Olivier Hodasava, 48e parallèle Nord, Hudesti, Roumanie

Nouvel arrêt : Hudesti, village du passé entre Roumanie et Ukraine. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.

 

Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)

HUDESTI_4Ce matin, je me suis promené aux abords d’un village proche de la frontière entre Roumanie et Ukraine. Le village s’appelle Hudesti et il est situé du côté roumain. Hudesti est le genre d’endroit qui vit dans un passé révolu. Les carrioles tirées par des ânes y sont, par exemple, plus nombreuses que les automobiles – leurs avancées, sur l’asphalte, se lisent au rythme des crottins disséminés (et les crottins sont nombreux).

HUDESTI_2À Hudesti, j’ai essentiellement croisé de vieilles femmes, fichus sur la tête et presque frusques. Les apercevant, j’ai pensé à ma grand-mère maternelle qui, à sa façon, leur ressemblait. Elle s’appelait Hélène. Elle avait quitté sa campagne natale (sa campagne à elle était plus au nord, du côté de Cracow) pour rejoindre l’homme qu’elle aimait : mon grand-père devenu mineur en Lorraine. Même installée en France depuis des années, elle avait gardé une apparence de babouchka. Le petit citadin que j’étais ne savait qu’en penser.

HUDESTI_3J’étais en train de penser à tout ça (à ma grand-mère, à mes origines), de faire, en quelque sorte, un voyage dans le temps (Hudesti, figée dans un autre siècle, se prête particulièrement à ce genre de dérive) quand, sur un chemin de terre aux marges du village, une chanson – peut-être à cause de la proximité phonique de son titre avec le nom du village –, subrepticement, s’est glissée en moi. Juste quelques mesures au début, une poignée de mots en boucle… If you search for tenderness, It isn’t hard to find, You can have the love you need to live

HUDESTI_1Sans vraiment que j’en prenne conscience, elle s’est imprimée plus profondément, lancinante, déroulant maintenant son flot de paroles de façon continue. Tout en progressant, je me suis mis à chantonner le refrain (son putain de refrain !) : Honesty is such a lonely word, Everyone is so untrue, Honesty is hardly ever heard, And mostly what I need from you… et la tête de Billy Joel est venue, mine de rien, se fondre en surimpression sur les paysages traversés…

Ce soir encore, alors que je viens de regagner ma chambre dans un hôtel aseptisé à près de soixante kilomètres de là, elle se déverse à la façon d’un filet d’eau… I can find a lover, I can find a friend…J’aimerais pouvoir serrer le robinet, arrêter son débit mais ça ne m’est, pour l’instant, pas possible. Je me demande à quoi va ressembler la nuit.

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