Jean-Noël Orengo, cofondateur du site D-Fiction, livre pour la rentrée littéraire d’hiver un long roman sur la ville de Pattaya, située en Thaïlande. Il est publié avec soin et originalité par les éditions Grasset. Attention : à roman prétentieux, critique prétentieuse…
Présentation de l’éditeur : Bienvenue à Pattaya, en Thaïlande, capitale mondiale de la prostitution, station balnéaire familiale la plus populaire d’Asie du Sud-Est et paradis des transsexuelles, noctambules, bandits, expatriés venus des quatre coins du globe. Une ville-univers, symbole de tous les paradoxes de notre époque, où le sexe, la mort et l’argent cohabitent avec la spiritualité la plus intense : fleur du Capital et clash des civilisations d’un genre particulier… Ce roman baroque et polyphonique est conçu comme un gigantesque théâtre où se déploie la danse frénétique de l’Occident décadent et de l’Orient renaissant. Cinq voix nous guident à travers la multitude des rues et des bars, à la rencontre de figures splendides et déchues : Marly, l’exilé en sursis ; Porn, la ladyboy parfaite, dont il est amoureux ; Kurtz, le guerrier de la passe ; Harun, l’architecte obsédé ; et Scribe, l’auteur fétichiste de la cité.
La Fleur du Capital est un premier roman. Comme beaucoup de premiers romans, il n’est pas à la hauteur de sa prétention. En pratique, le roman déçoit les attentes programmées.
Au moins, Jean-Noël Orengo ne consent pas à ce minimalisme suspect d’une certaine littérature contemporaine destinée à cacher la misère d’une écriture qui ne parvient pas à se dépasser voire simplement à s’écrire. À l’inverse, il tombe dans cette surenchère brouillonne que certains auteurs, Claro en tête, ont su faire fructifier ces dernières années.
Dès le prologue, on pressent la prétention avec laquelle Orengo a écrit son roman thaïlandais. Trois choses montrent que la littérature contemporaine ne s’en remet pas du modernisme : le roman est polyphonique, le roman est fragmentaire, le roman est intertextuel. En somme, il est une contrefaçon. La polyphonie, très à la mode dans les quatrièmes de couverture, ne consiste pas seulement à faire parler quatre ou cinq personnages. Faut-il encore réussir à trouver pour chaque protagoniste un ton, un phrasé, un vocabulaire spécifique. Or, Orengo ne parvient pas à séparer personnage, narrateur et auteur. La Fleur du Capital non seulement frôle le roman à thèse, mais se pose en fourre-tout idéologique où l’auteur conçoit le texte comme un prétexte à disserter de la société et du monde – comme nous autour d’une table ou d’un comptoir.
De quoi parle-t-on quand on parle de Pattaya ? L’auteur, dans son entrevue donnée à Transfuge, s’en sort par une pirouette : il serait un romancier sensoriel. Sensoriellement : il y a du foutre et des odeurs épicés. Hors de ce déjà-senti, le reste n’est qe galimatias. Et quid du fragmentaire ? Orengo veut être absolument moderne – son Scribe mal grimé l’atteste -, il en devient générationnel. N’est pas moderne celui qui use en permanence d’un vocabulaire outrancier – sans la truculente inventivité d’un Rabelais ou d’un Audiard – ou qui a fait de la disjonction et de la phrase nominale ses principes stylistiques majeurs. La quatrième de couverture aidant, on se dit que La Fleur du Capital sera à coup sûr la énième imitation d’une certaine littérature outre-Atlantique qui, d’un Fante à l’autre en passant par Bukowski, Burroughs ou les White trash, aura fait du dégueulis, de la pisse et du fragmentaire généralisé sa poétique.
Passé le prologue, la scène 1 de l’acte I, on se dit que non. Certes, on recense le terme “putassier” une bonne trentaine de fois, on voit du cul, des culs, ça parle de foutre, de chatte, de bite, etc. Malheureusement, ce lexique ne rehausse malheureusement rien : ni la réflexion ni la forme. Reste le style ; encore est-il frelaté, copié-collé. Au tour de l’intertextualité, donc.
Cet entre-soi perpétuel et débilitant de la littérature contemporaine continuera de satisfaire les professionnels de la culture. Ils reconnaîtront, çà et là, les tristes allusions à des bateaux ivres et des fleurs du mal ; cela ne masquera jamais la pauvreté et du fond et de la forme. Jean-Noël Orengo a-t-il voulu s’inscrire dans une littérature du voyage ou de l’errance ? Kerouac, Lowry ou Conrad écrivaient dans un autre contexte. L’idée d’un écrivain-voyageur pourrait fonctionner s’il ne fallait pas réinventer et réenchanter et la littérature et le voyage. Orengo tente de cerner Pattaya sur 800 pages : il en fallut moitié moins à Sebald, Magris ou Gracq pour nous faire voir les lieux qu’ils parcoururent.
Formellement, donc, le roman fonctionne mal. Il n’empêche que la prétention du programme fraie quelques tentatives réussies, quelques percées. Pensons au dispositif des répétitions, qui illustre par quels procédés inauthentiques les protagonistes se comportent quand ils voyagent. Ou à la réécriture, très réussie, des forums internet. Cela ne suffit pas à sauver ni la forme ni le fond. Car à quelle idéologie souterraine Orengo consent-il, sinon à celle du mouvement perpétuel, de l’expérience, de la disharmonie ? Il pointe du doigt la précarité physique et spirituelle de ces personnages, mais à quand la réflexion qui dénoncerait, précisément, ce qui se joue d’idéologique en souterrain de son roman : à savoir l’idée que la précarité est une belle aventure, finalement ?
En somme, ce roman est un pur produit de la mondialisation. Chez Jean-Noël Orengo la fleur du capital a des prétentions. Mais ne nous arrêtons pas sur le fond ; la division binaire à l’œuvre dans le prologue, qui fracture la population entre « français de l’intérieur » et « français de l’extérieur » est suffisamment parlante. Le style aussi. Il est clair qu’avec un premier roman aussi vaste, Orengo fera parler de lui à nouveau. On l’espère.