Et si les héros des westerns étaient des héroïnes ? Avec ce remarquable premier opus, Bocquet et Anlor, nous invitent avec humour à découvrir l’Ouest américain autrement.
C’est bien un album western. Un charriot de pionniers est attaqué par les Indiens. Dans le saloon les cow-boys avinés jouent leur paie sous le regard de vieilles prostituées blasées et décharnées. Une silhouette noire d’un mercenaire mexicain menace la ville. Certes, mais les temps ont changé. Les codes aussi.
Alors le shérif, loin du regard viril de John Wayne, est un pleutre garçon, maigrichon et peureux. Les hommes de main sont plutôt fébriles et faiblards devant la violence. Et les Sept Mercenaires sont devenues Cinq Ladies, sans armes, quoique, mais tellement efficaces. Ce sont elles les héroïnes, elles qui remplacent les habituels héros. Elles sont cinq comme les cinq doigts de la main : complémentaires et indispensables. Les voilà rapidement avec par ordre d’apparition : Katleen, une anglaise de « bonne famille » comme on dit alors, venue chercher avec son mari l’or de l’Ouest américain. Elle est un peu … décalée. Ensuite, Abigail, une très jeune Amérindienne, qui a voyagé en faisant rouler sa cage dans laquelle elle a été emprisonnée. Émouvante et déterminée. Et puis il y a Chumani, une Amérindienne, seule rescapée de sa tribu, qui tire à l’arc avec une précision diabolique. Mystérieuse et partagée. La quatrième, plus âgée mais terriblement humaine se dénomme Daisy, une ancienne institutrice irlandaise, à qui il ne faut pas la faire. Enfin, surgie de dessous la couverture d’un charriot, la noire et mystérieuse, Cassie, « pourvoyeuse de plaisirs », lasse de regards lubriques des hommes en mal de jouissance. Lucide et un brin cynique. Cinq caractères dans cinq physiques opposés, qui remplacent avantageusement Yul Brynner, Steve McQueen ou Charles Bronson.
À travers l’histoire de leurs rencontres improbables dans cette mythique conquête de l’Ouest, Olivier Bocquet, grâce à un scénario original et virevoltant, déconstruit malicieusement les mythes masculins de l’épopée américaine par l’humour, en jetant un regard amusé sur ces petits bonhommes au révolver facile, mais au courage déliquescent. Ils ont de la gueule ces hommes attablés devant leur verre de whisky, mais ils serrent les fesses quand nos cinq dames se rebellent et font tout exploser dans la ferme de Daisy. Ces cinq femmes racontent aussi les avatars d’une conquête moins noble que le récit officiel américain.
Une esclave violée, une Indienne orpheline, une prostituée désabusée qui savent aussi à leur manière se défendre et montrent à l’occasion des qualités que l’on ne prête habituellement qu’aux seuls hommes. Avec un bonus : elles manient, volontairement ou non, en plus de l’arc, du balai ou de la dynamite, un humour ravageur, qui peut éclabousser de sang les plus dangereux des mercenaires. Elles retournent contre la bêtise de leurs agresseurs leurs propres forces et n’acceptent pas d’être victimes consentantes de la brutalité. À ce scénario original et tonitruant, il fallait un dessin aussi pétaradant. Anlor fait exploser les pages, alternant planches classiques avec des cases qui éclatent comme des éclats de verre sous l’effet de la dynamite. On en prend plein les yeux et il faut vite tourner les feuillets pour éviter de recevoir un éclat de verre. Cinq femmes qui défraient la chronique, bouleversent l’ordre des choses et finalement finissent recherchées sur les célèbres affiches « Wanted ». Alors, après ce premier album très réussi, le lecteur n’a qu’une envie, celle de rapidement les retrouver, mais libres. Libres de nous faire sourire et de nous faire rêver dans de nouvelles aventures.