Cavale Blanche est le premier roman de Stéphane Le Carre. Un roman noir dont la prose singulière et poétique nous transporte dans un Finistère sombre dont les paysages, par une langue ciselée, deviennent lieu d’exil et d’introspection forcée.
« Hélas, si je dois blâmer quelqu’un, je suis celui-là. »
Dan est professeur en Bretagne, mais lassé par sa vie il plaque tout du jour au lendemain. Il retrouve sur sa route Gwenn, son ex compagne et Mau écrivain et ami d’enfance. Le couple lui propose de les aider à braquer un dealer de cocaïne et de partir au Brésil avec l’argent. Malheureusement les choses ne roulent pas comme prévu et voilà Dan en fuite, en planque sur une île du Finistère.
La première chose qui frappe quand on commence la lecture de Cavale blanche, c’est la langue et les mots qui nous emportent, au-delà de l’histoire prétexte. Qu’importe le braquage, la belle vie, ce qui compte, c’est la réflexion que Dan va opérer pendant son séjour sur l’île Verte. Quand la solitude vous entoure, il reste les souvenirs, bons et mauvais. Stéphane Le Carre nous emmène donc dans la tête de Dan, voyage des mots, des sensations, des paysages de cette Bretagne brute, sauvage, le bout d’un monde et les réminiscences emportés dans les embruns.
Quand l’espoir est parti de vos jours et que vous croyez le reconnaître sur le trottoir d’en face, vous traversez, sans regarder.
Stéphane Le Carre construit sa narration en alternance d’action, mais toujours du point de vue de Dan. Une fois arrivé sur l’île, son refuge, il se rappelle, de son histoire avec Gwenn, du comment Mau l’a engagé, etc. L’originalité de ce collage vient du fait que l’auteur ne conserve pas la linéarité du récit, un personnage meurt et on le retrouve un peu plus loin, autre temps de la narration permettant ainsi de conserver le rythme de l’histoire. Flashback d’une vie douloureuse.
L’écriture comme exutoire et les mots en réponse, Stéphane Le Carre se laisse aller à travers Dan :
C’est étrange, il y en a tant qui semblent aimer ce rivage et cet horizon. Le désir de littoral écrirait le spécialiste en psychologie et sociologie dans les périodiques des salles d’attente, avant les verdicts, les diagnostics et les révolutions capillaires. Qu’est-ce que cela signifie ? Une consolation ? J’en connais si peu qui me rejoindraient ici. Je ne les ai pas cherchés peut-être. Je ne les ai pas trouvés sûrement. Je ne me souviens que des autres, tous ces autres, avalés par l’orbite morbide de leurs ronds-points et de leurs rocades, dans des monospaces obèses d’options de bien-être débilitant, la génération des portes latérales coulissantes, baptisés, sans ironie aucune, Evasion, synonymes pourtant d’endettement et de taxations chroniques, maquillés de bleu initiatique insane ou de vert boréal inepte, d’où ils ne sortiront que pour être expulsés vers le cimetière ; des foules d’hommes affairés arborant à leur poignet des montres d’une taille imposante, comme si le temps leur appartenait ; des foules de femmes pressées, aux pendentifs et ornements assez remarquables pour devenir des appels au secours, qui envahissent l’espace, mais ne vont finalement nulle part. Je retrouve là l’obsession de mes ennemis si familiers et inutiles. Les chasser. C’est un effort.
Comme un hymne à la nature, aux ressources face à une vie de béton.
À travers le récit et les souvenirs de Dan, Stéphane Le Carre nous embarque pour un voyage noir plein de nostalgie et ponctué de références musicales Rock n’ roll, de Nick Cave aux Bad Brains en passant par le punk de Black Flag. Cavale blanche est un premier roman qui invite le lecteur à un voyage dans un sombre Finistère, les mots, poésie masquée nous emportent, nous guident dans ce roman noir aux allures de « nature writing », une parfaite réussite pour Stéphane Le Carre qui on l’espère poursuivra le voyage à travers cette noire Bretagne.
Hôpital de la Cavale Blanche. Une course-poursuite démarrée sous le talisman de cette merde. La coke. La blanche. Ouais, c’est une connerie absolue. Mais Gwenn. Blanc, en breton. Je m’en rends compte maintenant. Ça fait beaucoup. Ça fait trop.