Lors de notre dernière visite au 1988 Live Club, à l’occasion d’un excellent concert de jazz, c’est la jeunesse du public qui nous avait vraiment bluffé. Pour cette Jam session du jeudi soir, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Les papys du rock ont débarqué discrètement, étui de guitare à la main ou baguettes bien à l’abri dans la poche du blouson. Mais lorsqu’ils se sont approprié la scène du 1988, ils avaient pris un sacré coup de jeune !
La Jam session, c’est par excellence une tradition du jazz. Bien établie depuis des décennies elle permet à des instrumentistes de se greffer sur un groupe ou de remplacer un à plusieurs musiciens pendant un spectacle ou un concert. Cette coutume est une marque de la culture jazz ou rock, elle est infiniment plus rare dans le monde de la musique classique, si l’on excepte les organistes pour lesquels l’improvisation est un point de passage obligé. Pour la soirée, c’est le musicien rennais Yannick Papaïl qui assistera Sylvain le maître des lieux et sera l’animateur. Ce très bon guitariste droitier, qui se définit lui-même comme auteur-compositeur-interprète est totalement polyvalent. Que ce soit au sein de son groupe « Sam’s Soul » ou de son duo « Two men in blue » il est un véritable professionnel de la musique. Au passage, ne se prenant pas trop au sérieux, il apporte une agréable note de bonne humeur.
Avec les ponts et les jours fériés, le 1988 n’est pas bondé. Mais la quantité est compensée par la qualité et Yannick attaque avec un joyeux « Oye como va » où Tito Puente est célébré et où l’on reconnaît le son si particulier de Carlos Santana. S’en suit un morceau plus calme, plus blues, qui permet de temporiser, mais aussi de permettre aux autres musiciens de vaincre leur timidité et d’approcher la sainte scène. Ce sera vite fait, notamment avec le pianiste Keypass et « Spoonfull » assisté d’un guitariste anonyme qui vient torturer ses cordes à la « disto », c’est simple, efficace et c’est vraiment tout ce qu’on aime. Patchouko guitariste également et qui doit bien friser le demi-siècle ne se laisse pas du tout impressionner et avec sa « Les Paul » se lance dans un morceau dont le titre résume exactement notre opinion du moment « I just can’t believe you’re such a fool »…. c’est vrai il faut être un peu cinglé pour venir en pleine nuit gratter sa guitare avec des inconnus, accompagné de batteurs pas vraiment plus jeunes (Willy doit approcher la soixantaine), mais quelle passion les unit tous et quel plaisir aussi bien pour le public que pour les instrumentistes.
La jeunesse reprend la main avec Millie et Férielle, deux bénévoles du club, auquel est venu s’adjoindre Jessie, batteur volontaire. La voix douce et plaisante de l’une est pourtant un peu couverte par la basse de l’autre et malgré les efforts de Ronan pour rétablir l’équilibre, on sent bien qu’un peu de réglage est encore nécessaire… mais c’est plutôt sympa. Le temps de boire une excellente bière et Jean Marc Cavallin se lance dans le très technique « Come Dancing » de Jeff Beck, accompagné d’une sonorité toute en « Reverb », mais techniquement exigeant. Sans doute soucieux de démontrer leurs excellentes qualités ce sont les musiciens du même ensemble qui relèvent un nouveau défi de taille avec « Chicken » de Jaco Pastorius. Florent au piano et Robin au saxo donnent une densité particulière à cette musique sophistiquée et précise, création du génial, mais dément bassiste à la vie particulièrement agitée et tragique. Yannick relance le débat avec l’indémodable « Proud Mary, rollin’on a river » en empruntant le rythme assez sage des Creedence Clearwater Revival, enfin au début, car rapidement, c’est une version survoltée à la façon de Ike et Tina Turner qui reprend le dessus avec Pit à la basse. Comme si la prise de pouvoir de la vraie génération rock agaçait les minots, ils reviennent en force sur scène avec un groupe complet « Purpulse ». Le nom du groupe aurait dû nous inspirer une certaine méfiance, car ils le portent bien et n’économisent pas les décibels. Il est plaisant de les voir se démener sur un rock bien basique, franchement vitaminé, et qui démontre leur adoration du très grunge Kurt Cobain. Raphaël à la guitare comme Jessie, qui a retrouvé la batterie, donne tout avec la générosité propre à leur âge. Plutôt intéressants ces garçons ; ils nous proposent d’ailleurs une de leurs compositions tout à fait digne d’intérêt : « Weary race » est bien fichue, monte en puissance doucement pour terminer dans un paroxysme sonore qui ne laisse personne sur le bord du chemin.
N’allez pourtant pas penser que tout fut parfait, car la pratique de la démocratie musicale expose aussi le public aux fâcheux et nous n’avons pas été épargnés. Deux échappés d’une noce paysanne, non contents de nous infliger leurs insipides « compos » ont trouvé normal de massacrer deux standards de Ray Charles et Graeme Allwright avec une confondante autosatisfaction. Ils ont beaucoup péché, il leur sera beaucoup pardonné. Amen !
Le mieux est de venir vous faire votre propre idée puisque cette soirée Jam a lieu chaque deuxième jeudi du mois (donc la prochaine c’est le 11 juin). Alors ne ratez pas cela, venez avec votre bonne humeur et votre instrument, c’est un vrai plaisir.