La décision a suscité beaucoup d’émoi. Malgré la renommée du whisky Glann Ar Mor, Martine et Jean Donnay devaient fermer leur distillerie de Larmor Pleubian. Les amateurs de whisky peuvent se rassurer : elle ne mettra finalement pas la clef sous la porte. La raison de cette (in)décision ? L’instauration d’une nouvelle Indication Géographique Protégée « Whisky Breton » incompatible avec leurs méthodes de production et la conservation d’un produit authentique et singulier. Une affaire complexe, dont les ressorts sont encore à démêler…
Glann Ar Mor avec le temps était devenu plus qu’une distillerie, un symbole aussi de maitrise, de caractère et d’exigence de qualité. Créée en 1997 sur la « Presqu’île sauvage » de Pleubian, au cœur des éléments, Martine et Jean Donnay y font d’abord vieillir des eaux-de-vie venues d’Écosse, le temps d’acquérir un savoir-faire précieux et de concevoir leur propre whisky. En 2005, après neuf ans de recherche, d’expérimentation et d’alchimie, Jean conçoit enfin sa première eau-de-vie. Naît le Glann Ar Mor, puis son cousin tourbé le Kornog et d’autres encore, mais toujours avec ce souci de qualité et d’authenticité, sans concession aucune à la facilité. Le succès du Glann Ar Mor ne s’est ensuite jamais démenti, du moins jusqu’au 1er juillet dernier et ce communiqué sur la page Facebook de la compagnie. La distillerie Glann Ar Mor ne devait plus jamais remplir de fûts…
L’affaire était regrettable, mais elle semblait être close. Pourtant, un dernier rebondissement est survenu le 24 juillet dernier avec un communiqué publié sur la page Facebook de la distillerie. Jean Donnay y répondait aux propos tenus par le directeur de l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité) dans un article de L’Express Tendance. Une réponse à laquelle, semble-t-il, l’Institut fut sensible. En acceptant, une semaine plus tard, de revenir sur le projet controversé d’IGP, il permet – soulagement général – à la distillerie de ne pas fermer.
La genèse d’un refus
Pour bien comprendre l’affaire, il faut remonter à 2008. La réglementation européenne du 15 janvier sur les spiritueux mentionne pour la première fois l’appellation « Whisky Breton », et permet à toutes les distilleries bretonnes d’afficher fièrement l’origine de leurs produits sur les étiquettes. Sauf que rien ne définit alors ce qu’est ou n’est pas un whisky breton. Quelles caractéristiques ces spiritueux pouvaient-ils avoir en commun ? Un projet d’IGP est donc mis sur la table pour tenter de combler ce vide et valoriser les Blends et Single Malt bretons. Ravies de l’initiative, les distilleries de Bretagne se réunissent l’année suivante et après quelques concessions parviennent à un cahier des charges commun, une véritable définition du Whisky de Bretagne.
Il n’était pourtant pas dit que la concertation aboutisse tant les distilleries bretonnes se distinguent les unes des autres, par la singularité de leurs produits et leurs méthodes de production. Warenghem, la Distillerie des Menhirs, Glann Ar Mor et Kaerilis revendiquent toutes des philosophies et des conceptions différentes du Whisky. En termes de ventes, les deux premières tiennent le haut du panier. Warenghem, plus ancienne distillerie de Bretagne, est aussi celle qui dispose de la clientèle la plus large, produisant aussi bien des Blends que des Single Malt. La Distillerie des Menhirs, deuxième de la région, se loge, quant à elle, sur un créneau particulier puisque son Whisky, Eddu, n’est pas produit à partir d’orge, mais de blé noir. Enfin Glann Ar Mor et Kaerilis, micro-distilleries respectivement situées sur la presqu’île de Pleubian et à Belle-Île, proposent des créations plus singulières, mais en quantités plus limitées.
Sauf qu’en 2011, alors que l’on exige des distilleries de revoir leurs critères pour trouver un dénominateur commun à tous leurs whiskies, il est devenu impossible d’y voir clair. La Distillerie des Menhirs, Kaerilis et Glann Ar Mor se mettent alors d’accord pour en rester là et signifient par deux lettres chacune leur refus à l’INAO de poursuivre les procédures devant mener à l’IGP recherchée. Un refus que ne pouvait se permettre David Roussier, directeur de Warenghem alors que la prochaine révision du règlement européen sur les spiritueux et l’absence de ladite IGP l’auraient contraint à renommer certains de ses produits, les Blends WB-Whisky Breton et Breizh Whisky. Début 2014, il fonde donc le Syndicat de Défense du Whisky Breton, et engage une nouvelle démarche auprès de l’INAO en faveur d’un nouveau cahier des charges pour enfin définir l’IGP controversée.
Fermeture pour cause d’IGP (controversée)
À la suite de quoi, les versions divergent ; et il devient difficile de démêler le vrai du faux. Aux dires de Jean Donnay, les distilleries bretonnes se sont vues notifier en mars 2014 la décision de l’INAO de poursuivre les démarches menant à la validation de l’IGP ; et ce, sur la base du cahier des charges sur lequel ils s’étaient accordés quelques années plus tôt, mais cette fois-ci remanié par David Roussier. Celui-ci reconnait bien quelques modifications « pour la forme », parmi lesquelles l’inclusion du blé noir parmi les céréales pouvant rentrer dans la composition dudit Whisky Breton ; une décision qui a permis à la Distillerie des Menhirs de rallier l’IGP et la cause de David Roussier.
Mais ne pouvant influer sur le cahier des charges, Jean Donnay et son collègue Fabien Mueller, directeur de la distillerie Kaerilis, ont annoncé ne pas adhérer à la nouvelle IGP. Ce qu’ils lui reprochent ? Son manque d’ambition, car le nouveau cahier des charges laisse toute sa place à une production industrielle et standardisée. Manqueraient ainsi l’interdiction d’ajouter des colorants industriels (E150a), de filtrer « à froid » (méthode qui permet certes d’obtenir un produit plus lipide, mais aux prix de la perte de nombreuses notes aromatiques) ou encore l’interdiction de toute réduction à l’eau des whiskies de plus de 40%, des précisions pourtant incorporées dans le cahier des charges de l’IGP Whisky Alsacien, publié simultanément à celui de son homologue breton. De fait, l’IGP Whisky Breton regrouperait sous une même appellation des spiritueux industriels et des créations artisanales. Impensable pour des distilleries comme Glann Ar Mor ou Kaerilis, qui misent avant tout sur leur savoir-faire et sur la qualité de leurs whiskies.
Mais surtout, il y a ces précisions concernant les alambics utilisés et qui rendent illégales ces colonnes à plateaux en cuivre que Jean Donnay a lui-même dessinées et devenues indispensables à la singularité de ses produits. S’ajoutent encore les restrictions quant aux céréales utilisables pour adhérer à l’IGP. Car seule l’orge maltée est désormais admise pour produire un Single Malt Breton, une décision inopportune pour Jean Donnay qui venait tout juste de commercialiser un nouveau whisky, l’Only Rye, un single malt de seigle, difficile à produire, mais sur lequel la distillerie comptait pour se développer. Apatride alors l’Only Rye ? Oui, car avec la nouvelle IGP, impossible pour le whisky de s’afficher breton.
Devant ces dernières précisions, Jean Donnay a dû choisir. Soit adhérer à l’IGP et perdre l’appellation Single Malt de ses whiskies (avec un impact loin d’être négligeable sur le prix de ses bouteilles), soit la refuser et perdre la qualification de « Whisky Breton » avec l’interdiction même d’afficher la carte de Bretagne sur ses étiquettes. À la distillerie de Pleubian, on sait que même sans appellation d’origine, le Glann Ar Mor continuera de trouver vendeur en France, car le whisky dispose désormais d’une belle renommée et d’une clientèle fidèle. Mais c’est à l’étranger qu’il aurait eu du mal à se maintenir alors que tous les whiskies, à l’international, sont classés avant tout par leur région de production. Si le cahier des charges sur lequel l’INAO avait statué n’avait donc pas encore été validé par les autorités européennes compétentes, Jean Donnay, lui, avait renoncé. Devant ce choix impossible, seule une troisième option s’imposait, celle de fermer.
Une affaire à suivre
L’affaire, néanmoins, ne s’arrête pas là, chacun cherchant, semble-t-il, à restaurer sa propre vérité. Le 9 juillet dernier, pour relayer la fermeture de la distillerie Glann Ar Mor, L’Express Tendance publiait un article dans lequel il relatait l’étonnement du directeur de l’INAO, Jean-Luc Dairien, suite à cette décision. Ce dernier y défendait le principe même des IGP « qui veut protéger des petites entreprises et des artisans dans une zone géographique définie » et affirmait que le cahier des charges soumis à Bruxelles et « établi avec tous les professionnels qui ont un projet » n’était pas « figé », une incompréhension qui le poussait même à se demander si l’INAO ne serait pas « un coupable idéal (pour des soucis financiers). »
Après 18 ans de travail et contraint de licencier 6 ouvriers alors même que son entreprise enregistrait une croissance de 25% sur sa dernière année, il n’en fallut pas plus à Jean Donnay pour prendre sa plume. Le 24 juillet, un nouveau communiqué est publié sur la page Facebook de la distillerie pour une fois de plus expliquer sa décision et dénoncer les commentaires de M. Dairien. Jean Donnay y revient sur les courriers sans réponses adressés à l’INAO en 2012 pour lui notifier l’opposition au projet d’IGP de trois des quatre distilleurs bretons et remet de nouveau en cause les conditions de validation du cahier des charges officiellement publié, celui « réécrit en accord avec l’INAO dans sa version quasi finale par un seul des quatre opérateurs concernés, la distillerie de Warenghem, plus important producteur de whisky en France ». Il y réfute aussi le caractère « non figé » d’un cahier des charges qu’il a tenté à plusieurs reprises de revoir avant de se voir informé qu’il était « définitivement entériné par l’INAO et que toute modification était impossible. » Et puis, il dénonce ces propos diffamatoires dans lesquels Jean-Luc Dairien se verrait en « coupable idéal (pour des soucis financiers). » Alors même que l’entreprise, financièrement, se trouvait en bonne santé. Pas rancunier, il souhaitait qu’enfin, avec l’INAO, Warenghem et les autres distilleries concernées, ils puissent se rencontrer pour discuter des conditions d’adoption du cahier des charges de cette IGP et en débattre publiquement « par une chaîne de télévision sur internet » ; l’opportunité pour lui d’exposer « la véritable histoire de l’IGP « Whisky Breton » ».
Jean Donnay avait déjà confié qu’il ne produirait plus de whisky en Bretagne. Mais en réponse à sa lettre, l’INAO a finalement accepté de remettre à plat le cahier des charges de l’IGP, une décision de dernière minute qui permet à la distillerie de maintenir son activité, malgré l’amputation de deux de ses employés. Une excellente nouvelle pour le whisky breton, qui évite la perte d’un de ses grands représentants. Reste à espérer que les nouvelles négociations permettront au Glann Ar Mor de continuer à exister et à l’IGP d’en promouvoir la qualité. Reste aussi à espérer que le maintien de son entreprise bretonne n’empêchera pas Jean Donnay de concrétiser ce projet qui lui tient à cœur d’une distillerie à Gartbreck sur l’île d’Islay, royaume écossais du Whisky tourbé.
Distillerie Artisanale Glann ar Mor
Celtic Whisky Compagnie
2, allée des Embruns
22610 Larmor-Pleubian
FRANCE
Tél : +33 (0)2 96 16 58 08