L’exposition Paysages de marche, présentée tout l’été et jusqu’à l’automne 2025 au musée Courbet d’Ornans, engage le corps entier. Conçue par Benjamin Foudral et Pierre Wat, avec le concours exceptionnel du musée d’Orsay, cette exposition ambitieuse, poétique et philosophique redonne sens à une formule ancienne : marcher pour mieux voir. Mieux encore, marcher pour peindre. Du 28 juin au 19 octobre 2025.
« L’artiste doit voyager à pied », écrivait Pierre-Henri de Valenciennes en 1799 dans son Éléments de perspective pratique. Loin d’être une simple injonction à l’authenticité, cette déclaration dessine l’acte fondateur d’un renversement esthétique : le paysage ne sera plus jamais un simple fond ou un support allégorique. Il devient un sujet autonome, né de la rencontre directe entre un œil, un pas et un lieu. L’exposition explore ce basculement dans toute sa profondeur, en déroulant une histoire incarnée du paysage telle qu’elle s’est construite dans la lenteur, l’effort, l’errance.
À travers une cinquantaine d’œuvres choisies avec exigence – Courbet, Rousseau, Diaz de la Peña, Troyon, Renoir, Cézanne – le musée offre une méditation sur ce que signifie « être dans le paysage » au lieu de le surplomber. L’exposition ne suit pas un chemin chronologique mais propose plutôt un parcours thématique et intuitif, où la marche devient tour à tour exercice spirituel, méthode empirique, solitude active, voire résistance politique.
Peindre contre l’oubli : une topographie de l’humanité
À l’heure d’une hypermobilité dématérialisée, Paysages de marche réaffirme avec force que le pas humain est à l’origine d’un rapport organique au monde. La marche des peintres du XIXe siècle n’est pas celle du flâneur ou du touriste : elle est parfois harassante, lente, opiniâtre. Elle engage le corps dans sa matérialité, dans son effort. Cette fatigue, ce battement du pied sur la terre se retrouvent dans la texture même des tableaux. Courbet y frotte la pâte contre les rochers du Jura, Cézanne fait ployer l’espace sous la pesée du regard, Rousseau observe les branches comme on épelle un langage obscur.
Ces artistes cherchent dans le paysage une résonance intime : une manière de retrouver une part enfouie de soi, mais aussi de dire l’irréductible présence du monde. Contre « l’inadmissible indifférence » de ce dernier, ils déposent des traces – qui sont autant de contrepoints d’humanité.
Une scénographie discrète, un espace en écho
L’intelligence du dispositif muséographique tient à sa sobriété. Dans les salles d’Ornans, l’accrochage laisse respirer les œuvres. Rien ne surligne, rien ne souligne, et c’est dans ce silence – ce presque vide – que s’installe la possibilité d’un autre rapport aux tableaux. Le musée Courbet lui-même, pris dans la boucle de la Loue, devient ce prolongement naturel du parcours. Le visiteur marche parmi les œuvres comme on chemine entre deux hameaux.
Un dialogue implicite se noue également avec les paysages environnants du Doubs, où Courbet puisait son regard. L’exposition n’est pas seulement à voir, elle est à vivre – et peut-être à poursuivre dehors, dans les pas de ces peintres-marcheurs qui cherchaient dans les bois, les falaises, les combes, les traces d’une vérité à portée de pas.
Une exposition à double fond
Ce qui frappe, enfin, c’est la dimension critique de l’exposition. Car Paysages de marche n’est pas qu’un hommage au plein air ou à la peinture de la nature. C’est aussi un manifeste discret, mais ferme, sur la nécessité de ralentir, d’habiter autrement notre relation au sol, à l’espace, à l’attention. En cela, elle rejoint les réflexions contemporaines sur l’Anthropocène, sans jamais les nommer. Elle propose une autre histoire de la peinture : une peinture humble, lente, tactile, humaine. Une peinture qui, pour dire quelque chose du monde, commence par marcher dedans.
Informations pratiques
Dates : du 28 juin au 19 octobre 2025
Lieu : Musée Courbet – 1 place Robert Fernier, 25290 Ornans
Horaires et réservations : www.musee-courbet.fr
Commissariat : Benjamin Foudral (directeur du musée Courbet), Pierre Wat (historien de l’art)
Avec le soutien du Musée d’Orsay
