Boucq et Jodorowsky sont de nouveau réunis pour ce nouvel épisode de Bouncer, l’un des plus sombres et des plus réussis de la série « Hécatombe » parue aux éditions Glénat.
Hécatombe : « Massacre d’un grand nombre de personnes ou d’animaux ». S’il est un album qui mérite et justifie son titre c’est bien ce douzième opus du manchot videur chargé de la sécurité du saloon l’Infernio. Sans aucune étude statistique à l’appui, le lecteur fidèle doit pouvoir affirmer qu’aucun album de la série n’a vu autant de meurtres, de violences que dans cet épisode. Même les lieux mythiques n’échappent pas à la destruction d’un univers en train de se liquéfier sous les torrents de pluie incessants qui inondent les premières pages et Barro-City, la petite ville sous tension depuis le dépôt à la banque de dizaines de lingots d’or, récupérés au Mexique par le Bouncer dans les deux albums précédents. Ce trésor, isolé du monde par les conditions météorologiques, va attirer les bandits de tous genres, naïfs et vulnérables, facilement abattus, ou d’autres plus cyniques et machiavéliques, qu’il faudra démasquer derrière leurs costumes de militaires. Dans la nuit omniprésente et les ciels sombres, éclairés juste par les explosions et les coups de feu, Jodorowsky, qui revient au scénario après les deux albums de « L’échine du Dragon » assurés par le seul Boucq, raconte un huis clos étouffant d’une ville animée par la haine et le désir de justice immédiate. On tue, on pend, on massacre dans l’ouest américain sans jugement, ou avec un simulacre de cour de justice.
La population, foule compacte et anonyme, est terrifiante et le déluge céleste s’accompagne d’un déluge de haine. C’est le horsain qui fait peur parce qu’il est prestidigitateur et magicien, parce qu’il est noir comme ces soldats de la cavalerie américaine appelés pour assurer la protection du coffre fort aux lingots, barres d’or qui vont finalement disparaître. Tout est en trompe-l’œil, les personnages comme les trésors et il faudra que le soleil revienne sur la ville mais aussi sur ces environs pour que les vérités apparaissent, loin des rues embourbées et mensongères. L’histoire un tantinet alambiqué vous incitera à reprendre, comme tout bon polar, la lecture depuis le début après avoir découvert le dénouement. Une nécessité pour envisager les personnages sous un angle différent. On saura donc gré à l’éditeur d’avoir choisi la parution en un seul tome pour conférer à ces 140 pages une lecture globale indispensable. Dans la tourmente, seul Bouncer, aux traits impassibles, ne change pas et ne dissimule rien sauf peut être l’amour qu’il ressent pour Lin Yi. Taciturne, fuyant les réalités trop cruelles dans l’opium, ces souffrances sont taiseuses et sourdes.
Boucq, aux dessins exceptionnels, nous a habitués aux paysages minéraux, ouverts sur l’infini. Cette fois-ci, il se confine essentiellement aux rues glauques et aux intérieurs menaçants, une attaque de diligence constituant la seule ouverture, meurtrière quand même, d’une première partie étouffante. La pluie incessante se glisse partout, on la sent même dans les scènes de saloon, où l’eau des capes et des bottes dégouline sur les parquets. Le déluge et la haine inondent simultanément les rues et les personnages, emportant tout sur leur passage dans une atmosphère de fin du monde. Il manque juste ces magnifiques double-pages qui éclairaient certains des tomes précédents de leur splendeur. Trop lumineuses sans doute.
Il reste peu de choses à la fin de l’ouvrage. Même des personnages historiques ont disparu, comme si Jodorowsky, âgé de 94 ans, voulait faire table rase des épisodes précédents pour s’offrir de nouvelles perspectives. Ou pour clore définitivement les aventures d’un personnage sombre et désespéré.