Roxana Robinson enseigne l’écriture à la New School de New York. Non pas la littérature, mais bien l’écriture, c’est à dire la manière de construire un roman. Elle s’emploie à convaincre ses élèves qu’il existe des règles au succès là où, précisément, l’évidence atteste du contraire. Elle apprend qu’il vaut mieux « décrire » plutôt que « dire », conseillant de réduire les adjectifs et bannir les adverbes, d’enlever plutôt qu’ajouter… En fait, elle est de ces auteurs qui n’ont pas vraiment de style, mais savent construire une histoire avec l’efficacité d’un scénariste de Cold Case. Sweetwater est son quatrième roman traduit en France.
« Le chalet, frais et sombre, sentait le bois. Isabel posa son sac de voyage à l’intérieur, dans l’entrée. Sans visiter les pièces de part et d’autre du couloir, elle s’enfonça dans la pénombre, se dirigeant droit sur la porte qui découpait un vif rectangle de lumière tout au bout. Elle poussa la moustiquaire et, de la terrasse, contempla le lac devant elle. »
Dès les premières lignes, l’histoire happe le lecteur ébloui par un soleil de fin d’après-midi. Non pas que la plume soit exceptionnelle, elle dégouline même de redondances, le style ne vaut pas davantage, mais… parce qu’il y a un « mais »… l’histoire vous prend à bras le corps et vous emmène là où la nature sonde l’homme en secret. Un nouveau monde s’ouvre, il y fait bon vivre, et peut-être est-ce cela le talent Made in America qu’enseigne Roxana Robinson : tout dans le fond et pas grand chose dans la forme. Pour autant, Sweetwater est un agréable roman qui démarre au rythme lent des beaux jours revenus. Le décor bucolique dans lequel évoluent les personnages accentue l’effet psychologique d’une intrigue lente mais constante. Il y est question des joies et des peines d’Isabel qui essaie de reconstruire sa vie, mieux, de la refaire après le deuil et la désillusion. Certes, la plume est malhabile, mais la sagacité du ton laisse entrapercevoir mille nuances ingénieuses de la vie d’une femme à laquelle chacun s’identifie. Nous sommes elle, nous sommes Isabel entre son passé et le présent. Chaque personnage (ils sont peu nombreux) marque la mémoire du lecteur au fer rouge. En somme, Roxana Robinson enseigne à ses élèves ce qu’il leur suffirait d’étudier en lisant ses livres : une certaine idée du talent.
Jérôme Enez-Vriad
Sweetwater de Roxana Robinson, éditions Buchet Chastel, 505 pages – 24,00 €