Avec Mezkal, à paraître aux éditions Soleil le 5 janvier 2022, Kevan Stevens et Jef nous emmènent dans un road movie mystique et initiatique empreint de violence colorée à l’extrême. Sérieux ou sensible s’abstenir.
Ça déménage comme un film de Tarantino. Ça éclabousse de sang, rouge écarlate comme la pèlerine du père Noël. Les têtes roulent sur le sol telles des boules tombées d’un sapin de Noël. Les cadavres succèdent aux cadavres. Les tronches de malfrats massacrent les regards d’autres truands. Il y a un gang de bikers, un gang de dealers, un gang tout court. Et, au-dessus de la mêlée, les cases explosent, éclatent les pages comme des fragments de verre brisé, procurant une distance humoristique à une réalité glauque et horrible. C’est qu’entre El Paso, aux 30 000 clandestins, et de l’autre côté de la frontière, Ciudad Juarez, au statut de ville mexicaine « la plus dangereuse du monde », la poésie n’a guère sa place même pour un « héros » qui répond à l’étrange prénom de Vananka, et décide après la mort de sa mère, qui lui laisse une dette de 31 000 dollars, de prendre la route avec sa seule guitare comme compagne à la recherche de lui même et peut-être de son père disparu vers un ailleurs inconnu.
Mezkal devient un road-movie où la violence et le sexe s’imposent sur la route tourmentée de l’existence. Le jeune homme va rencontrer une femme au sang indien, Leila, son grand-père, un chaman aux pouvoirs étranges et tant d’autres êtres malveillants. Et même un enfant aux yeux vides de couleurs et de vie. On se balade dans l’Amérique des campagnes, des déserts, des boîtes à strip-tease, dans les coins paumés d’un pays fantasmé où Trump est bien présent même à travers des affiches moqueuses.
Les camions sont énormes et rutilants, les motos pétaradantes et omniprésentes et le lecteur s’embarque dans un parcours entre les stéréotypes de l’Amérique profonde et les contes fantastiques d’une science fiction débridée. Seules quelques pages monochromes ou pleines de rêveries et de paysages proposent un peu de repos et de remise en forme avant de reprendre la route.
On retrouve le dessin de Jef qui avait illustré Géronimo avec Matz au scénario, privilégiant les scènes de bagarre, de violence et les visages grimaçants placés en gros plan de face à face. Le trait est énorme, exagéré, permettant de franchir la limite de l’insupportable vers l’humour décalé. Dans cet univers glauque où règne le Mal absolu, Vananka avec sa cravate et sa chemise blanche fait office de « bon gars » dans un immense panier de crabes. Il cherche tout simplement l’amour ! Et ses rêves terrifiants annoncent ses mésaventures. Sur le thème bien connu de l’errance et de la quête de sens d’une vie, il suffit de se déconnecter de la réalité, d’abandonner ses repères, pour apprécier cette virée aux allures fantastiques et mystiques. La couleur saute aux yeux comme un récit irrationnel qui est tout, sauf un conte de Noël.