Dès l’automne 2025, Transavia proposera deux vols hebdomadaires Rennes–Agadir, tandis que la ligne saisonnière vers Marrakech rempilera pour une troisième année consécutive. À première vue, la plateforme rennaise renforce enfin son ouverture vers le sud méditerranéen. Mais derrière cette annonce ensoleillée, une question revient : pourquoi l’aéroport, pourtant adossé à une métropole de près de 500 000 habitants, peine-t-il autant à décoller ?
Maroc 2025 : un modeste rayon de soleil
Deux liaisons directes vers le Maroc seront assurées dès fin octobre 2025 par Transavia. La ligne vers Marrakech, déjà exploitée lors des deux hivers précédents, sera maintenue, tandis qu’Agadir fera son entrée au programme. Ces vols, proposés deux fois par semaine, ciblent clairement la clientèle loisirs hivernale, avec près de 30 000 sièges mis en vente. Du côté de la direction, on parle d’un « contexte porteur » lié à la reprise des vols moyen-courriers et au dynamisme retrouvé des compagnies low-cost.
Mais cette annonce, pour réjouissante qu’elle soit, semble encore bien isolée dans une stratégie d’ensemble peu lisible. Car comme le souligne l’ADARB (Association pour le Développement de l’Aéroport Rennes-Bretagne), les taux de remplissage des vols existants sont déjà excellents. Le problème ne vient pas d’un désintérêt des usagers, mais d’un déficit structurel d’offre.
Trafic en berne : Rennes toujours dans l’ombre de Nantes
Les chiffres confirment le sentiment de stagnation. Après un pic à 860 000 passagers en 2018, l’aéroport de Rennes n’en comptait plus que 500 000 en 2024, soit une chute de plus de 40 % en six ans. Dans le même temps, Nantes Atlantique dépassait les 7,5 millions de voyageurs. Cette proximité géographique (1h15 via la N137) accentue le déséquilibre. Nantes propose aujourd’hui plus de 120 destinations, à des tarifs souvent inférieurs, et avec une offre long-courrier qui fait défaut à Rennes.
La comparaison, cruelle mais incontournable, alimente un sentiment de décrochage. L’ADARB pointe du doigt le paradoxe : faute d’offre suffisante à Rennes, les habitants du bassin rennais sont contraints de se rendre à Nantes, Paris ou même Brest pour prendre leur vol. Un transfert qui engendre du temps perdu, un surcoût évident, et une empreinte carbone non négligeable, là où une politique locale plus ambitieuse aurait permis une alternative durable.
Un modèle à revoir ?
Le décollage semble freiné par plusieurs faiblesses structurelles. L’aéroport reste limité à un terminal de taille modeste, avec seulement cinq portes d’embarquement, ce qui restreint mécaniquement le développement du trafic. Son positionnement reste flou : est-il un aéroport de proximité destiné aux trajets domestiques ou une porte d’entrée aérienne pour l’ensemble de la Bretagne ?
Le réseau de compagnies low-cost, pourtant moteur ailleurs, demeure limité : easyJet, Transavia et Volotea proposent quelques lignes, mais de manière trop sporadique. À cela s’ajoute un marketing quasi invisible, avec peu de campagnes de promotion (nombre de Rennais ignorent toujours qu’il y a des vols touristiques au départ de Rennes…) et une intégration timide dans l’offre touristique régionale.
L’ADARB pointe aussi un enchevêtrement de responsabilités : la CCI d’Ille-et-Vilaine, actionnaire majoritaire, manque de moyens et de vision stratégique, tandis que Vinci, minoritaire à Rennes (49 %), concentre ses efforts sur Nantes, où il détient 80 % des parts. La Région Bretagne, après avoir historiquement misé sur la LGV plutôt que sur l’aérien, semble aujourd’hui peu engagée dans la relance du trafic aérien régional.
Des signaux faibles… mais prometteurs ?
Quelques initiatives, même modestes, laissent entrevoir des possibilités de rebond. En janvier 2025, un Salon des Voyages sera organisé dans l’enceinte même de l’aéroport, avec pour objectif de raviver le lien entre la plateforme et les usagers bretons. Mais son impact reste à démontrer.
Côté innovation, l’arrivée de la formation Air Skol, qui utilise un avion électrique Velis Electro, constitue une avancée symbolique vers l’aviation bas carbone, et permet également d’occuper les infrastructures en dehors des créneaux commerciaux. S’ajoute à cela une réflexion sur le développement d’infrastructures vertes, comme l’installation potentielle d’ombrières photovoltaïques sur les parkings, à l’instar de ce qui se fait déjà à Lyon, Perpignan ou Montpellier. Mais ces signaux faibles ne sauraient masquer l’absence d’une politique offensive.
Des leviers existent pour faire décoller Rennes
Plusieurs pistes concrètes pourraient redonner de l’élan à la plateforme. L’ADARB recommande de renouveler la DSP actuelle en confiant une majorité du capital (au moins 80 %) à un opérateur économique solide et ambitieux. En parallèle, il serait judicieux de cibler en priorité quelques grands hubs européens comme Madrid, Dublin ou Amsterdam, pour permettre des connexions efficaces vers le reste du monde. L’intégration de l’aéroport dans une logique intermodale forte, notamment par des billets combinés train + avion, renforcerait aussi son attractivité. Pour favoriser les départs matinaux, essentiels aux voyageurs d’affaires, il conviendrait d’adapter les redevances. Quant au terminal, il pourrait être étendu de façon ciblée, sans recourir à de coûteux projets disproportionnés. Enfin, l’installation d’une base de compagnies low-cost avec une douzaine de destinations méditerranéennes, combinée à une politique commerciale agressive, serait un catalyseur évident pour relancer durablement la fréquentation.
Mais peut-on redresser la trajectoire de l’aéroport sans revoir en profondeur son mode de gouvernance ?
2026 : la fin d’un modèle ?
Depuis 2010, l’aéroport de Rennes est exploité par la SEARD, une structure détenue à 51 % par la CCI d’Ille‑et‑Vilaine et à 49 % par Vinci Airports. La concession arrive à échéance en 2026. Et de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer une remise à plat.
Le constat est sévère : le trafic est en recul malgré les efforts de communication, aucune stratégie ambitieuse n’émerge, et la comparaison avec Nantes – pourtant également géré par Vinci – est largement défavorable. Le modèle de concession, à cheval entre intérêt public et logique privée, ne semble plus capable de répondre aux enjeux de développement régional. Quant à la CCI, son implication s’avère insuffisante pour incarner une volonté politique forte. L’aéroport est devenu l’angle mort du dynamisme rennais. La passivité de la Métropole, non actionnaire mais directement concernée par les retombées économiques, sociales et écologiques de l’aéroport, interroge également.
Et si l’heure était au changement ?
Plusieurs solutions existent pour rebattre les cartes. La création d’une Société Publique Locale (SPL) ou d’une SEM régionale permettrait d’impliquer directement les collectivités locales et les acteurs économiques. Un appel d’offres pourrait aussi être lancé à d’autres opérateurs, plus enracinés localement ou plus volontaristes. Une mutualisation de la gestion avec les plateformes de Dinard, Morlaix ou Quimper permettrait également d’adopter une approche coordonnée à l’échelle bretonne. Enfin, le lancement d’un débat public en 2025 serait l’occasion d’associer citoyens, élus et usagers à ce choix stratégique qui engage bien plus que le seul sort de quelques vols touristiques.
Car au fond, il ne s’agit plus seulement de s’envoler vers Marrakech ou Agadir, mais de définir collectivement à quelle altitude Rennes entend faire évoluer son aéroport. Proximité ou ambition ? Marginalité ou rayonnement ? 2026 pourrait marquer le moment d’un véritable choix politique… Veni CCI Vinci ?