager au public ce qu’est le travail d’appropriation d’une l’œuvre. Elle s’attache à maîtriser à la perfection tous les remous de la pièce, mais surtout les qualités de geste de celle-ci. On pourrait traduire le titre water motor par le ‘moteur de l’eau’, ou ‘ce qui meut l’eau’, et la très aérienne Florence Casanave réussit à restituer le rythme particulier de l’eau que l’on imagine dévalant un torrent, mais surtout la densité de cet élément qui se heurte soit à lui-même, soit à la terre, soit à l’air. De façon saisissante, cet air est littéralement matérialisé par les gestes de la danseuse et c’est un dialogue eau-air qui se joue sous l’oeil du spectateur. Et de la réappropriation qu’opère Florence Casanave, naît la création. D’un événement de son histoire personnel (un accident domestique qui la privera de scolarité pendant toute une année) qu’elle danse en le transposant dans la démarche et l’écriture de son inspiratrice, la jeune chorégraphe fait naître une pièce où son charisme s’épanouit.
Avec inging, Simon Tanguy adapte le concept élaboré par la chorégraphe et performeuse new-yorkaise Jeanine Durning en 2010. Chaque représentation de inging diffère de la précédente, car le danseur crée son discours en prise directe avec le public. Les associations d’idées et de mots que lui inspire celui-ci génèrent un discours-fleuve, presque écrasant que le geste libérera. D’où naissent ces gestes ? Des mots ? Assez rapidement, c’est le processus inverse qui se dévoile : le danseur s’imprègne de ses gestes pour continuer son discours. Par ce va-et-vient dynamique, Simon Tanguy entraîne et captive le spectateur dans son univers où le burlesque le dispute à la philosophie au rythme d’un hyper-présent. Ce rythme effréné propulse le danseur dans un état proche du chaos, chaos régénérateur.
Sur la magnifique musique de Tismé, Linda Hayford convoque avec Shapeshifting l’intensité tout animale d’une danse presque surnaturelle. Linda Hayford, sœur de Mike Hayford, est très vite pressentie pour son excellence dans le popping. Elle a traversé le hip-hop par le newstyle, la house dance pour se spécialiser dans le popping qu’elle veut faire évoluer avec Shapeshifting. Pieds nus, avec un costume loin des codes de la breakdance ou du hip-hop, dans ce solo de trente minutes, la jeune danseuse chorégraphe explore le terrain de la danse contemporaine. Linda Hayford magnétise le public avec un travail des articulations et des tensions musculaires évoquant un monde d’insectes qui s’acharne pour ne pas sombrer. L’effort qu’elle doit fournir pour gagner chaque centimètre de terrain est palpable.
Les mouvements que la danseuse produit sont antinaturels, tellement travaillés qu’ils lui confèrent une puissance impressionnante, troublante qui contraste singulièrement avec la petitesse des insectes que l’on peut imaginer. Le jeu de la tête, qui lutte avec un corps tout courbé pour rester droite, rappelle le combat que menèrent les peuples pour rester dignes et la mue, que la danseuse opère, la sortie de l’asservissement. La transposition est magistrale et le langage que crée Linda Hayford ouvre de nouvelles voies à développer. On se prend à rêver de sociétés complexes, à des architectures évocatrices, à des systèmes dont elle saurait quoi faire.
YOUTUBING Danse Florence Casanave / costume Cécile Pelletier / source « Water Motor », vidéo de Babette Mangolte — chorégraphie et interprétation Trisha Brown
INGING Concept et chorégraphie Jeanine Durning /réadaptation, interprétation Simon Tanguy /assistant Teilo Troncy
SHAPESHIFTING Chorégraphie et interprétation Linda Hayford / création musicale Tismé/création lumières Ydir Acef
Festival Agitato, le Triangle, Rennes, 30 mai-5 juin 2016