La solderie Crazy Factory inaugurait le 18 juillet 2020 avec les graffeurs Tarek et Lélé une salle d’exposition dédiée au street art. Le travail des deux Rennais sera visible jusqu’au 31 août avant de laisser la place à d’autres artistes. Par cette initiative, le nouveau gérant de l’établissement souhaite offrir aux arts urbains un lieu d’expression au cœur de Rennes.
En février dernier, Julien Chauvat reprenait la gestion du magasin Crazy Factory, 26 rue Saint-Louis à Rennes. Il arrive avec la ferme intention d’en faire un lieu atypique du centre-ville. Ouverte ponctuellement seulement pour des ventes flash, la solderie du groupe Kaki Crazy, propriétaire de 36 enseignes multimarques de chaussures et prêt-à-porter dans le grand Ouest, recelait selon lui un potentiel inexploité. « J’ai souhaité reprendre cette activité de déstockage à l’année, tout en donnant au lieu une connotation artistique » annonce-t-il. Avec 500 m² de surface de vente dans un bâtiment historique, une arrière-cour pleine de possibilités et une situation idéale dans l’hypercentre rennais, l’endroit se prête effectivement à articuler différentes activités.
Un lieu pour le street art
Vingt ans à vivre dans le XXe arrondissement de Paris ont fait de Julien Chauvat un grand amateur de street art sous toutes ses formes : graffiti, collage, peinture, sculpture, mobilier urbain ou même photographie. À son retour à Rennes, il constate que ces pratiques manquent encore de valorisation dans la capitale bretonne, notamment en comparaison de Paris ou de Nantes. Les arts urbains ont pourtant le vent en poupe, avec la biennale Teenage Kicks organisée depuis 2013, ou encore le M.U.R mis en place rue Vasselot en septembre 2019.
Mais le nouveau gérant de Crazy Factory déplore une certaine concentration des commandes aux mêmes noms connus du graff, limitant la découverte de jeunes artistes qui font pourtant la richesse de la scène rennaise. Avec le soutien de Philippe Commault, dirigeant de Kaki Crazy, il décide de faire de son magasin un nouveau lieu dédié au street art. Il confie au graffeur Tarek le soin de décorer les murs intérieurs et l’arrière-cour et dédie une pièce à des expositions.
Deux graffeurs rennais
Peintre, scénariste de BD, Tarek est aussi un grand nom du graff français, puisqu’il est l’auteur de Paris Tonkar (1991), premier livre sur la question en France. Résidant désormais à Rennes, il invite sur ce projet Lélé, peintre décorateur de formation dont les gorilles au regard humain ont fait leur apparition en 2015 sur les murs rennais. Les deux complices, qui n’en sont pas à leur première collaboration, investissent l’arrière-cour du 26 rue Saint-Louis et peignent pendant une semaine et demie.
Bel exemple de cross-over, l’univers totémique de Tarek rencontre les gorilles de Lélé dans une symbiose impeccable. « Sur toutes les pièces de la cour, soit il y a une réelle interconnexion, soit il y a un rappel de l’univers de l’autre, une imbrication qui donne une musicalité au mur », commente Tarek. « Nos œuvres se rapprochent l’une de l’autre. Dans mon travail récent sur le masque, je suis parti d’animaux, de chimpanzés notamment. Et Lélé a aussi fait des crânes de gorille, des vanités, des formes tellement stylisées qu’on croirait que c’est un masque. Donc quand on peint ensemble c’est assez naturel de mélanger nos univers ».
Dans cette ambiance bariolée où les murs semblent prendre vie, Julien Chauvat veut mettre à disposition la cour pour des manifestations culturelles, des expositions temporaires aux beaux jours par exemple, ou même de la musique. Mais le cœur du projet est bien la boutique street art, salle d’exposition qui se veut un nouveau lieu de mise en valeur des arts urbains.
Une galerie de centre-ville
Visible depuis la rue par la fenêtre, la petite pièce attenante au magasin appelle le passant à s’arrêter découvrir le lieu. « Le point d’ancrage de cette galerie, c’est la ville », affirme Julien Chauvat, qui veut ouvrir l’endroit aux expressions les plus populaires de l’art contemporain, n’excluant pas d’y proposer prochainement une exposition dédiée à l’art brut.
Tarek et Lélé sont les premiers à investir le lieu avec leur univers respectif. Ils ont souhaité en faire un cabinet de curiosité reflétant leur travail : peinture, customisation d’objets, de mobilier ou de textile. Des univers distincts, mais proches, s’exprimant sur différents supports qui se jouent parfois du dispositif d’exposition classique et évoqueraient plutôt l’image d’une chambre d’éternel adolescent
Tarek salue cette initiative de galerie dédiée au street art. Car malgré pléthore d’artistes, d’écoles d’arts, d’expositions associatives, les galeries d’art manquent à Rennes, et manquent, selon lui, à représenter le travail des plasticiens rennais. De même, en ce qui concerne le graff, la trentaine de murs actuellement autorisés par la ville de Rennes (et répertoriés ici sur le site du Réseau Urbain d’Expression) est loin de répondre à l’engouement suscité par cette pratique artistique à part entière. Tout en célébrant en WAR! le “Banksy rennais”, la municipalité confine globalement les graffeurs en dehors de son hypercentre, leur préférant les baigneuses multicolores de place de Bretagne ou le charme discret des radis…
La solderie Crazy Factory est ouverte le mardi de 13 à 19 h et du mercredi au samedi de 10 à 19 h. L’exposition de Tarek et Lélé est visible jusqu’au 31 août. Si vous voulez découvrir les graffs de l’arrière-cour, demandez Julien.