Laurent Garnier, DJ grand manitou de la scène de musique électronique française, sera de passage à Rennes dimanche 14 novembre 2021. Non pas pour faire danser les foules, comme à son habitude, mais pour présenter au Ciné-TNB Laurent Garnier Off The Record, réalisé par Gabin Rivoire, également présent pour l’occasion. Retraçant les trois décennies de carrière de l’artiste, ce film documentaire s’éloigne bien vite de la biographie pour dépeindre l’image d’une révolution musicale et de la naissance d’une culture à travers le témoignage de ses principaux acteurs et actrices.
Laurent Garnier entamait une tournée dans toute la France en novembre 2021. Rien de nouveau sous le soleil, diront ceux qui ont suivi ses plus de trente ans de carrière comme DJ super-actif, producteur et porte-parole unanimement reconnu de la scène électronique française. À cela près qu’après avoir conquis les scènes de clubs et festivals du monde entier, c’est dans les salles de cinéma que le musicien s’invite. Du 1er au 14 novembre, ce ne sont pas moins de douze séances d’avant-première de Laurent Garnier Off The Record que présentent Laurent Garnier et Gabin Rivoire, réalisateur de ce film documentaire. Le Ciné-TNB de Rennes accueillera la dernière étape de cet intense tour de France, dimanche 14 à 18 h. La projection sera suivie d’une rencontre, pour le plus grand plaisir des fans de ce DJ superstar qui a pourtant su garder la modestie et la bonhomie de ceux qui sont avant tout guidés par leur passion.
La passion. C’est sans doute ce qui transpire le plus de ce long-métrage d’une heure et demie, rythmé d’une bande-son impeccable. Dans les nombreuses images d’archives montrant des dancefloors en liesse et des danseurs en transe comme dans les interviews d’une multitude d’acteurs et d’actrices de la culture qui émerge à la fin des années 1980. Le prophète de cette passion dans le film, c’est évidemment Laurent Garnier, qui explique, en guise d’ouverture, qu’il s’est plongé dans la house puis la techno parce qu’il y voit la synthèse de toute la musique qu’il aimait dans sa jeunesse, la disco, le reggae, la new wave, le punk, la soul.
Un autre maître mot de Laurent Garnier Off The Record est sans doute la découverte. Celle, très jeune, de la grande prêtresse du groove Donna Summer. Celle de la liberté des fêtes à Londres. Celle du mythique club de Manchester l’Haçienda et de l’acid house, ce style dérivé de la sonorité si particulière du morceau « Acid Tracks », du groupe Phuture. Celle encore de la scène américaine, New York, Chicago, Detroit, ou européenne, Berlin évidemment, la Belgique, la Hollande. Le parcours de Laurent Garnier comme fil conducteur du film est aussi la porte d’entrée vers un monde et ses références, une culture à part entière.
Cette initiation est peut-être le reflet de celle qu’a reçue Gabin Rivoire en faisant la connaissance de Laurent Garnier. Quand il le rencontre, alors qu’il réalise des captations pour le festival Yeah! à Lourmarin, que Laurent organise avec des amis depuis 2013, le jeune réalisateur a très peu conscience de l’impact et des résonances qu’a eu le parcours de Laurent dans l’histoire des musiques électroniques, de ce qu’il représente encore aujourd’hui en France pour les amateurs du genre : une figure tutélaire d’un paternel bienveillant, un boulimique de musique écoutant le moindre morceau reçu et généreux dans ses retours. The Blessed Madonna, DJ interviewée dans le film, le résume bien, « It’s the Pope », c’est le Pape ! Et c’est en apprenant à connaître le personnage que Gabin Rivoire part à la rencontre d’un monde, et nous emmène avec lui.
« Il me raconta son histoire et celle de cette musique. De nouveaux noms prirent place dans mon imaginaire. Il me parla de Kraftwerk, de Georgio Moroder et de la Disco Demolition Night. De Larry Levan et du Paradise Garage de New York, de Frankie Knuckles et du Warehouse de Chicago, du Music Institute de Detroit, de Derrick May, Juan Atkins et Kevin Saunderson… De Jeff Mills, de Mike Banks et d’Underground Resistance. De Manchester, New Order, Tony Wilson, l’Haçienda et le Summer Of Love. Il me raconta le Paris du début des années 90, les raves à Mozinor, les débuts de Daft Punk et comment le Rex club qui avait vu passer Prince et les Red Hot Chili Peppers avait un jour décidé de changer sa sono pour devenir le club mythique que l’on connaît aujourd’hui… J’ai commencé à me dire que le bonhomme avait quand même pas mal d’histoires passionnantes à raconter », Gabin Rivoire, tiré d’une présentation à la presse.
Richement documenté, le montage du long-métrage parvient à faire revivre les moments d’histoire traversés par Laurent Garnier au moyen de photos et vidéos d’époque, mais aussi de témoignages de première main : Dani Jacobs, le VJ (Video-Jockey, équivalent du DJ pour l’animation vidéo) de l’Haçienda qui a « découvert » Laurent Garnier DJ lors d’une soirée, Paul Cons, le directeur artistique du fameux club où le jeune Français fait ses débuts de DJ professionnel, Christian Paulet, ancien directeur du Rex Club où il a organisé ses premières soirées en France, au début des années 1990 (et qui deviendra ensuite son agent), ou encore Jack Lang, fondateur de la Techno Parade, ce jour de 1998 où, selon Laurent, « la techno a pris la place de la Bastille ».
Loin de se fixer sur la biographie de Laurent Garnier, simple guide dans cet univers, le film élargit vite le regard à un ensemble plus vaste, à un mouvement global né de différentes impulsions dans le monde, par différents acteurs et actrices qui ont constitué une scène commune, des styles musicaux – la house, l’acid house, la techno, le hardcore, etc. – et, au-delà, une culture de la fête qui pâtit d’une mauvaise réputation auprès des pouvoirs publics et souvent des médias et du grand public, du fait de son adoption des drogues récréatives, mais, peut-être, à un niveau plus profond, parce qu’elle cultive une libération des corps et des esprits qui naît précisément pour contrarier les normes sociales établies et convenues.
Aussi, Laurent Garnier Off The Record se révèle une précieuse introduction à l’histoire des musiques électroniques et de leur culture. Les plus mélomanes s’émouvront de cette séquence de montage alterné où Laurent témoigne de l’impact musical d’ « Acid Tracks » à sa sortie alors que DJ Pierre, son auteur, raconte l’invention du morceau et conclut par une phrase qui fera le bonheur des adeptes du sampling, « We created the sound that created the movement », on a créé le son qui a créé le mouvement. Les plus fêtards s’amuseront d’entendre Carl Cox raconter comment la rave est née en Angleterre de l’envie de « faire after » alors que les clubs fermaient à 2 h du matin. Les plus revendicatifs verront avec ferveur comment les musiques électroniques ont accompagné ces trente dernières années, dans les clubs, les rave, les free, et parfois même dans les rues, de l’Angleterre de Margaret Thatcher et de l’Amérique ségrégationniste à la Géorgie du Bassiani, en passant par l’Allemagne réunifiée et la France de Nicolas Sarkozy, le combat des libertés face aux oppressions.
Avec ce premier long-métrage, Gabin Rivoire réalise le pari difficile de montrer la simplicité et la sympathie du personnage de Laurent Garnier, « la belle vie » chantée par Sacha Distel, qu’il a menée, tout en dévoilant la grandeur de l’Histoire et des combats auxquels il a pris part avec bien d’autres.
Après un passage à Rennes le 14 novembre, la tournée de présentation de Laurent Garnier Off The Record s’achève par un événement au Rex de Paris le 21 novembre 2021, avec projection au Grand Rex, rencontre et débat avec des intervenants du film et soirée au Rex Club. Où devinez qui jouera ?