Avec ce magnifique roman noir, Dominique Maisons nous emmène dans les coulisses d’Hollywood en 1953. Glaçant et époustouflant. Cela sent la clope. Le sexe. Le vice. Le fric. Bref, disons le crûment : cela pue.
Nous sommes en 1953 du côté d’Hollywood, de ses starlettes et de ses magnats aux gros cigares, de ses décors en carton pâte. Derrière les ranches en contreplaqué, les fontaines en stuc, les sourires sur papier glacé, c’est un jeu mortel qui se joue. Celui du fric et du pouvoir. Pendant que John Wayne montre la grandeur de l’Amérique en chassant les Indiens sur le grand écran, Mickey Cohen et la mafia tirent les ficelles d’un spectacle qui, en cette période de Maccarthysme et de pudibonderie, joue en permanence entre l’hypocrisie et l’intérêt national.
Les ligues de vertu catholique censurent le décolleté trop profond, mais les apprenties actrices sont obligées de coucher pour obtenir un rôle. Dominique Maisons nous entraîne, derrière ces apparences, derrière les couvertures de magazine et les affiches colorées. C’est dans ce contexte, et alors qu’apparaît la menace de la télévision, que débute le roman : l’armée décide de s’immiscer dans la production cinématographique afin de donner une image positive d’une Amérique idéalisée.
Le major Chance Buckman a pour mission de briser l’hégémonie de la mafia et de faciliter l’émergence de nouveaux producteurs plus obéissants idéologiquement. Recherche de fonds, d’acteurs et d’actrices, achats de ligues de vertu, tout au long d’une vaste fresque splendide, somptueuse et noire, l’auteur nous emmène dans les bas fonds des productions hollywoodiennes où le Technicolor naissant cache le noir et blanc des âmes humaines. On va se rendre dans les grandes maisons de stars, prendre un verre dans une soirée avec Errol Flynn ou observer la grande carcasse de Gary Cooper chez Cecil B. DeMille. On va apprendre beaucoup de choses sur ces personnages que l’on voit en collant vert et souriant dans Robin des Bois, mais profondément dépressifs et alcooliques dans la vraie vie.
En les observant dans leur vie privée, ces acteurs apparaissent alors comme des marionnettes dont la mafia ou l‘église catholique tirent les ficelles. Ce sont un producteur cynique et pervers, un militaire parieur invétéré, un prêtre immoral, une apprentie starlette misérable, qui sont les véritables acteurs pathétiques de ce récit aux multiples rebondissements où chacun se méfie de l’autre, se rencontre, se quitte et se retrouve tout au long d’une histoire haletante et maîtrisée. Chaque chapitre plante à merveille un décor nouveau et la description des personnages nous les fait apparaître vivants comme sur le grand écran.
On sent la transpiration sous les chemises collées au corps, on respire la fumée des cigarettes dans les boîtes à strip-tease, on frissonne devant le flacon d’acide frôlant un visage. Les excès de cruauté et de cynisme, le récit très cinématographique nous font penser à une mise en scène de Quentin Tarantino, six décennies plus tard, dans sa folie et sa démesure. Tout sonne vrai et l’on devine derrière l’outrance, un long et minutieux travail de recherches sur ces années noires des États Unis. En refermant l’ouvrage, on ne peut que penser à Harvey Weinstein et aux soixante-dix années nécessaires pour que le sort des femmes dans l’industrie du cinéma commence à changer. Un long chemin que, dans un cadre totalement romanesque, Dominique Maisons nous invite à parcourir.