Récompensé du Most Amazing Game Award – Amaze 2023, le jeu indépendant Player Non Player, développé par Jonathan Coryn avec une bande son d’Agar Agar, sort ce 4 avril 2024. Unidivers avait rencontré Clara Cappagli et Armand Bultheel à l’occasion de leur passage à Rennes en avril 2023. Le duo était alors en pleine tournée après la sortie de son second album, Player Non Player, qui a justement la particularité de dialoguer avec le jeu vidéo. Création visuelle et narration vidéoludique entrent ainsi en écho avec les métaphores du texte et l’immersion abstraite, mais réelle de la musique à la fois pétillante et mélancolique d’Agar Agar.
Agar Agar à Rennes ! La nouvelle avait ravi les fans qui attendaient le duo de pied ferme le jeudi 13 avril 2023 au festival Mythos. Ils et elles sont ressortis du concert des étoiles plein les yeux après une performance sensible, intimiste et envoûtante. Quelques heures plus tôt, juste après leurs balances, on avait la chance de rencontrer Clara Cappagli et Armand Bultheel dans leur loge au parc du Thabor.
Depuis ses débuts en 2016, Agar Agar s’est taillé une place de choix sur la scène française. La musique du duo parisien, une électro-pop langoureuse guidée par la voix profonde de Clara Cappagli, plaît autant aux adeptes de chanson et de pop années 1980 qu’à celles et ceux qui aiment entendre chanter les machines, et parfois pleurer. Leur tout premier single enregistré, « Prettiest Virgin », est un succès tonitruant. Publié quelques mois plus tard, leur EP Cardan leur ouvre les portes des festivals et salles de concert françaises. En 2018, leur premier album, The Dog And The Future, leur vaut une tournée internationale. Mais depuis, hormis un EP de deux titres paru en 2020 et un morceau l’année suivante pour les dix ans de leur label Cracki Records, le groupe s’était fait discret. Les fans sont aux abois.
C’est qu’Agar Agar préparait pour son retour dans les bacs et sur scène un projet ambitieux et en germe depuis bien longtemps. « Il y a environ six ans, quand on faisait notre premier album, on avait déjà l’idée de faire un jeu vidéo, un univers visuel immersif qui aille avec notre musique, comme un clip mais interactif », raconte Armand Bultheel. « On ne peut pas se considérer gamers au sens puriste du terme, mais on a tous les deux eu une histoire avec les jeux vidéo et c’est un medium qui nous intéresse au niveau artistique et des émotions. On a joué à des jeux très différents, mais on se rejoint sur le fait qu’on aime l’immersion », confie Clara Cappagli.
La musique aussi peut être immersive. « Il y a quelque chose d’un peu psyché dans la musique, quelque chose d’impalpable qui peut déclencher des sensations de voyage, provoquer des images par synesthésie », convient Armand Bultheel. L’immersion dans le jeu vidéo se fait quant à elle grâce à sa dimension spatiale et narrative. « C’est un espace virtuel, un medium dans lequel on se balade et duquel on fait l’expérience par l’action », analyse-t-il. Mais bien sûr, « l’un et l’autre se soutiennent beaucoup ». « La musique est souvent une composante importante des jeux vidéo. Ça rajoute un aspect émotionnel », rappelle Armand.
Avec cette idée en tête, le duo se tourne vers le développeur Jonathan Coryn, un ancien camarade de classe de l’École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, où se sont rencontrés Clara Cappagli et Armand Bultheel. Devant l’ampleur du projet, la création du jeu est reportée à un album ultérieur, laissant à Jonathan Coryn le temps de construire l’univers du jeu au titre énigmatique, Player Non Player (littéralement joueur non joueur). Celui-ci est paru en version bêta le 20 janvier 2023, en même temps que l’album homonyme d’Agar Agar, avant une sortie définitive en septembre.
« Après avoir créé votre avatar, vous serez libre de parcourir une île comme bon vous semble. Vous serez amené à rencontrer quatre personnages énigmatiques, vivant ensemble dans une villa. Apprivoisez-les et comprenez progressivement leurs désirs afin de débloquer des cinématiques interactives avec la musique du groupe Agar Agar. Arriverez-vous à aider ces personnages pour qu’ils puissent enfin partir en paix ?
Player Non Player est un jeu qui traite du deuil et de la mort à travers un gameplay intime et surprenant. Le jeu fait la part belle à la narration via ses PNJ [personnages non-joueurs, ndlr], avec un mélange entre un puzzle game et un dating sim, alors que vous explorez un open world avec une atmosphère mélancolique. » (extrait du À propos de ce jeu)
La difficulté d’un tel projet transmédia est de ne pas assujettir un medium à l’autre, mais plutôt de les faire véritablement dialoguer. « On ne voulait pas tomber dans l’exercice de la bande originale de jeu vidéo », explique Armand Bultheel. Ce dernier a certes créé le fond sonore du jeu, un travail qui relève de l’illustration par la création d’un environnement sonore, « mais les morceaux de l’album ne sont pas traités comme une bande originale, ils sont liés mais indépendants », précise Clara Cappagli. En fait, les morceaux de l’album s’insèrent dans le jeu sous forme de cinématiques interactives qui sont autant de récompenses à chaque objectif rempli.
Ainsi, les situations du jeu servent de point de départ à la musique d’Agar Agar. « Ça nous a donné des clés narratives, des idées de concept, des prétextes pour faire des métaphores qui peuvent parler d’autre chose », explique la chanteuse qui se plaît à écrire de manière très imagée. « Le principe était de prendre certaines des contraintes du jeu pour nous aider à créer et, en même temps, s’en émanciper assez vite pour créer un contenu artistique autonome sur lequel Jonathan Coryn puisse rebondir en développant le jeu », résume Armand Bultheel. « Parfois, Jonathan avait l’idée d’un personnage, Clara écrivait un texte en s’inspirant du personnage et ça permettait à Jonathan de développer le personnage dans ce sens », illustre le musicien.
Aussi, dans Player Non Player, ce sont deux propos artistiques qui s’entremêlent. La question du deuil qui habite la création de Jonathan Coryn rencontre la résolution de se confronter à ses émotions qui anime les textes de Clara Cappagli. « C’est un album qui parle de colère, de tristesse. J’ai vécu des choses sombres ces dernières années, un procès avec notre label, le Covid, et on ne s’est pas vus pendant très longtemps avec Armand parce qu’après notre dernière tournée, on a mis du temps à se reconstruire. Dans nos morceaux précédents, je me détachais volontairement des émotions que je ressentais, je le fais moins dans cet album », confie-t-elle.
Et effectivement, ce nouvel album d’Agar Agar se révèle plus introspectif, mental, moins sautillant que le précédent, démontrant que la gravité n’enlève rien à l’élégance chaloupée de leur musique. « Ça vient aussi du fait que pour la première fois on composait tous les deux de notre côté, avec chacun son intimité », affirme Clara Cappagli. Cette intimité a permis de mieux se confronter à ses émotions pour les exorciser dans la composition et l’écriture. Vous savez, cette soupape de décompression qu’ont les artistes. Quand ils ou elles en viennent à bout, la chanson, le tableau ou toute création devient un genre de totem, comme une récompense personnelle pour avoir affronté ses émotions. Et de la même manière, dans le jeu développé par Jonathan Coryn, les chansons d’Agar Agar sont des récompenses obtenues pour avoir aidé les personnages coincés dans un purgatoire virtuel à accepter leur mort et à partir en paix.
Cette idée d’affronter ses émotions, le deuil, offre une caisse de résonance au titre de l’album et du jeu vidéo, Player Non Player. Variante de l’expression consacrée dans le domaine vidéoludique PNJ, personnage non joueur (en anglais NPC, non playable character), il évoque aussi la question philosophique posée par William Shakespeare dans Hamlet, « être ou ne pas être ». Celle-ci renvoie au choix d’agir ou non face à une situation tragique et donc d’accepter ou non le grand jeu de la vie.
Les clips de l’album parus à ce jour illustrent et prolongent ces réflexions. Celui de « Trouble » montre la fuite éternelle et vaine d’un territoire imaginaire, jusqu’à ce que se présente au personnage une clé de compréhension de sa présence en ces lieux. Celui de « It’s Over » montre un autre enfermement, dans des mondes virtuels, qui aboutit à une plongée, plutôt une perte de pied, dans un doute ontologique profond, où l’on peine à voir la surface. « Est-ce que je fais partie d’un monde de figurants, est-ce que je suis moi-même un player ou un non player ? », résume Clara Cappagli.
La douleur a ceci de paradoxal qu’elle nous fait parfois, en nous poussant à nous engouffrer dans des paradis artificiels, bulles fragiles, perdre de vue le réel. La musique a ceci de thérapeutique qu’elle nous fait, par le détour des émotions, retrouver le chemin du réel. Finalement, cette double création qu’est Player Non Player, jeu vidéo de Jonathan Coryn et album musical d’Agar Agar, illustre l’incessante bataille du réel et du virtuel pour l’esprit et le cœur humain.
Le jeu est disponible dès maintenant sur PC et Mac pour 9,99€ : pour en savoir plus sur le jeu vidéo