Voilà, étonnamment, à ce jour, l’unique et première traduction intégrale en français (publiée par un discret éditeur basé à Strasbourg, Circé, en septembre 2013) des Nouvelles exemplaires et amoureuses écrites en 1637 par María de Zayas y Sotomayor, figure littéraire importante du Siècle d’Or espagnol et grande amie de la poétesse et dramaturge Ana Caro de Mallén. Les deux femmes ont vécu ensemble à Madrid, gagnant leurs vies comme écrivaines dans une relation autant intime qu’intellectuelle, loin de toute soumission à un mari.
À leur parution en Espagne, les Nouvelles de María de Zayas eurent beaucoup de succès. Dix récits, d’un style fluide, composent cet ensemble, riche d’aventures amoureuses, de trahisons, de jalousies, de mensonges, de menaces, formant un entrelacs de situations qui dessinent le plus souvent de tragiques destins féminins. Le titre de Nouvelles exemplaires… fait penser bien sûr à celui de Miguel de Cervantès, et quelques récits de doña María ne sont pas sans rappeler quelques nouvelles de don Miguel. Le châtiment de la misère, par exemple, présente des analogies avec Le mariage trompeur.
Le succès éditorial de ce livre passa la frontière et certains écrivains français, sensibles à ces « novelas » espagnoles, se mirent à les traduire vers la fin des années 1650, le plus connu d’entre eux étant Scarron. Certaines de ces nouvelles ont été traduites et figurent en effet dans Le Roman comique. Mais ces traductions furent bien davantage des trahisons, gommant en particulier le ton revendicatif et la pensée originale de María de Zayas.
Cette femme de lettres l’annonce en effet clairement dès le prologue : « Nul doute, cher lecteur, que tu seras surpris qu’une femme ait assez de vivacité d’esprit pour écrire un livre et le confier à l’imprimerie […]. En vérité la matière dont nous sommes tous composés […] n’est pas plus noble chez les hommes que chez nous […].Si au cours de notre éducation, en place des coussins de dentelle à tisser et des ouvrages à broder, on nous donnait des livres et des précepteurs, nous serions aussi compétentes pour certains postes et certaines chaires que les hommes. »
María de Zayas va faire de ses nouvelles en apparence si conventionnelles, écrit Anne-Gaëlle Costa-Pascal, l’excellente traductrice et préfacière de l’ouvrage, le lieu d’une parole et d’une prise de position inédite pour l’époque. Les femmes campées par Maria de Zayas s’éloignent du modèle idéal de l’épouse soumise, dévote et innocente, celle qui supporte l’insupportable et tait sa souffrance, toujours pour le bien de son mari. Les protagonistes de ces nouvelles et récits sont des femmes cultivées, raffinées, souvent infidèles, ce qui explique les persécutions de l’Inquisition dirigées contre ces Nouvelles, écrit en substance l’historien Miguel Vega Carrasco.
Dans sa thèse intitulée María de Zayas, une conscience féminine dans l’Espagne du Siècle d’Or, Eva Tilly, docteure de l’université de Caen, écrit que « l’auteur tente de rappeler les valeurs aristocratiques à ceux qui les oublient et de rétablir l’idée que le respect entre les sexes est une de ces principales valeurs ». Les femmes, dans ces nouvelles, sont les victimes d’un ordre social masculin qui les bafoue en les maintenant en état d’infériorité, de subordination et d’humiliation, fait, entre autres, de violences sexuelles. Et même, ajoute Eva Tilly, « le refus de reconnaissance réduit la femme à son état de bien possédé en vue de la procréation ». La maternité elle-même concourt ainsi à une autre dépossession : celui du corps de l’enfant qui appartient au père, non à la mère.
La revendication d’égalité et de justice a fait de María de Zayas, la figure d’un féminisme avant l’heure, écrit Anne-Gaëlle Costa-Pascal. Ces Nouvelles exemplaires, de ce point de vue, n’ont rien perdu de leur actualité au XXIè siècle.
Nouvelles amoureuses et exemplaires de María de Zayas, trad. par Anne-Gaëlle Costa Pascal, Éditeur Circé, 2013, 496 p., ISBN 978-2-84242-306-3, prix : 24.50 euros.
Née à Madrid en 1590 et décédée aux environs de 1661, Maria de Zayas est la fille du capitaine d’infanterie Fernando de Zayas y Sotomayor, qui était au service du comte de Lemos. Au cours de son séjour à Saragosse, elle a publié la première partie de ses « Nouvelles amoureuses et exemplaires » (1637), un ensemble de dix nouvelles courtisanes qui analysent les couches sociales supérieures de son époque et dans lesquelles on ressent l’influence de Miguel de Cervantès. La seconde série est composée des œuvres « Novelas y saraos » (1647) et « Parte segunda del Sarao y entretenimientos honestos » (1649), rééditées sous le nom « Desengaños amorosos ». Elle est également l’auteure de la comédie « La traición en la amistad ». Lope de Vega, dans son ouvrage « Laurier d’Apollon » fait l’éloge de son œuvre.