Énergies renouvelables : le Parlement français entame un inquiétant désarmement écologique

Par un vote aussi serré que symbolique, l’Assemblée nationale a montré le 19 juin 2025 que l’écologie n’est plus au centre du jeu politique. L’adoption surprise d’un moratoire sur les nouvelles installations d’énergies renouvelables par une coalition de circonstance entre Les Républicains et le Rassemblement national, acte un tournant lourd de conséquences.

Dans l’hémicycle, ce 19 juin, c’est une scène d’alerte que la France a vécue sans y prêter assez d’attention. Sandrine Rousseau, livide, s’effondre presque à la tribune. Non pas par posture, mais par lucidité : ce jour-là, malgré l’opposition du gouvernement, un amendement de la droite est adopté en première lecture, imposant un gel immédiat de toute nouvelle éolienne ou installation photovoltaïque. Le prétexte ? Attendre une « étude d’impact ». Le résultat ? Un sabordage méthodique des maigres ambitions climatiques de la nation.

Une manœuvre politique révélatrice

Cette victoire surprise de la droite conservatrice et de l’extrême droite a été rendue possible par l’absence de nombreux députés de la majorité et de la gauche, révélant à la fois la fébrilité des équilibres parlementaires, l’impréparation de certains groupes face aux stratégies d’obstruction et le manque de sérieux d’une partie des élus, notamment écologistes, de la majorité et de gauche. En cela, ce vote n’est pas anecdotique : il signe le retour en force d’une opposition climatosceptique ou productiviste très à l’aise avec la rhétorique du « ras-le-bol des éoliennes » ou du « consentement local ». Sous couvert de défense des paysages ou de rééquilibrage territorial, c’est bien une stratégie d’enlisement qui est à l’œuvre. Ce n’est pas l’étude demandée qui importe, mais le signal envoyé : l’avenir énergétique de la France peut désormais être freiné par un réflexe idéologique, et non plus dicté par l’urgence climatique.

Un glissement plus large : la France décroche

Ce vote n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série d’initiatives récentes qui, toutes, convergent vers un même point : la déconstruction progressive de la politique environnementale française. Suppression ou recul des Zones à Faibles Émissions (ZFE), remise en cause de MaPrimeRénov’, tentative de réintroduction de pesticides interdits, et maintenant moratoire sur les renouvelables : la dynamique de transition semble entravée à tous les niveaux.

Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, évoque un Parlement où les « ennemis de l’écologie sont entrés en force avec la dissolution ». Le mot n’est pas trop fort. Car si l’on examine ces décisions dans leur globalité, elles révèlent un paradigme : la question écologique n’est plus consensuelle. Elle est redevenue un champ de bataille idéologique, où les reculs sont nombreux, les conquêtes rares, et les arbitrages défavorables aux générations futures.

Une majorité silencieuse, un exécutif absent

Emmanuel Macron, en début de second mandat, avait promis de « faire de l’écologie la priorité ». Pourtant, son Premier ministre actuel, Gabriel Attal, apparaît à bien des égards en retrait sur ces questions, loin de la verve présidentielle de 2022. Le député Charles Fournier résume cette déception : « Le problème, c’est qu’Attal est beaucoup moins écologiste que Macron ». Dans les faits, la majorité macroniste semble paralysée. Certains députés Renaissance comme Pierre Cazeneuve ou Stella Dupont tentent d’infléchir la ligne, en parlant de dette écologique ou de pacte commun avec la gauche. Mais leur isolement trahit une réalité : l’écologie ne rassemble plus au centre. Elle divise à droite, suscite la défiance à gauche, et s’efface dans le vide stratégique du macronisme.

Une communauté scientifique désemparée

Devant cette régression législative, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. Jean Jouzel, climatologue et ancien membre du GIEC, dénonce une « perte de temps dramatique » et un virage électoraliste dangereux. À l’heure où les canicules se multiplient, où les sécheresses minent l’agriculture et où les objectifs européens se durcissent, la France semble déserter le champ de la transition. Et pourtant, ce n’est pas faute de scénarios, de rapports, de plans. Ce n’est pas la connaissance qui manque, c’est la volonté politique.

Le Sénat, dernier rempart ?

Le 24 juin, le moratoire a finalement été rejeté lors du vote solennel grâce à un sursaut de la majorité et à un retour en force des députés absents. Mais cet épisode révèle la vulnérabilité du cadre législatif français devant l’offensive des lobbies et à la peur de l’impopularité. Le texte reviendra prochainement au Sénat où la majorité de droite pourrait à nouveau peser lourd. Quant au gouvernement, il devra présenter à la fin de l’été la nouvelle Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) 2025‑2035. Ce document, crucial, orientera la politique énergétique de la décennie. Sa teneur dira si la France assume encore le cap d’une économie décarbonée, ou si elle entre dans une ère de désengagement climatique.

Ce que révèle ce vote sur les énergies renouvelables, au-delà de sa portée technique, c’est une bascule symbolique : pour la première fois depuis plus de 20 ans, l’écologie ne fait plus figure d’horizon politique partagé. Elle est redevenue un objet de conflit, une variable d’ajustement dans des jeux parlementaires souvent cyniques. Dans un monde en surchauffe, ce retour en arrière n’est pas seulement inquiétant : il est dramatique.

Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !