Pavel Durov contre la France ? Retour sur une affaire judiciaire et géopolitique hors normes

Depuis son arrestation surprise à Paris à l’été 2024, Pavel Durov, le créateur de la messagerie chiffrée Telegram, incarne bien malgré lui un conflit brûlant entre libertés numériques, souveraineté étatique et sécurité nationale. Après plusieurs mois de silence, il a accordé une série d’interviews dont une au Point et une à Tucker Carlson, dans lesquelles il livre une version cinglante de son interpellation qu’il juge motivée par une volonté de faire taire certaines voix politiques en Europe de l’Est.

Un récit sous haute tension : « Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai été arrêté »

Dans son interview au Point, Durov affirme qu’il n’a jamais reçu de réquisition valable des autorités françaises avant son arrestation et que celles-ci ont violé les cadres de coopération prévus par le droit européen. « Les accusations se sont effondrées au fil des semaines. Aucun contenu incriminant ne nous a été signalé officiellement par la France », avance-t-il. Telegram aurait, selon lui, transmis toutes les données accessibles dans le respect des lois applicables.

Il évoque aussi avoir refusé de répondre à Emmanuel Macron lorsqu’il aurait tenté de le contacter à la suite de sa libération. « Le président français n’est pas neutre dans cette affaire », dit-il. En ligne de mire : les élections roumaines et slovaques de 2024, durant lesquelles la plateforme Telegram aurait servi à relayer des discours conservateurs contestés par les gouvernements occidentaux. Durov y voit une tentative de museler des opinions dissidentes en Europe centrale, où l’appli est très populaire.

La réponse des autorités françaises : fermeté et démentis

La DGSE a vigoureusement réfuté les allégations de Durov, les qualifiant d’« approximations fantasques ». Le ministère de l’Intérieur, de son côté, maintient que Telegram n’a pas respecté plusieurs obligations de coopération dans des affaires sensibles, notamment de pédocriminalité et de terrorisme. Un document révélé par BFMTV évoque par exemple la diffusion non modérée de centaines de chaînes néonazies, malgré les alertes répétées des services français.

Mais plusieurs analystes soulignent l’ambiguïté juridique autour de la responsabilité directe des plateformes dans le cadre de la directive européenne sur les services numériques (DSA). Durov, qui n’est ni citoyen français ni résident fiscal, peut-il être jugé pour des contenus qui relèvent, dans certains cas, du cryptage de bout en bout sur lequel il n’aurait aucun contrôle ?

Un bras de fer plus vaste : Washington, Moscou, Paris

Durov évoque également, dans l’interview, des tentatives d’intimidation du FBI dans les années 2018–2021, puis un regain d’intérêt du renseignement français après l’attentat contre un commissariat à Rambouillet, dont les auteurs avaient utilisé Telegram. Il accuse les États occidentaux de mener une guerre silencieuse contre les espaces numériques libres et cryptés, qu’ils ne peuvent ni réguler ni exploiter à des fins sécuritaires. « Je suis un des derniers à refuser le modèle publicitaire, l’espionnage de masse et les alliances avec les gouvernements. Cela me coûte ma liberté », déclare-t-il.

pavel durov telegram

Le combat d’un libertarien dans un monde qui se referme

Depuis sa remise en liberté, Pavel Durov vit à Paris, dans un appartement surveillé, avec interdiction de quitter le territoire. Il continue de diriger Telegram à distance, grâce à une structure offshore et une équipe dispersée entre Dubaï, l’Arménie, et la Suisse. Mais l’avenir judiciaire reste flou : malgré les demandes de ses avocats, la justice française lui a refusé tout déplacement vers les Émirats. Il risque jusqu’à 10 ans de prison et 500 000 € d’amende.

Dans une courte vidéo postée sur X (ex-Twitter), il s’exprime en français approximatif : « Je suis Pavel Durov. J’ai fondé Telegram pour protéger la liberté. Aujourd’hui, c’est elle qui est attaquée. » Si le ton peut sembler dramatique, le cas Durov pose une question de fond : dans quelle mesure un État peut-il contraindre un dirigeant d’entreprise tech — sans précédent, sans jurisprudence — à répondre des dérives d’utilisateurs anonymes et globaux ?

Procès d’un homme ou d’un modèle numérique ?

Ce qui se joue avec l’affaire Durov dépasse le cas d’un milliardaire controversé. C’est l’architecture même d’un Internet transnational, fragmenté entre modèles chinois, américains et libertariens, qui se trouve à l’épreuve. La France, en initiant cette procédure, se veut exemplaire. Mais elle ouvre aussi une brèche : celle où les logiques d’extraterritorialité, autrefois reprochées aux États-Unis, deviennent européennes. Le procès annoncé — s’il a lieu — dira si la liberté de communication peut encore s’accommoder d’un espace de non-soumission algorithmique.

Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.