Avec Parachute Ibrahim Maalouf entend libérer l’orchestre et l’ouvrir à tous les possibles de l’improvisation. L’Orchestre Symphonique de Bretagne s’engage avec ferveur dans cette expérience musicale aussi déroutante que pleine de promesses.
« Les chiens ne font pas des chats », c’est un dicton populaire dont le sens pas vraiment caché nous indique que certains traits, physiques ou de caractère, semblent héréditaires et permettent de reconnaître une filiation sans grands risques d’erreur. Ibrahim Maalouf est à lui seul une parfaite illustration de ce dicton. Voyez plutôt, son oncle, Amin Maalouf est un écrivain connu, membre de l’Académie française, son grand-père, Rushdi Maalouf était à la fois musicologue, poète et journaliste. Sa maman, Nadia Maalouf était pianiste. Son père, non content d’être instrumentiste, a été le créateur d’une trompette dotée d’un quatrième piston permettant de jouer les quarts de ton ainsi que l’exige la musique orientale. Mettez tous ces ingrédients dans un shaker, secouez bien, et vous obtenez à la sortie, un garçon intelligent, trompettiste reconnu aussi bien dans le monde du jazz que dans celui des musiques de toutes origines, de surcroît, doué pour l’écriture. « Quod est demonstrandum »… CQFD, quoi !
Après une courte conférence de presse, le vendredi 30 janvier, nous ayant laissés assez perplexes, c’est à l’auditorium du lycée l’Assomption qu’Ibrahim Maalouf a souhaité nous faire vivre un moment musical de création partagée. Mais d’abord, revenons sur la « perplexité » évoquée plus avant. « Parachute « est une œuvre composée de trois parties ; la première est laissée à l’improvisation de l’orchestre, la seconde est écrite, la troisième est à nouveau laissée à l’initiative de l’orchestre. Oui ! Vous avez bien lu, l’orchestre doit improviser ! Bien sûr, les musiciens de l’OSB sont des professionnels de qualité, mais de là à improviser à 70 à la fois sans tomber dans la cacophonie… difficile de se faire une idée précise.
Riant un peu de notre stupeur, Ibrahim Maalouf, avec un sens aigu de la pédagogie comme de la pondération, n’a pas hésité à décomposer devant nous la méthode proposée : suivez bien !
Dans un premier temps, il demande à un membre de l’OSB de lancer de la manière la plus volontaire une pulsation sur laquelle les autres musiciens viendront se greffer tout en respectant le rythme impulsé. Le musicien n’est pas désigné, cela peut être n’importe lequel, cela relève de la pure initiative. Aussi après un moment de silence, c’est-à-dire prés de 45 terribles secondes, un hautbois commence à reproduire de manière un peu mécanique une pulsation simple, noire, double croche, silence, reprise, au début sur une seule note. C’est un peu médusée que l’assistance composée d’invités et d’élèves de l’Assomption voit peu à peu des cordes, des vents, des percussions, s’ajouter à cette étrange et répétitive mélodie qui n’est pas sans rappeler quelques musiques de films cherchant à créer une atmosphère de suspense.
Un des projets de Ibrahim Maalouf prend corps sans qu’il soit besoin d’intervenir de manière autoritaire, à savoir, la déstructuration de l’habituelle hiérarchie de l’orchestre. À l’évidence, les leaders de pupitres ne sont pas nécessairement ceux qui s’investissent le plus dans ce curieux processus. Sans parler de réticence, ou même de résistance passive, le public attentif se rend bien compte que d’aucuns s’amusent franchement à expérimenter la méthode « Maalouf » quand d’autres, peut-être par peur du ridicule ne proposent qu’un service minimum.
Ibrahim Maalouf ne s’en offusque pas et laisse à chacun son libre arbitre avec un réel esprit de démocratie, c’en est même assez stupéfiant puisqu’un des instrumentistes présent ne décrochera pas une seule note de la séance. Ce n’est par bonheur pas le cas pour tous, et l’un des « premiers violons » Nicolaï Tsygankov, semble trouver cette opportunité des plus amusantes et s’en donne à cœur joie.
Cyrille Robert et Emmanuel Foucher tentent des mélodies à l’alto tout en s’insérant dans la pulsation donnée au départ et réussissent à nous offrir le sentiment que cette curieuse idée d’improvisation d’un orchestre n’est pas aussi irréalisable qu’il nous avait paru d’emblée.
Cet exercice exécuté à deux reprises à des tempi différents avec des pulsations différentes jusqu’au moment où, devenant un peu plus directif, Ibrahim Malouf proposera à l’ensemble des cordes de reprendre la première pulsation et aux vents de les suivre en reprenant la seconde tout en respectant le rythme.
Il est aisé d’imaginer que beaucoup de lecteurs resteront dans l’expectative face à une telle description, pourtant cela ne manque pas d’intérêt et Marc Feldman, administrateur général de l’OSB, a une réelle ambition pour Parachute, puisque son intention est d’emmener cette création à travers toute la Bretagne et même à Paris dans le cadre d’« orchestre en fête ».
Ne nous voilons pas la face, un tel défi suppose un engagement financier de taille. Aussi utilisant les techniques de « crowdfunding » qui lui sont familières Marc Feldman lance un appel de fonds avec pour objectif de récolter 3000 euros sur les 30 000 que suppose une telle réalisation. Tous peuvent participer à partir de 5 euros, il vous suffira de vous connecter sur le site Ulule pour obtenir les informations nécessaires. Cette participation, même modeste, est importante. Pourquoi ? Simplement parce que La banque Populaire de L’Ouest, mécène fondateur, s’engage à doubler la somme récoltée sur la plateforme citée précédemment. Les donateurs particuliers peuvent bénéficier d’une réduction d’impôts de 66 % du montant du don, voilà une motivation supplémentaire pour devenir un mécène sans se ruiner…
En attendant rendez-vous pour la création de cette œuvre Parachute le 6 mars 2015 au théâtre de Cornouailles à Quimper, ou pour le public rennais, lundi 9 mars à 20h au TNB, puis à Paris. Ne l’oubliez pas, la musique n’est pas quelque chose de figé dans l’éternité, mais au contraire un élément bien vivant. L’occasion est donnée de participer à une expérience réellement novatrice, ne la ratez pas, ne soyez pas spectateurs, soyez acteurs !