1er roman de Taiye Selasi Le ravissement des innocents [Ghana must go]

Le ravissement des innocents de Taiye Selasi est un livre tout en contrastes doté d’une écriture belle et poétique. Une histoire forte mais aussi un style parfois difficile à suivre : phrases sèches, 1 ligne – 1 mot, de fréquents aller-retour entre les personnages, la vie passée et la vie quotidienne. En somme, c’est l’histoire de l’exil et de l’insertion.

« Comme sur un signal, ils dirigèrent tous le regard vers le manteau de cheminée, d’où la femme du portrait les toisait. […] Kehinde s’attendit presque à ce que la femme, mortellement blessée, se descelle du cadre et s’écroule sur le sol. Ou le souhaita en partie. Alors qu’il la contemplait, l’illusion inverse se produisit : l’éruption de la laideur. Il trouva la femme affreuse, d’une laideur incroyable ; il perçut que son visage serait à l’origine d’atrocités ; il la détesta, son apparence, son teint laiteux, il détesta cette femme, ni africaine ni blanche, qui n’appartenait à aucun Peuple, aucun passé qu’il connaissait, qui trônait sur le mur, pétrifiée par la mort, sculptée dans la glace, l’unique membre de leur famille auquel ils ressemblaient vaguement, cette beauté pâle, haïssable, retranchée dans du cuivre ouvragé. »

KWEKU SAI, le père est un chirurgien ghanéen, respecté, de grande valeur. Installé à Boston, il est marié avec FOLASADE, nigériane, ravissante, exilée aussi (nous apprendrons à la fin son histoire). 4 enfants : Olu, les jumeaux la belle Taiwo et Kalindé, et Sadie la petite dernière. Victime d’une injustice professionnelle (racisme ?), se sentant humilié, Kweku Sqai ne peut affronter sa famille et « disparaît » en retournant dans son pays qu’il avait fui des années auparavant.

Taiye Selasi le ravissement des innocentsLe ravissement des innocents commence avec la mort de Kweku, un matin au lever du jour… Au lieu de tenter de sauver sa vie, le chirurgien se remémore sa vie : ses études, son installation américaine, sa famille… et son retour seul au pays afin de ne pas affronter le déshonneur. Sa famille, femme, enfants, s’est éclatée.

Le décès du père est alors l’occasion pour cette famille de se retrouver, autour de leur mère, revenue elle aussi au pays. L’écriture du livre est alors composée de nombreux flash-back revenant sur la vie des enfants, de la mère. Chacun prend conscience de la place tenue (et absente) par leur père dans la construction de leur vie ; découverte aussi de l’histoire familiale. OLU, le fils aîné, veut réussir la vie que son père n’a pas eue, en faisant le choix de la même profession. Les jumeaux doivent survivre à une adolescence bouleversée par une tragédie. Quant à Sadie, elle va se construire seule puisque sa mère est repartie.

Le lecteur apprend toutes ces histoires à travers les nombreux aller-retour de chaque membre dans son passé, dans ce que chacun vit en se retrouvant au Ghana assister au décès de leur père, dans cette plongée dans ses racines. C’est l’histoire du Ghana, du Nigéria et l’exil aux États-Unis.  Et en son cœur se trouve, plus fort que tout, la recherche de l’amour : amour marital, amour filial, amour fraternel, amour maternel. Ruptures, déchirements, réconciliations, thèmes éternels dans les familles sous tous les cieux !

Le ravissement des innocents pourra déconcerter par son style, ses personnages « parlant » à tour de rôle. Mais la facilité d’écrire et de narrer de Taiyé Selasi est surprenante et mérite un détour vers son Afrique.

Taiye Selasi Le ravissement des innocents, Gallimard, septembre 2014, 384 pages, 22 euros. Vous pouvez feuilleter le livre ici, l’acquérir à Rennes au Forum du Livre ou le commander en ligne.

Taiye Selasi
Taiye Selasi

Taiye Selasi est née à Londres et a passé son enfance dans le Massachusetts. Elle est titulaire d’une licence de littérature américaine de Yale et d’un DEA de relations internationales d’Oxford. Elle fait son entrée en littérature en publiant The Sex Lives of African Girls dans la revue Granta. Cette nouvelle a été reprise dans le recueil Best American Short Stories 2012. Le Ravissement des innocents, son premier roman, sera traduit en 17 langues. Taiye Selasi vit à Rome.

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