Les admirateurs inconditionnels, quel que soit l’objet de leur adulation, brillent rarement par leur objectivité. Ils s’accordent un rôle de gardien du temple et de préservateurs d’une certaine tradition qui ne supporte aucune contradiction et certes pas une critique.
Si vous appliquez cette remarque au domaine politique, par exemple, les fans du général de Gaulle n’accepteront jamais la moindre remarque sur ce personnage taillé aux dimensions de l’histoire. Dans le domaine lyrique, les admirateurs de Maria Callas repousseront avec mépris tout ce qui pourrait ressembler à une réserve sur telle ou telle interprétation de la diva. Pourquoi devrions-nous donc être surpris qu’il en soit de même pour les admirateurs de cet auteur de bandes dessinées belge Edgard P. Jacobs, créateur des très fameux « Blake et Mortimer ».
En effet, bien des années après son décès, ses ouvrages ont continué de susciter une réelle admiration par la perfection de leur fond comme de leur forme, à telle enseigne que des dessinateurs et scénaristes contemporains ont décidé, en respectant la charte graphique, de faire vivre aux deux héros de Jacobs, de nouvelles aventures.
Qu’est-ce qui peut expliquer la réelle qualité des productions de Jacobs ? Seule la lecture de ses albums vous permettra d’apporter une réponse, il est cependant possible d’extraire un certain nombre de lignes directrices…
1 – un scénario toujours remarquable de précision. Si d’aventure tel ou tel détail retient votre attention, ce n’est jamais par hasard et après un long développement, l’explication vous est apportée de manière lumineuse.
2 – l’exactitude de l’argumentation. Les notions d’aéronautique qui accompagnent la création de l’espadon, les rappels historiques du mystère de la grande pyramide comme les remarques en Japonais des trois formules du professeur Sato, tout est rigoureusement exact. C’est chez Jacobs une véritable marque de fabrique.
3 – l’installation systématique d’un climat ou le surnaturel, le mystère, la magie sont présents, chacun calque son propre imaginaire et Jacobs nous entraîne dans des réflexions ou tous se perdent en conjectures.
4 – un graphisme et des couleurs qui rendent parfaitement le côté « very British » et servent l’ambiance particulière que Jacobs ne manque jamais de créer.
5 – l’insertion de chaque création dans l’histoire globale. L’intervention assez adroite de personnages déjà cités précédemment, l’allusion à des lieux, des bâtiments, des événements évoqués dans les albums précédents. Tout concourt à ancrer chaque nouvelle aventure dans le contexte de Blake et Mortimer. Chaque album est le fruit d’un travail minutieux puissamment soutenu par des textes prolifiques.
Dans le cas qui nous intéresse, le challenge est encore plus périlleux. Ecrire une suite à la fameuse « Marque jaune », sans doute le plus abouti des épisodes de nos duettistes londoniens. Ce n’est à n’en pas douter une véritable gageure. Il est certain que les multiples exégètes et autres thuriféraires avertis allaient attendre au tournant les créateurs de ce nouveau volet, à savoir : Jean Dufaux, Antoine Aubin, Etienne Schrèider.
Si l’on fait une analyse du nouveau volume en utilisant la clef proposée précédemment, la première remarque qui vient à l’esprit est que le scénario, même si l’on constate un véritable effort pour coller à l’ambiance Blake et Mortimer, pèche encore par imprécision ou par manque d’exploitation des idées proposées. Quid de la mystérieuse Lilly Sing ? Ce personnage énigmatique ne fait qu’une brève apparition, nous découvre ses coupables intentions et nous laisse sur notre faim. Pire encore ! Lors de la découverte du vaisseau spatial dans les sous-sols de l’entrepôt de southwark, la présence du pilote en suspension dans l’air laisse présager quelque chose de sensationnel. Les questions resteront posées.
Le graphisme du vaisseau qui s’inscrit totalement dans la lignée de S.O.S. METEORE nous avait encore rapproché de la perfection « façon »Jacobs et là encore, l’idée n’est pas suffisamment exploitée.
Quel est réellement l’argument de cette « onde Septimus »…Un groupe d’originaux et de savants douteux a donc réussi à remettre en fonction le télécéphaloscope, appareil inventé par le professeur Septimus, qui permet de contrôler les ondes cérébrales.
Pour des raisons qui apparaîtront au cours du récit, les personnes affectées par l’onde lors du premier volume connaissent de nouveaux troubles, et particulièrement celui qui reste le personnage central de cette saga, le trop fameux Olric. Pour l’occasion il redevient « Guinea pig », c’est-à-dire cochon d’Inde ou pour respecter le sens souhaité, un cobaye.
Nous voici donc plongés dans une atmosphère de fantasmagorie et de suspense qui colle parfaitement à l’ambiance recherchée par les « fans ».
La grande nouveauté est, bien sûr, de le voir s’associer au professeur Mortimer pour combattre cette menace, union parfaitement contre-nature et qui ne manque pas de donner du piquant à ce nouvel opus. Tout cela va plutôt dans le bon sens et la très déroutante intervention d’avatars fantomatiques de Septimus nous laisse perplexes et sur les dents. Apparaissant pour la première fois à Nassir puis se multipliant à l’envi sans explication ils contribuent à nous plonger dans une confusion de bon aloi.
Pour ce qui est des lieux et des personnages, aucun problème, le contexte est très bien respecté et la filiation avec le premier volume réalisé presque 75 ans avant est vraiment évidente. Pour la mise en page et les couleurs, même remarque, on se trouve bien en présence d’un Blake et Mortimer « pur sucre ».
Au fur et à mesure des créations, il semble donc que l’on s’approche de plus en plus de la perfection « façon Jacobs » et c’est une chose heureuse. Personne ne demande aux scénaristes et dessinateurs de réinterpréter ou de revisiter, mode des plus ennuyeuses, l’œuvre de Jacobs, mais bien au contraire d’en respecter parfaitement les codes pour créer une véritable continuité.
C’est sans doute pourquoi on regrettera l’absence de l’image finale quasi héroïque, accompagnée de son inévitable discours dithyrambique, merveilleusement ringarde, totalement « kitch »…et pourtant indispensable!
Blake & Mortimer Tome 22 l’Onde Septimus, 6 décembre 2013, 72 pages, 16€
Jean Dufaux (Auteur), Antoine Aubin (Illustrations), Étienne Schréder (Illustrations)