La course à pied a toujours inspiré les romanciers. Ce fut le cas de Jean Echenoz qui a écrit Courir (un récit plein d’allant sur l’extraordinaire marathonien Emil Zatopek, champion inégalé des années 1940 et 1950). C’est le cas également de l’écrivain japonais Haruki Murakami, mais cette fois le marathonien, et sujet du livre, c’est lui-même, dans un étonnant livre autobiographique : Autoportrait de l’auteur en coureur de fond.
La chose n’est pas banale : les romanciers adeptes de la course de fond et de l’effort solitaire ne courent pas les rues, c’est le cas de le dire. Encore moins quand ils courent, comme Murakami, depuis 25 ans, 10 kilomètres par jour, et se lancent dans un marathon une fois par an avec une rigueur et une volonté inébranlables qui l’aident, selon lui, dans son travail de création littéraire. Car notre écrivain japonais s’adonne à cette discipline sportive de fer pour pouvoir, physiquement et mentalement, répondre à sa vocation de romancier qui s’est imposée à lui après une jeunesse tabagique, alcoolisée et noctambule passée dans le club de jazz dont il fut, un temps, le propriétaire et l’animateur. À ce jour, et une quinzaine de magnifiques romans plus tard (sans compter d’innombrables kilomètres parcourus) l’homme est devenu l’écrivain japonais le plus traduit au monde et dont le nom est régulièrement cité pour le prix Nobel de littérature.
Cette autobiographie voyage continûment entre littérature et course à pied. L’effort solitaire sur le bitume ou devant la feuille blanche peut offrir bien des similitudes en effet et réclame des qualités communes à l’athlète et à l’écrivain. Selon l’auteur : « Pour moi, écrire des romans est fondamentalement un travail physique » et « une grande partie de mes techniques de romancier provient de ce que j’ai appris en courant chaque matin ».
Le romancier est un laborieux, selon Haruki Muramaki, qui escalade une montagne abrupte et l’attaque « à coups de piolet [pour y] creuser un trou profond avant de découvrir la source de la créativité ». Si le talent n’est pas donné à l’écrivain, il peut « acquérir et affûter », tout comme un athlète, les deux autres qualités d’un romancier, la concentration et la persévérance cultivée « par des exercices [dans] un travail très semblable à l’entraînement musculaire ». Quant au rythme de la foulée du coureur de fond, il est pareillement celui des mots et des phrases que l’écrivain « met en ordre dans sa tête ».
Muramaki témoigne, dans cette autobiographie en forme de journal de bord, de son énorme préparation physique et psychique hebdomadaire qui lui est devenue indispensable pour entretenir sa force mentale et sa capacité d’imagination et d’écriture. Elle le conduira vite à cet Everest de la course à pied : le marathon. Il en courra un par an pendant un quart de siècle, dont, trois fois, le mythique marathon de New York et, à sept reprises, celui de Boston. Deux villes qu’il évoque ici avec beaucoup de tendresse et de poésie. Il s’attaquera ensuite à l’ultramarathon d’Hokkaïdo long de 100 kilomètres. La souffrance y sera terrible, mais il terminera étrangement les derniers kilomètres du parcours dans un état second, indolore et « métaphysique ».
« La plupart du temps, dans la vie, on n’apprend quelque chose d’essentiel qu’à la suite d’une souffrance physique. Mais ce qui nous procure le sentiment d’être vivant, du moins en partie, c’est justement la souffrance, la souffrance que nous cherchons à dépasser. » — Haruki Muramaki
L’esprit de compétition échappe à Muramaki, son but est ailleurs : « Notre qualité d’être vivant ne tient pas à des notions comme le temps qu’on réalise ou le rang mais à la conscience que l’on acquiert finalement de la fluidité qui se réalise au cœur même de l’action ». Une fluidité, comme un point d’équilibre et fruit d’une longue et obstinée conquête de soi.
À noter que le dernier livre d’Haruki Murakami, Profession romancier, paru chez Belfond en novembre 2019, est un peu la suite de cette autobiographie. Il est en effet pareillement un éloge de l’effort, de l’endurance et de la lenteur que le romancier s’impose dans son travail d’écriture, alliés essentiels du « travail de forgeron du créateur ».
Haruki Murakami, Autoportrait de l’auteur en coureur de fond, traduit du japonais par Hélène Morita, 224 p., Éditeur 10 X 18, 2011, Collection Littérature étrangère, ISBN 978-2264052001