Le 11 mai 1988 mourait Kim Philby, l’espion qui trahit un empire

Kim Philby
Kim Philby

Harold Adrian Russell « Kim » Philby est né le 1er janvier 1912 à Ambala, dans les Indes britanniques et il est mort à Moscou le 11 mai 1988. Il fut l’un des plus redoutables agents doubles de l’histoire moderne. Haut placé au sein du MI6, le renseignement extérieur britannique, il travailla pendant plus de trente ans pour les services soviétiques jusqu’à sa spectaculaire fuite à Moscou en 1963. Retour sur une trahison emblématique de la guerre froide, au croisement de l’idéologie, de la haute société britannique, et des impitoyables logiques de l’espionnage. Un temps révolu ? Pas sûr…

Un aristocrate dans l’ombre rouge

Philby grandit au sein de l’élite impériale britannique. Son père, St John Philby, était un explorateur, orientaliste et diplomate proche d’Ibn Saoud. Kim, lui, fut élevé dans un milieu où la loyauté à l’Empire allait de soi. Il étudia au Trinity College de Cambridge, un terreau fertile pour les intellectuels en rupture avec le capitalisme et séduits par l’utopie soviétique.

C’est à Cambridge, au début des années 1930, que Philby est recruté par le NKVD (ancêtre du KGB), via l’intermédiaire de l’agent Arnold Deutsch. Il rejoint ce qui deviendra le fameux réseau des « Cinq de Cambridge », aux côtés de Donald Maclean, Guy Burgess, Anthony Blunt et John Cairncross. Leur mission : infiltrer les plus hauts niveaux de l’appareil d’État britannique pour le compte de Moscou.

L’ascension au sein du MI6

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Philby intègre l’Intelligence Service (MI6), où il gravit rapidement les échelons. En 1944, il est nommé chef de la section anti-soviétique, ce qui constitue l’un des coups de maître de la désinformation du XXe siècle : l’homme chargé de surveiller Moscou est en réalité son principal informateur. Il transmet des milliers de documents secrets à l’URSS et joue un rôle clé dans le contrecarrage des opérations occidentales, notamment en Albanie et dans les pays baltes.

Ses talents de dissimulation sont tels qu’en 1949, il est nommé officier de liaison à Washington entre le MI6 et la CIA. Il fréquente les plus hauts responsables américains du renseignement, comme James Angleton. Philby est alors dans une position unique pour saboter les coopérations et livrer les secrets transatlantiques à ses maîtres soviétiques.

Le scandale Maclean-Burgess et les soupçons

En 1951, la fuite précipitée de Maclean et Burgess vers Moscou fait scandale. Tous deux étaient des amis intimes de Philby, et leur départ précipite une crise au sein des services. Philby devient le suspect numéro un. Il est interrogé par le MI5 mais nie habilement toute implication. La classe sociale et les manières aristocratiques de Philby jouent en sa faveur. En 1955, le gouvernement britannique publie une déclaration officielle disculpant Philby : une erreur que les historiens considèrent aujourd’hui comme l’une des plus graves du renseignement britannique.

La chute et la fuite

Mais les soupçons persistent. À la fin des années 1950, des éléments s’accumulent. En 1963, le MI6 le confronte une nouvelle fois à Beyrouth, où il officie comme correspondant pour The Observer et The Economist, tout en servant de couverture à son activité d’agent. Menacé d’arrestation, il organise sa fuite à bord d’un cargo soviétique.

Son arrivée à Moscou est discrète, puis médiatisée. Il est accueilli en héros, décoré de l’ordre de Lénine, mais reste sous surveillance du KGB. Il vivra dans un isolement croissant, victime du soupçon permanent de ses anciens maîtres.

Une vie entre trahison et mélancolie

Philby passa les vingt-cinq dernières années de sa vie à Moscou. Il y épousa sa dernière femme, Rufina Pukhova, enseigna à l’école du KGB, et sombra lentement dans l’alcoolisme. S’il croyait avoir servi une cause, il dut faire face au poids de ses choix. « Je ne regrette rien », déclara-t-il dans une rare interview à Izvestia en 1988, peu avant sa mort. Mais ceux qui l’ont connu à Moscou parlent d’un homme usé, nostalgique de l’Angleterre et du monde qu’il avait trahi.

Un traumatisme durable dans les services occidentaux

L’affaire Philby fut un séisme pour le renseignement britannique. Elle révéla les failles d’un système fondé sur la confiance de caste, incapable d’imaginer qu’un membre de l’élite puisse trahir. La CIA, notamment James Angleton, sombra dans une paranoïa durable, suspectant de nombreux agents d’être des taupes.

Philby reste aujourd’hui un cas d’école, étudié tant par les services secrets que par les historiens de la guerre froide. Ni seulement traître, ni seulement idéaliste, il incarne une époque où la loyauté se jouait sur des lignes idéologiques plutôt que nationales.

Bibliographie sélective

  • Macintyre, B. (2014). A Spy Among Friends: Kim Philby and the Great Betrayal. Crown.
  • Knightley, P. (1988). The Master Spy: The Story of Kim Philby. Andre Deutsch.
  • Andrew, C., & Mitrokhin, V. (1999). The Mitrokhin Archive: The KGB in Europe and the West. Penguin.
  • West, N. (2000). The Crown Jewels: The British Secrets Exposed by the KGB Archives. Yale University Press.
Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.