La STPO ? Authentiquement originale et atypique depuis 30 ans, la Société des Timides à la Parade des oiseaux ne s’essouffle pas. Tant s’en faut. Le concert anniversaire au Jardin moderne en novembre 2014 l’a amplement démontré. Imperturbablement dadaïstes, les mélodes déséquilibristes rennais nous font la joie de livrer en 2015 deux nouveaux opus terrassant…
Avant d’évoquer les deux nouvelles productions de cette atypique Société, petite séance de rattrapage historique :

La STPO fut fondée en 1984 sur les cendres du groupe rennais Sarajevo, qui jouait une sorte d’improbable compromis entre Pere Ubu, Wire et Marquis de Sade. Au fil du temps, les comparaisons tendraient plutôt vers des formations tel que CAN, Art Bears ou King Crimson, le tout sous influence dada (avant-prog-rock-post-indus?). Parmi les fondateurs se trouvaient J (guitare), Jim B (guitare) et Pascal Godjikian (voix, textes). Patrice Babin (batterie, percussions) arrivera début 85 et ne repartira pas.
Un 45 tours 4 titres intitulé « 1000 Days » sortira en 1986 sur Illusion Production, le label du mythique trio musical dada de Caen Le Déficit des Années Antérieures (D.D.A.A.), puis en 1990, c’est un LP éponyme qui voit le jour. Un album aux vastes dimensions soniques sur lequel joueront pas moins de 12 musiciens. Outre les membres fondateurs, on y entend de la trompette, de la clarinette, du saxophone, du synthétiseur, du violoncelle et pas moins de trois basses !
Après quelques départs successifs et l’arrivée de Christophe Gautheur au saxophone et au synthétiseur, le nouveau line-up aboutit à la création du miniCD « Le Femme : Portraits » en 1993.
Par la suite la formation se stabilise pendant quelques années avec le bassiste François Morel. La Société sort alors trois nouveaux disques sur le label français Prikosnovénie : « Les Explositionnistes » en 1995, « L’Enciversel Marsac » en 98 et « Expériences de Survie » en 99. Les morceaux dadaïstes de l’album « Les Explositionnistes » sont inspirés de tableaux de Ernst, Picasso, Jorn… Véritables restitutions musicales hypnotiques des extases picturales engendrées par ces œuvres. Avec une approche plus sombre et actuelle, « Expériences de Survie » propose des compositions sur le thème de la guerre et des souffrances des populations (guerre en Bosnie, génocide arménien…).
En 2001, Benoît Delaune remplace François Morel à la basse. La même année un CD réédition du 45t et du LP est édité par le label de Portland Beta-Lactam Ring (Nurse With Wound, Andrew Liles, The Legendary Pink Dots, Edward Ka-Spel etc). Ce même label publie en vinyle « Le Combat Occulté » en 2005, un florilège d’archives, de morceaux rares et versions inédites datant de 1992-93, l’édition CD comprenant un long bonus d’autres archives enregistrées entre 1984 et 1989 sous le titre « Tranches d’Ombilic ». L’année suivante Beta-Lactam Ring récidive avec le nouvel album de la STPO : « Tranches de temps jeté » ainsi que « The Shy Volcanic Society At The Bear And Bird Parade » en 2009, un split en collaboration avec le groupe anglais Volcano The Bear.
Fidèle à son exigence de renouveau et d’enrichissement de sa palette sonore, la Société a profité ces dernières années du passage de nouveaux musiciens : Johan Mazé (France Sauvage, Chausse-Trappe…) à la trompette et Guillaume Dubreu à la basse, au violoncelle et au trombone et d’un nouveau bassiste-violoniste en la personne de Sébastien Desloges (ex-Tante Felipé et Chapi Chapo et Les Petites Musiques de Pluie).
La mémoire, acquittée !
La vertu, accordée !
Ajourons l’alphabet
Et crachons de d’ssus les mots
Imparfaits !
(L’Imparfait)

Sur ces deux œuvres nouvelles, de longues pièces musicales mutantes en perpétuelles transformations sont proposées à nos oreillesn se fortifiant des brisures métamorphiques qui les constituent. Les mots/paroles de Pascal Godjikian se fondent avec les structures rythmiques et mélodiques dans une chimie urgente et curieusement quasi organique. La voix virevolte, déclame théâtrale, se la joue lyrique, s’enroue dans les sons gutturaux, s’éjecte de sa propre ligne dans des éructations spasmodiques pour mieux aller se placer dans un registre aigu, chant d’oiseau chenu aux trilles folles qui prophétise des paroles toujours nouvelles, la guitare piaille, puis crisse, la basse se déhanche, la batterie jazz avant de marteler. Le jeu avec les différentes langues, leurs différents niveaux, avec les onomatopées, les cris, les mots à double entrée se confronte aux codes de la communication et à ceux de la création musicale. Selon Valère Novarina c’est dans « l’autrement des langues » (car chacune sait et pense autrement) que la pensée se débusque et c’est dans les mots à double entrée, les mots équivoques (à plusieurs voies) de chacune « qu’elles nous invitent à ne rien saisir d’immobile, à comprendre que la parole est un geste : à être au seuil d’un savoir inversif » (1). L’auditeur de la musique de La STPO se retrouve pris dans une jungle sonore, chaotique en apparence. Chaque élément, harmonieux en lui-même, se reflète dans l’altérité de l’autre pour créer une harmonie étrange, inattendue. Inentendue ! Nous voici immergés dans une approche artistique du monde « inversive ».
Nous vous laissons avec joie le plaisir de découvrir la suite par vous mêmes : « ouvrez vos auditifs canaux » !
La Société des Timides à la Parade des Oiseaux
La STPO, Les Liquidateurs, LP, In Poly Son (en vente à Rennes chez Blind Spot)
L’imparfait multiple de dieu, CD, Soleil Mutant (en vente à Rennes chez It’s Only)
(1) Valère Novarina, Observez les logaèdres, P.O.L, 2014, p. 47