Le Met Gala ou la philanthropie-spectacle à 75 000 dollars le couvert

Chaque année, le premier lundi de mai, le Met Gala transforme le Metropolitan Museum of Art de New York en un théâtre d’apparat aussi somptueux que controversé. Officiellement appelé Costume Institute Benefit, cet événement caritatif a pour but de lever des fonds au profit du département mode du musée. En 2025, il a battu un record en récoltant 31 millions de dollars. Pourtant, derrière les robes extravagantes et le glamour assumé, le Met Gala soulève de quelques critiques…

Un dîner à 75 000 dollars le couvert

Le Met Gala est l’un des événements les plus sélectifs au monde : seuls les invités triés sur le volet par Anna Wintour, papesse de la mode et organisatrice en chef, peuvent y accéder. Les tickets individuels coûtent désormais 75 000 dollars, tandis que les entreprises paient jusqu’à 350 000 dollars pour sponsoriser une table. Cette démonstration de richesse, assumée et même recherchée, heurte certains observateurs, surtout à une époque marquée par l’aggravation des inégalités sociales. « L’idée qu’un événement puisse lever des millions pour un département muséal dédié aux costumes tout en affichant un luxe si indécent interroge notre conception même de la philanthropie », note la sociologue américaine Tressie McMillan Cottom. Pour autant, ça, c’est l’Amérique, Business as usual !

Une cause jugée secondaire

Le Costume Institute est sans conteste un département légitime d’un grand musée. Toutefois, quand les hôpitaux publics sont en crise, que les écoles manquent de moyens et que la pauvreté infantile augmente aux États-Unis, le choix de soutenir une institution muséale d’élite par des dizaines de millions de dollars interroge. Les critiques rappellent que d’autres causes urgentes (santé, logement, justice sociale) peinent à lever de tels fonds, en partie faute d’un pouvoir de séduction équivalent. Le Met Gala, avec ses paillettes et son storytelling maîtrisé, concentre l’attention médiatique au détriment de causes plus vitales.

Une philanthropie-spectacle ?

Le Met Gala incarne une forme de philanthropie performative. L’objectif n’est pas seulement de donner, mais de se montrer donnant. Pour de nombreuses célébrités et marques, il s’agit avant tout d’un investissement en image : visibilité sur les réseaux sociaux, affiliation à une élite culturelle, stratégie de branding émotionnel. Dans un article du New York Times publié le 4 mai 2025, la journaliste Vanessa Friedman résume : « Il ne s’agit pas de charité au sens noble du terme, mais de capitalisme de la compassion, où l’apparence du geste compte souvent plus que l’intention. »

Une édition sous tension symbolique

L’édition 2025 du Met Gala s’inscrit dans un contexte politique tendu aux États-Unis, où la résurgence d’un conservatisme culturel agressif, incarné par le retour d’un trumpisme décomplexé, polarise l’espace public. Le choix du thème — Superfine: Tailoring Black Style — met à l’honneur la créativité vestimentaire des diasporas noires américaines, du dandysme de Harlem aux réinterprétations contemporaines de l’élégance politique. Ce geste curatorial, salué par une partie des milieux artistiques, a toutefois suscité des critiques dans les sphères réactionnaires, où certains y ont vu une forme de militantisme identitaire. La soirée a également été marquée par la présence remarquée de Kamala Harris, vice-présidente des États-Unis, dont la participation a renforcé la dimension politique de l’événement. Son apparition aux côtés de créateurs afro-américains a été interprétée comme un soutien explicite à la reconnaissance des cultures noires dans l’histoire de la mode — mais aussi comme un signal adressé à l’électorat progressiste à l’approche de l’élection présidentielle.

gala met new-yok

Inclusion ou entre-soi ?

L’un des paradoxes du Met Gala est qu’il prétend incarner l’avant-garde culturelle tout en restant fondamentalement élitiste. Très peu de créateurs non occidentaux ou issus de milieux populaires y sont représentés, et les invitations suivent encore largement les lignes de la célébrité, de la richesse ou de l’influence. De nombreuses voix issues des mouvements féministes, antiracistes ou queer critiquent l’instrumentalisation des minorités à des fins esthétiques sans réelle redistribution du pouvoir symbolique ou économique dans le monde de la mode.

Une dérive vers l’absurde ?

Chaque année, les thèmes du Met Gala poussent plus loin les limites du spectaculaire : en 2018, l’édition « Heavenly Bodies » flirtait avec le sacrilège religieux ; en 2023, celle consacrée à Karl Lagerfeld a été jugée déplacée en raison des propos sexistes, grossophobes et islamophobes du couturier. En 2025, certains invités ont revêtu des tenues « post-humanistes » jugées provocantes dans un contexte géopolitique tendu.

Il serait simpliste de nier l’importance d’un tel événement dans la promotion de la création artistique, la collecte de fonds pour les musées et la stimulation du débat culturel. Mais il est tout aussi irresponsable de faire l’impasse sur les questions qu’il pose. Le Met Gala, incarnation suprême du capitalisme esthétique, nous confronte à un dilemme : dans un monde inégal, peut-on célébrer la beauté sans rendre visible la laideur sociale qu’elle recouvre parfois ?

Les gala du MET en chiffres

Financement et impact caritatif

Montant récolté : Le Met Gala 2025 a permis de lever un montant record de 31 millions de dollars pour le Costume Institute du Metropolitan Museum of Art, établissant ainsi un nouveau sommet dans l’histoire de l’événement.

Thème et exposition

Thème de l’année : « Superfine: Tailoring Black Style », une exploration du dandysme noir et de l’importance du style vestimentaire dans la construction des identités afro-diasporiques.

Exposition associée : L’exposition éponyme, co-organisée par Andrew Bolton et Monica L. Miller, est ouverte au public du 10 mai au 26 octobre 2025 au Met Fifth Avenue.

Diversité des créateurs

Répartition des tenues : Sur les 316 tenues documentées lors de l’événement, 45,9 % ont été conçues par des designers indépendants, tandis que 54,1 % provenaient de grandes maisons de mode.

Origine des designers : Les créateurs noirs ont réalisé 42,4 % des tenues, les créateurs blancs 50,6 %, les créateurs asiatiques 5,7 % et les créateurs latinos 1,3 %.

Genre des créateurs

Répartition par genre : Parmi les designers représentés, 73 % étaient des hommes et 26,2 % des femmes, mettant en lumière une disparité persistante malgré une thématique centrée sur le tailoring, souvent associé à la mode masculine

Célébrités et moments marquants

Présidents de l’événement : Colman Domingo, Lewis Hamilton, A$AP Rocky, Pharrell Williams et Anna Wintour ont co-présidé le gala, avec LeBron James en tant que président d’honneur.

Apparitions notables : La soirée a été marquée par la révélation de la grossesse de Rihanna, la première participation de Stevie Wonder au Met Gala et la présence remarquée de Diana Ross, qui a fait un retour historique sur les marches du Met.

Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.