Avec sa BD Opération Copperhead Jean Harambat raconte une histoire incroyable de désinformation pendant la Seconde Guerre mondiale. Incroyable, mais vrai. Et jubilatoire !
« Copperhead » ? Il s’agit d’un serpent de « la famille des vipéridés. Il attire ses proies en agitant sa queue brillante et colorée ». On pourrait résumer en disant qu’il s’agit d’un leurre. On peut ajouter que l’opération Copperhead se situe en Angleterre en 1943 et intuitivement vous devinerez aussitôt qu’il s’agit d’une opération des services secrets pour tromper l’ennemi. Si l’on continue un peu la réflexion, on comprendra que ce nom évoque un leurre relatif au lieu du débarquement qui aura lieu finalement en Normandie. Opération « Fortitude » me direz vous ? Eh bien non. Dans sa BD Opération Copperhead Jean Harambat s’est attaché à une opération moins connue, et au final moins efficace, une opération qui consistera à créer un sosie du Général des Forces alliées, Montgomery, à le promener un peu partout en Afrique du Nord, pour convaincre les nazis d’un débarquement sur ce continent.
Cette histoire loufoque et incroyable, le dessinateur Jean Harambat la raconte en s’appuyant pourtant sur les autobiographies réelles des trois protagonistes essentiels. Le premier est l’acteur David Niven à la nonchalance malicieuse et charmeuse qui décide de quitter Hollywood pour défendre son pays, « le seul acte dépourvu d’égoïsme que j’ai accompli dans ma vie ». Le second est Peter Ustinov, le futur Hercule Poirot de « Meurtres sur le Nil ». Le dernier est de nos jours moins connu : Clifton James, être désarmant de faiblesse, de sincérité qui à la demande de Dudley Clarke, chef de la désinformation, se verra confier par les deux acteurs le rôle de doublure de Montgomery à qui il ressemble parfaitement.
Une nouvelle fois la réalité se révèle plus invraisemblable qu’une possible fiction. Jean Harambat nous avait séduits avec « Ulysse, Les Chants du retour », BD dans laquelle il racontait le retour du Héros à Ithaque en introduisant dans le récit des interventions contemporaines d’historiens ou de philosophes. Il conserve dans l’« Opération Copperhead » le talent de raconter par bribes et par chapitres des situations complexes en évitant le pur récit chronologique. On retrouve ici aussi le talent du dessinateur qui avec quelques traits légers et fins donne des portraits magnifiques de Churchill plus vrai que nature ou d’un Montgomery au visage si caractéristique et aux oreilles inégalées. Ce trait est valorisé par une mise en couleurs sublime d’Isabelle Merlet qui par le jeu de contrastes met en lumière l’essentiel : l’humour, le caractère fanfaron d’une opération improbable et loufoque.
La légèreté prédomine et on se demande avec le dessinateur si quelqu’un se prend au sérieux dans cette histoire. Tout relève de la farce et l’on est sans cesse pris avec plaisir dans un jeu de miroirs, entre répétitions théâtrales, représentations cinématographiques, entre réalité et fiction, entre entraînement et mise en situation réelle. Après la guerre, tournant son histoire, le pauvre sosie de Montgomery a de quoi, comme le lecteur, être pris de vertige, lui « qui avait joué Monty, se jouait lui-même jouant Monty, et jouant en même temps l’homme qu’il avait incarné ». Clifton James méritait bien cette mise en lumière, qui n’épargne certes pas ses faiblesses, mais met en valeur le portrait des deux exceptionnels acteurs que furent Niven et Ustinov. Leurs noms figurent sur la couverture comme sur l’affiche d’un film et le talent indiscutable de Harambat et de les faire revivre. Impertinents, lucides sur eux-mêmes, ironiques sans être cyniques, ils commentent leur mission avec désinvolture et des propos dignes d’Audiard : « Tomber amoureux d’une femme pareille autant mettre son pénis sur une enclume » ou « Une femme de la tête aux pieds en passant par les deux hanches ».
On ne s’ennuie pas une seconde à la lecture de la BD Opération Copperhead de Jean Harambat qui réserve bien entendu quelques surprises dans les dernières pages…comme toute bonne histoire. L’humour est omniprésent, ce qui est bien normal pour des acteurs anglais. Il ne manque juste en sourdine que la musique de La Panthère Rose.