Le 30 janvier, Rennes pouvait s’enorgueillir d’accueillir une exclu nationale et mondiale : le projet OX. Romain Tardy et the Absolut Company Creation ont inauguré leur tournée par l’UBU. Au programme : la présentation de la première machine sensible et intelligente à la musique…
OX est une installation qui renvoie sous forme graphique, numérique et cinétique la musique, dont elle enregistre le rythme comme l’émotion. Pour la tester, quoi de mieux que l’électro sombre et envoûtante de la Mverte et Alejandro Paz ? Pour comprendre cette innovation, tant d’un point de vue technique qu’esthétique, nous avons rencontré son créateur. Pour une entrevue, elle, menée entre humains, et sans algorithme !
Unidivers : D’un point de vue technique, scientifique, comment fonctionne la machine ?
Romain Tardy : J’ai travaillé avec deux ingénieurs sur ce projet : un duo qui s’appelle « hand-coded ». C’est le troisième projet que je développe avec eux. Un de ces deux ingénieurs est spécialisé dans l’analyse audio. L’idée de cette installation, c’est donc qu’elle réagisse à la musique, mais de quelle façon, selon quel rendu ? L’idée, c’est une machine qui possède une identité, une identité visuelle que je lui donne, à partir d’un contenu visuel que je crée, en l’occurrence plusieurs éléments graphiques qui sont préanimés dans cette machine et que cette machine ensuite va combiner et modifier en fonction de ce qu’elle entend, de ce qu’elle écoute du musicien qui est en en train de jouer. Il y a une différence entre une machine qui génèrerait par exemple 100 % de ce qui s’affiche et une machine qui va créer des choses mais par combinaison d’éléments existants.
Unidivers : Avec une identité graphique que tu as définie ?
Romain Tardy : C’est d’ailleurs cela qui m’intéressait ! Donner à la machine une identité graphique pour qu’elle ne soit pas dépendante de ce que le musicien va jouer. On a une banque d’environ 200 éléments graphiques qui vont se combiner trois à trois, ou quatre à quatre. Ce qui donne des combinaisons auxquelles je n’aurais pas forcément pensées, imaginées ou prévues. C’est un jeu entre ce que tu décides et ne décides pas, entre ton geste en tant qu’artiste et ce que tu confies à cette machine intelligente. Intelligente reste cependant un grand mot. Elle possède une capacité d’analyse, avec divers paramètres. Par exemple, un paramètre de volume : si le musicien arrête de jouer, la luminosité baisse instantanément. Au palais de Tokyo, Agoria a décidé de jouer le jeu. Cela reste un idéal pour moi. Nous n’étions pas non plus dans une ambiance club.
Unidivers : Vous pouviez vous permettre d’être plus expérimental ?
Romain Tardy : Il a décidé de commencer de manière calme, pas du tout dansante, plutôt atmosphérique. C’est là une deuxième forme de détection, une détection de mood. On a quatre grandes lignes : excited, happy, calm et sad.
Unidivers : Ces moods peuvent-ils se combiner ?
Romain Tardy : Il existe des interpolations. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Par exemple, sur un morceau de piano en gamme mineur, on pense que cela va être sad à 100 %. Si le morceau est très lent, il détectera aussi l’aspect calme. J’ai associé des couleurs à ces émotions, un peu arbitrairement. Une sorte de synesthésie. Le violet pourrait évoquer la tristesse, le bleu l’aspect calme.
Unidivers : Qui génère ces synesthésies, toi ou la machine ?
Romain Tardy : La machine, disons, se débrouille à partir d’un code. Le pari, cela reste son autonomie, qu’elle réagisse à la façon d’un individu.
Unidivers : Est-ce la machine peut te surprendre ? La créature peut-elle dépasser son créateur ?
Romain Tardy : En un sens, oui. Certaines combinaisons ne me seraient pas venues à l’esprit. La composition ne m’appartient pas.
Unidivers : Est-ce que tu as élaboré l’algorithme ?
Romain Tardy : C’est le duo « Encoded » qui s’en est occupé. L’un d’eux a fait une thèse sur l’analyse des émotions dans la musique. Il a donc développé cet algorithme pendant sa thèse. Il l’a adapté et amené dans ce projet. C’était l’une des applications possibles à un projet fortement théorique.
Unidivers : Quand on parlait de « première machine intelligente et sensible à la musique », vous sembliez mettre des limites à cette assertion.
Romain Tardy : Il est nécessaire de relativiser cette notion d’intelligence. Je reste persuadé, même si je travaille sur du numérique, que l’humain reste au centre du dispositif. La machine pour la machine, cela ne m’intéresse pas. Le DJ pilote l’installation. Il créé le rythme de la soirée. La véritable analyse, c’est le DJ qui la produit, à travers l’ambiance, la foule, la soirée, l’interaction entre la scène et les gens de l’autre côté.
Unidivers : Peut-il d’ailleurs être influencé par la machine ?
Romain Tardy : C’est une bonne question. J’aimerais que cela se passe de cette manière. La machine, je pense, peut influencer l’artiste. C’est d’ailleurs une rencontre entre deux personnalités. Réellement, c’est d’avantage le DJ qui influence la machine. L’humain doit influencer la technologie, et non l’inverse.
Unidivers : La machine fait-elle rupture ou, au contraire, s’inscrit-elle dans une tradition, notamment au sein de l’art numérique ?
Romain Tardy : Elle s’inscrit dans les liens entre musique et image. Je ne pense pas que ce soit une rupture mais plutôt une innovation, qui se situe dans une histoire, notamment de la scénographie numérique. L’innovation se ferait sur la non-linéarité de l’écriture, d’une écriture par ailleurs non assistée.
Unidivers : La machine peut-elle fonctionner sur autre chose que la musique électronique ?
Romain Tardy : Oui, bien sûr. Elle a été conçue principalement dans l’idée de pouvoir la présenter en club, plutôt sur de la techno. Cela fait partie de la demande, à la base. Les soirées sont axées sur de la techno, de la house, sur des rythmes plutôt binaires. Pour tester, j’ai travaillé sur du hip hop, de la chanson. J’ai testé sur du Barbara ou du Jacques Brel. Le résultat est amusant. Sur Ne me quitte pas, c’était assez improbable. C’est une chanson qui a une progression vraiment marquée. C’était pertinent. En théorie, cela s’applique sur n’importe quelle musique.