Dans le second volume de Partages André Markowicz confirme ses goûts et affine ses dégoûts. Un zélé lettré pour qui la finesse n’a pas déserté l’art d’écrire à cause des réseaux sociaux. Partages, volume 2, regroupe les notes d’humeur, d’amour et de traductions publiées sur Facebook de juillet 2014 à juillet 2015.
Partages… Quel meilleur titre pour cet ouvrage auraient bien pu trouver les éditions Inculte et André Markowicz ? Indéfinissable l’objet l’est. À la suite du premier volume, les lecteurs sont conviés à suivre la mise en page et le déroulé sur papier des notes quasi quotidiennes qu’André Markowicz a offert en partage à celles et ceux qui le suivent sur Facebook. Ce n’est pas tant au renouvellement du journal intime de l’écrivain que nous nous voyons confrontés qu’à l’apparition, à l’émergence d’un mode nouveau de partage et d’échange. De participation. Sans aucun voyeurisme, sans jamais tendre vers l’auto-fiction le style léger et profond d’André Markowicz invite en effet à participer à ses réflexions sur la langue, sur les rapports à la fois intimes et universels entre poésie et traduction. Les différents états de langue et toutes les implications qui en découlent, politiques, sociales, économiques sont abordés sans afféteries. Dans l’écriture de Markowicz, c’est une voix humble, posée qui résonne. Celle du travailleur acharné et passionné. Possédé pourrait-on dire, mais d’une passion raisonnable et raisonnée.
C’est une ardeur pacifiée qui s’élève de ces textes, une ardeur qui, que l’on soit ou non d’accord avec les analyses politiques de l’auteur nous élève, nous offre un temps d’une autre trempe que l’actuel. Le « fil d’actualité » qui émerge de Partages donne à méditer un temps d’un autre temps (à venir), d’une autre trempe que celui de Trump, des fake news et de la propagande numérique de faible intensité. Quand André Markowicz analyse, dénonce, démontre ou défend il le fait avec la profondeur de celui qui côtoie chaque heure de ses jours la parole vraie des poètes, de celui qui tâche à toute heure de rendre sans altérer les beautés déchirantes ou exaltantes qu’ont perçus à travers les sonorités de leurs langues des humains que tout, le temps, comme les frontières semblaient séparer. De ceux pour qui les différends ne sont jamais unilatéralement des clôtures alors même qu’il semble toujours que les nationalistes en parlant pour la nation « effacent la nation en parlant d’elle. » (p.51)
On (mais qui est-il cet indéfinissable, sinon ce que chacun est capable d’accepter, d’endurer ?) nous disait que le numérique allait tuer le livre, l’imprimé ? Et si, par un invraisemblable retournement, l’imprimé servait de relais ? D’amplificateur aux échanges et aux partages. Si finalement, au-delà de ces « médias » divers et variés ce qui comptait, avant tout, après tout c’était la/les langues, l’amour pour ce qu’elles portent, transmettent d’indicible qui ouvre à tous les partages. Yiddish, russe, breton, chinois… et français, bien sûr, c’est dans le sillon d’un Armand Robin qu’André Markowicz nous invite. Sa patience, sa minutie, ses questionnements il ose les exposer avec une paradoxale candeur. Qu’il évoque Etkind et Soljenitsyne, le poète Iliazd, Dostoïevski, Pouchkine, le fest-noz et les contes bretons ou le chinois Tu Fu, ses certitudes ne semblent jamais absolues, ses doutes prêts à supporter une précise contradiction.
Et moi, étranger dans mes deux langues, je commençais à l’entendre, et je m’y sentais chez moi… comme si le fait d’entendre le français à travers le russe m’avait donné un lieu. (André Markowicz, Partages, Vol. 2, p. 174)